241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

21/08/2021

Poésie libanaise : "Œuvres poétiques", de Fouad Abi Zeyd, éditions Dar an-Nahar, mars 1996, 189 pages

Moins connu que d'autres poètes francophones, proche-orientaux : originaire du Liban comme la parisienne Vénus Khoury-Ghata, ou de Syrie comme le courbevoisien Adonis (Ali Ahmad Saïd), c'est un auteur à (re)découvrir, dont la poésie, en vers ou en prose, sait magnifier la Légende, cherchant appui sur le temps pour l'enchâsser à la trame d'un renouveau, en gésine. Né à Sahel-Alma (Liban) en 1914, il décède, jeune encore, parmi ses livres dans l'incendie de sa maison, en 1958, brûlé vif qu'il fut. Son lit prit feu à cause d’une cigarette, pendant qu’il somnolait (de santé précaire, il prenait de la morphine pour calmer les douleurs qu'il ressentait). 
En 1936, il publie son premier recueil, Poèmes de l'été, aux éditions du Liban, ouvrage couronné par l'Académie française. Sur ce, il essaiera de se faire publier par la NRF, mais sans succès - pourtant appuyé par une lettre de Gabriel Bounoure, et recommandé par Valéry à Paulhan, en ces termes : « Il vous apporte aussi un petit volume de poèmes en prose (mais non sans quelques vers) où j’ai trouvé des beautés certaines et une promesse véritablement rare de poésie aiguë, parfois comme il sied trop douce. » Au lieu de quoi, il publiera en 1942 à L'Orient (à 125 exemplaires) Nouveaux poèmes
et Proses pour une pensée (édité en 1945 à 85 exemplaires). Même acharnement du destin sur les œuvres du poète encore inédites : il aurait composé un Faust, un ouvrage intitulé Abnaël que Grasset lui avait promis d'éditer, sans suite ; et un grand poème, Jérusalem. Le pillage de sa maison en 1958 a dispersé ses manuscrits...
Jean-Claude Villain a rendu hommage au poète Fouad Abi Zeyd dans son livre Lettres du monde, (Editions Petra, Paris, 2017).


Méditerranée


Vers le milieu de cette plage, en hâte, en courant, bourdonnant de soleil et détaché de mon existence terrestre, je bataille avec l'écume et vis un long temps dans un Olympe d'Asie. Jamais le soleil ne fut plus beau que sur la mer.

*


A présent, c'est en vain que la minute m'entraîne : un ciel qui parle de beauté au même ciel atteint l'éternité. C'est pourquoi je cherche en passant l'odeur des filles grecques ; mais la mer absolue remonte à sa genèse ; les vagues murmurent un amour d'Aspasie, qui, un jour pareil, le sein tendu jusqu'à se rompre, s'emmêla à un roi de Grèce, et jouit au milieu des symphonies universelles.

*


Je remonte à leurs cris et vis de leurs frissons, de leur tumulte - de baisers. Car je suis fils de dix mille ans de rameurs, de songes asiatiques et d'ivresses. Aussi loin que je m'enfonce en cette mer, je me souviens des voyages que j'entrepris quand je n'étais qu'un frémissement de mes aïeux, parmi le cortège étincelant des trirèmes menant vers Alexandrie ou Byzance. Je me souviens d'avoir rencontré Aphrodite ; Chrysis ; et, un peu plus loin, sur le Nil, toute une nuit, d'avoir vécu du corps de Cléopâtre.


Fouad Abi Zeyd

11:18 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

20/08/2021

"Pays exclusif" : Dimitri T. Analis, éd. Obsidiane, janvier 1991, 92 pages. ¤ ¤ "Poèmes - 1933-1955" : Georges Séféris, trad. Georges Lacarrière et Egérie Mavraki, éd. Mercure de France, janvier 1963, 167 p.

La mer, vue sous un autre angle, moins affectif. Pays exclusif est le premier des deux livres qu'Analis, poète grec né en 1938, a publié aux éditions Obsidiane, avant Hommes de l'autre rive, en février 2002 (ce livre-ci encore disponible sur papier ; car bien malheureusement, l'édition numérique fait florès, plus envahissante à mesure). Bref... La maison Obsidiane existe depuis avril 1978, elle a donc 43 années d'existence. Longue vie à ces éditions, qui assurent un travail remarquable avec de maigres moyens !
Pour le second poète, premier Prix Nobel grec en 1963, aux poèmes d'un lyrisme contenu, la mare nostrum devient métaphore pour revisiter la condition humaine.
Amitiés partagées, Daniel Martinez

Θ


La mer est marâtre, son mouvement ténèbres
Ses vents, ses tempêtes, ne sont pas des ailes d'ange
Chimères éveillées à chaque étape du parcours
Et bien avant les pluies et leurs déserts gris
La brume efface le désir et ses attaches,
Comme la nuit elle parle souvent à ta place.


Marâtre aussi la nuit, dès que l'on s'endort
Elle rêve d'orages suspendus, striés de glace
Les voiles que soulèvent ses vents battent
Derrière les mêmes volets clos de l'enfance.
Chaque nuit j'ai cherché les tavernes du port
Je n'ai pas rencontré le visage du rameur.


Dimitri T. Analis

Θ

Bouteille à la mer

Trois rochers, quelques pins calcinés, un ermitage.
Un peu plus haut
Se réitère le même paysage :
Trois rochers en forme de vantail, rouillés,
Quelques pins calcinés noirs et jaunes,
Une maisonnette carrée engloutie dans la chaux
Et plus haut, encore, plusieurs fois,
Reprend le même paysage, en gradins
Jusqu'à l'horizon, jusqu'au ciel du couchant.


Ici, nous avons jeté l'ancre pour réparer nos rames brisées,
Nous désaltérer, dormir.
La mer qui nous a meurtris, la mer profonde et insondable,
Déploie son calme sans limites.
Ici parmi les galets, nous avons trouvé une monnaie d'argent
Et nous l'avons jouée aux dés.
Le plus jeune gagna, on ne le revit plus.


Nous sommes repartis avec nos rames brisées.


Georges Séféris

trad. Jacques Lacarrière et Egérie Mavraki

15:16 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

19/08/2021

"Dans l'œuvre du monde" : Mario Luzi, trad. de Philippe Renard & Bernard Simeone, éditions La Différence, coll. Orphée n°79, 3/12/1994, 125 pages

En mer


Au point le plus haut
où la science est oubli de tout savoir
et certitude, me dit-on,
certitude irréfutable venue à notre rencontre

où dans le temps suspendu au fil
d'un regain d'enfance,

entre sommeil et veille, entre innocence et faute,

là où se trouve et ne se trouve pas notre œuvre voulue et choisie.

"La santé de l'esprit
est là", dit une voix
que j'affronte depuis des années,
une voix aujourd'hui de sirène.

Nous naviguons entre Sardaigne et Corse.
La mer est agitée
et le bateau piquant du nez dérive.
L'équipage dort. Mais deux hommes
veillent dans la demi-lumière de la passerelle.
Août a pris fin. Nous sommes à la rupture des temps.
C'est une nuit vivante.
Vivante plus que cette nuit,
vivante à me serrer la gorge
est la muette confiance
de ceux-là qui dorment
assurés dans la main des autres
et de ceux-ci qui n'abandonnent ni la manœuvre ni le calcul

alors que d'un point obscur de la côte elles prient
pour leurs hommes en mer, alors que des abords
du Rhône arrivent quelques rafales.


Mario Luzi

trad. : Philippe Renard et Bernard Simeone