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05/09/2017

"Le parcours d'une vendangeuse", opus 2

... Oh certes, c’est d’un être incomparable dont je vous parle, d’ailleurs la collectionneuse de renvois et d’heures de colle (et autres pertes de temps) a ensuite dirigé, géré plusieurs écoles et collèges, est devenue dans le même temps une égérie du brainstorming, fréquentant de-ci de-là moult artistes - sans jamais se laisser entraîner dans les tragiques aventures d’écharpe d’une Isadora Duncan dont elle devait envier cependant les talons-aiguille, comme bien des filles élégantes et d’assez haute taille. Rien n’a beaucoup changé chez elle. Son don principal est le don des langues, maniant les européennes comme les slaves, l'arabe tout aussi bien. Je me suis toujours incliné devant ces irruptions humaines à la jeunesse perturbée par les œillères de nos professeurs. Ses incitations à l’audace, au désordre et au courage, même si cela ne va guère plus loin que l'esprit caustique d'un Boris Vian ou renvoie, cinématographiquement parlant, à tel petit rôle d’Artaud, son invitation permanente à l’enfance de la vie me sont aujourd'hui, toujours et encore, d’actualité.

Parallèlement à la danse, son plus grand secret il me semble, est de n’avoir pu faire que de courtes apparitions dans les studios de Madras, dans des films tournés à la va-vite, aux décors ayant déjà servi pour d’autres romances entrecoupées de chants et de danses, bien des années avant que le piteux phénomène de Bollywood ne vienne détruire pour ainsi dire, la naïveté du cinéma indien.
De cela, elle semble me conserver quelques griefs, mais que pouvais-je faire de plus, moi qui n’ai jamais éprouvé d’intérêt réel pour le cinéma bon marché ?…

De hipster déglinguée, elle est devenue au fil des années une icône rivalisant d'intelligence, tout en prenant à son compte les avantages de la square society. Lisant en marchant le Herald Tribune - référence à Godard oblige ! - dans le même envapement semi-sérieux semi-joyeux de son adolescence dont les attifements pseudo-orientaux restèrent intacts lorsqu’elle eut ici et là plusieurs enfants à élever.
Gardant par devers elle la plupart de ses amis à force de relations et de soirées et de nuits où tout le possible avait avantageusement remplacé le Préfon, elle rencontra le producteur, une sorte de personnage en lame de couteau de nos grand-mères qui apparaît dans la dernière partie de L’Anti-Voyage de Muriel Cerf ; le long "Khelifa" à la peau bistre pratiquait ce jeu en virevoltant dans un cercle étroit avec une tierce personne : le tout est de tourner sur soi-même avec esthétisme, pieds nus, et en évitant les contacts, de ne pas sortir du périmètre.

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Pierre Mironer

 

10:42 Publié dans Contes | Lien permanent | Commentaires (0)

04/09/2017

"Le parcours d'une vendangeuse" opus 1

Pierre Mironer prend aujourd'hui mon relais, après les 304 pages de Diérèse 71 vérifiées ce dimanche (quand on aime, on ne compte pas !). Mes excuses à ceux qui verront leur texte publié à la prochaine livraison, prévue pour février. Amitiés partagées, Daniel Martinez

 

Parcours d’une vendangeuse


Je l’ai connue grande, hystérique, délurée, libre, généreuse, avec de longs cheveux raides et dorés et de grands yeux bleus semblables aux dessins gauches qu’elle ratait au stylo-bille bleu en écoutant les cours. Elle s’offrit sans vraie malice à tous les garçons, puis à tous les hommes, même sans instruction, dont elle avait envie, en s’attachant toujours franchement tout en restant celle de personne, sinon pour des relations plus durables, qui n’empêchaient rien, et qui n’avaient l’air de rien, sinon d’un couple baudelairien dans un film de Grémillon.

Je l’ai connue souriante, toujours rieuse, moqueuse, parfois capable d’arrogance et d’esprit de révolte, et ses rires face aux remontrances des adultes ou des enseignants étaient un réel ravissement, des puits de vérité où venaient se perdre piteusement les mots, – des sources ou des chutes d’eau fraîche et vierge, incitant à mettre un instant tout le sérieux du monde de côté pour admettre qu’une aile pouvait triompher des fenêtres coulissantes, qu’une queue – lézard ou rat – pouvait passer sous une porte, entre deux plinthes.

Je l’ai connue accueillante, laissant franchir son seuil à des agglutinés de sa famille d’amis qu’elle voyait pour la première fois, et même à des imbéciles à lunettes pour lesquels elle aurait pu devenir canne blanche occasionnelle. Je l’ai connue enjouée, indifférente à l’armada administrative et policière, – posée, caressante, rassurante, et je l’ai connue jusqu’à très tard dans une adolescence prolongée.

Deux ou trois choses entre elle et moi nous ont épargné les problèmes de la pilule du lendemain ; d’abord le "Préfon"*, qu’elle se mit à aduler à son époque montmartroise, puis ce que je voulais prendre pour de l’amitié, sans encore réaliser ce que l’amitié signifie pour elle, amitié qui me suffisait en quelque sorte, elle blonde comme moi qui suis fils unique, (et m’empêchait de jalouser) sans éveiller un réel désir de son corps allant vers le superbe que j’ai toujours cru voir nu comme celui d’Ondine à sa seule pensée sans m’émouvoir plus que cela.

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* Le vin "Préfontaine".

 

Pierre Mironer

 

 

 

 

 

 

 

12:00 Publié dans Contes | Lien permanent | Commentaires (0)

13/08/2017

La millième note du blog !

Bonjour à toutes et à tous. Un grand jour pour votre serviteur, qui fête avec ce conte de Marc Corigliano - qui nous conduit ici, pedibus cum jambis, jusques au port de Marseille - la millième note du blog. Merci pour votre fidélité, qui m'est chère. Mes amitiés partagées, et... champagne ! ******* Daniel Martinez *******

Fontaine Martine

Il n'y a pas de tables dans ce café. Seulement un comptoir où j'ai posé les coudes comme tout un chacun. Hier, à la même heure, j'étais assis à la même place. C'est bien de moi. Dès que je découvre un lieu propice, j'y jette l'ancre comme un pêcheur à l'endroit où la pêche fut bonne.
J'ai pris tout mon temps avant de sortir. Par deux fois j'ai penché la tête par la petite fenêtre de la salle de bain pour plonger mon regard dans la cage d'escalier bien éclairée à cette heure par la verrière du toit et d'où montait une telle paix, un tel silence : j'ai ouvert la bouche, les yeux et tendu les oreilles comme un animal qui vient de naître.
C'est l'été. Quand je rentre maintenant du boulot sur les coups de six heures, il fait déjà jour. J'ai beau tendre un rideau noir devant la lucarne de la chambre, il y a toujours un peu de lumière qui passe et je dois chercher le sommeil avec dans le miroir près du lit le reflet de mon visage incertain. C'est comme si nous étions deux à vivre ici. Et je sombre sans avoir obtenu de ce double d'autre message que celui de ses yeux qui se referment sur moi.

Avant de sortir, j'ai aussi arrosé le petit figuier ramené de Corse. En l'espace de quelques jours il a fait trois nouvelles feuilles. Pas de comparaison possible. Mais j'ai dû acheter de l'huile blanche : des cochenilles avaient tissé un filet très fin, presque invisible, sur les deux plus grandes feuilles qui les étouffait. Hier soir, quand le soleil s'est couché, un rayon de lumière dans sa chute a éclairé d'une manière extraordinaire le réseau des nervures où circule la sève. J'ai fait une photo. Mais cela n'a pas suffi. J'aurais voulu aller plus loin. La même sève en moi. Me déplier...
Oui, accoudé à ce comptoir, retenu par lui je repense à tout cela... Soulevé, arraché de terre, posé sur une grosse branche d'où partent une multitude d'autres branches qui sont autant d'élans, de poussées d'où jaillissent à foison d'autres branches plus petites et puis des feuilles... les feuilles où j'écris... celles du figuier aussi... Tout se confond, se rejoint... Je reviens...

Je découvre à la croisée de deux chemins, un tantinet résurgente, une fontaine.
C'est trop. Trop peu. Pas assez.
Je lève l'ancre. Je retrouve la rue. Marche jusqu'au port. Vise un café qui se trouve tout au bout. Cette fois je reste dehors. Avec la brise, le parasol au-dessus de ma tête tourne d'un côté puis de l'autre sans jamais faire un tour complet. Un quart à gauche, un quart à droite. C'est tout.
Je regarde autour de moi. Une femme, au premier étage d'un hôtel, lave des vitres, le serveur reste planté à l'entrée du café, le regard dans le vide, puis se ressaisit, marche jusqu'à la ligne d'ombre qui coupe la terrasse en deux et là reprend la même attitude.
Je perçois le chant d'une cigale au milieu du bruit de la circulation, je le perds, le retrouve...
Je vois le soleil avancer, grignoter peu à peu l'ombre dont je suis entouré jusqu'à toucher ma main. Débouté.


Marc Corigliano

07:47 Publié dans Contes | Lien permanent | Commentaires (0)