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08/09/2017

"Stations avant l'oubli" de Dominique Labarrière. éd. Mai hors saison, mars 1996

S'il est un auteur qui mérite le détour, c'est bien Dominique Labarrière, mort prématurément dans un petit hôtel du XIe parisien. Ce poète vivait pour (et par) sa poésie. Une écriture qui échappe à toutes les catégorisations actuelles, sauf qu'elle vole haut et ne se complaît pas dans les fioritures formalistes autocentrées. Ecoutons-le encore... DM

Stations avant l'oubli, V


le chemin derrière la fenêtre
où la main saisit
puis lâche une pierre


l’œil fermé
le parcourt


montagne vide et mer
lointaine et
steppe battue par le vent
terre rouge et


vol de l'oiseau vers la forêt


qui
pour garder
ce silence


l’œil oublie
la chambre close
fleurs et lampes et


bouteille aussi


s'oublient


jours que rien
ne protège


la main lâche la pierre
la main lâche la main

 

deux enfants boivent
l'eau d'une fontaine

 

Dominique Labarrière


poème dédié à Zéno Bianu

10:55 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

05/09/2017

"Le parcours d'une vendangeuse", opus 3

... Car à force d’être belle et considérée, celle qui croquait la tête d’autres soi imaginaires en longs traits anguleux au stylo-bille, au tournant de sa vie, je ne sais lequel, histoire d’amour, de rupture, aurait bien conquis une sorte de célébrité officielle, dont elle avait le corps, et du reste, elle fit un peu de nu, – de la photo, en plein air, au milieu d’attroupements hindous admiratifs et respectueux de leur Durga, Karma Devi, Prakriti, Sarasvatî, – Lakshmi… pour les uns, européenne à scandales pour d’autres – de profil, ses longues jambes repliées sous elle ou sur le côté et un bras venant gonfler et rendre plus pathétique sa poitrine fière largement galbée. Aussi mérite t’elle plus qu’une simple "short story" : au départ, avec des moyens assez réduits juste assez pour renouveler le "Préfon" à belle étiquette, elle eut ensuite assez rapidement beaucoup plus de moyens, puis de plus en plus. Les moyens, ce sont les autres, l’amitié qu’on leur dispense, – et elle fut l’invitée ici et là, en des lieux in stratégiques de la culture en train de (se faire) avec toute une bande de semi ratés, de loosers et de types et de filles bien, – le tout composant un mélange parfait – jusqu’aux années où, nouvel amour, nouvelle et douce rupture, elle eut sa propre grande maison ouverte à tous vents à la manière de Barbara Hutton.

Là, c’est l’équilibre, et la régularité, une vie somptueuse si l’on veut, insouciante, et étoilée, incitant plus que jamais les hésitants et les tièdes à plus d’audace, plus de courage, aujourd’hui, demain même. Grande culture, grand dédain pour la culture, donnant asile à des artistes de talent, à des artistes sans talent, à tout un monde en changement constant, cette nuance l’important peu, sa connaissance et j’ose dire sa philosophie de l’existence s’élevant toujours mieux sur son passé, ses passés, tumultueux, difficultueux.
Famille communautaire, repas pleins de rires tissés de nouvelles trouvailles jusqu’à la nuit et ses bains obscurs et lumineux, sa beauté, son corps s’affinant encore, mais parvenant de temps à autre, le pick-up éteint, à un silence qui lui fait du bien, – et tout cela perdure, continue à être, malgré les volumes écornés d’Allan Watts et autres passeurs, mêlés aux bonnes ventes de "poche", pêle-mêle à des livres d’Art dont l’art s’échappe irrésistiblement, dans un désordre de moins en moins irréversible, mais tout cela perdure, ses yeux aux heures de colles devant les miens, sans mélanger leurs couleurs similaires, ses lèvres fines non loin des miennes, sans conseil particulier sortant de sa bouche à peine ouverte, sinon ce rappel permanent de moquerie en notes aiguës pour le grotesque sérieux du monde de Sherwood Anderson, si pure, véritable, qu’elle engendre l’audace et le courage ce jour même, demain.

 

Pierre Mironer

22:45 Publié dans Contes | Lien permanent | Commentaires (0)

"Le parcours d'une vendangeuse", opus 2

... Oh certes, c’est d’un être incomparable dont je vous parle, d’ailleurs la collectionneuse de renvois et d’heures de colle (et autres pertes de temps) a ensuite dirigé, géré plusieurs écoles et collèges, est devenue dans le même temps une égérie du brainstorming, fréquentant de-ci de-là moult artistes - sans jamais se laisser entraîner dans les tragiques aventures d’écharpe d’une Isadora Duncan dont elle devait envier cependant les talons-aiguille, comme bien des filles élégantes et d’assez haute taille. Rien n’a beaucoup changé chez elle. Son don principal est le don des langues, maniant les européennes comme les slaves, l'arabe tout aussi bien. Je me suis toujours incliné devant ces irruptions humaines à la jeunesse perturbée par les œillères de nos professeurs. Ses incitations à l’audace, au désordre et au courage, même si cela ne va guère plus loin que l'esprit caustique d'un Boris Vian ou renvoie, cinématographiquement parlant, à tel petit rôle d’Artaud, son invitation permanente à l’enfance de la vie me sont aujourd'hui, toujours et encore, d’actualité.

Parallèlement à la danse, son plus grand secret il me semble, est de n’avoir pu faire que de courtes apparitions dans les studios de Madras, dans des films tournés à la va-vite, aux décors ayant déjà servi pour d’autres romances entrecoupées de chants et de danses, bien des années avant que le piteux phénomène de Bollywood ne vienne détruire pour ainsi dire, la naïveté du cinéma indien.
De cela, elle semble me conserver quelques griefs, mais que pouvais-je faire de plus, moi qui n’ai jamais éprouvé d’intérêt réel pour le cinéma bon marché ?…

De hipster déglinguée, elle est devenue au fil des années une icône rivalisant d'intelligence, tout en prenant à son compte les avantages de la square society. Lisant en marchant le Herald Tribune - référence à Godard oblige ! - dans le même envapement semi-sérieux semi-joyeux de son adolescence dont les attifements pseudo-orientaux restèrent intacts lorsqu’elle eut ici et là plusieurs enfants à élever.
Gardant par devers elle la plupart de ses amis à force de relations et de soirées et de nuits où tout le possible avait avantageusement remplacé le Préfon, elle rencontra le producteur, une sorte de personnage en lame de couteau de nos grand-mères qui apparaît dans la dernière partie de L’Anti-Voyage de Muriel Cerf ; le long "Khelifa" à la peau bistre pratiquait ce jeu en virevoltant dans un cercle étroit avec une tierce personne : le tout est de tourner sur soi-même avec esthétisme, pieds nus, et en évitant les contacts, de ne pas sortir du périmètre.

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Pierre Mironer

 

10:42 Publié dans Contes | Lien permanent | Commentaires (0)