241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

03/07/2015

Regards sur la poésie

Il y a des mots qui ne vont pas ensemble. Poésie et marché par exemple, dont la confrontation résonne comme une sorte d'injure ou d'incongruité. La réalité, pourtant, se charge d'accomplir ce que l'esprit réprouve. Et il faut bien, pour continuer à publier et à faire connaître la poésie qui s'écrit aujourd'hui en France, parler d'économie, même si elle est millimétrique et sans beaucoup de conséquence sur le marché. Les ministères, comme les collectivités régionales, financent une bonne part, par le biais du Centre national du livre et des instances régionales locales, l'existence pour ainsi dire matérielle de la poésie.

Depuis 1998 (date de naissance de "Diérèse"), une opération nationale comme le Printemps des poètes fédère un grand nombre de manifestations de tout ordre en faveur de la poésie. Mais tous les moyens ne sont pas bons. Certains font même grincer des dents. Michel Deguy, par exemple, a pu s'en prendre à l'une de ces initiatives : imprimer des poèmes sur les nappes d'un grand restaurant parisien, nappes que les clients pourraient emporter avec eux en ayant pris soin de ne pas trop les tacher de vin.

Réponse du berger à la bergère, Jacques Darras a répondu alors à son confrère en poésie pour défendre l'idée que celle-ci doit s'efforcer de (se) communiquer et que les poètes ne doivent pas s'indigner de ce qui peut servir à la diffusion de leur travail. S'ils ne sont pas d'accord, Michel Deguy et Jacques Darras ont au moins un point commun, en dehors de celui d'être poètes : hommes de pensée et universitaires tous les deux, ils ne taquinent pas la muse le dimanche comme d'autres le goujon.

Cette capacité à réfléchir en connaissance de cause évite les oppositions caricaturales : d'un côté, l'élitiste, l'aristocrate de la poésie (Deguy) ; de l'autre, le populiste jovial rompu aux exercices de la communication moderne (Darras). Des noms sont lancés, Mallarmé en tête, qui voulait donner un sens "plus pur" aux mots de la tribu tout en pratiquant les médias de son époque.

Jacques Darras reproche à Michel Deguy de tenter à nouveau "ce coup de force de l'idéalisme romantique qui pense que la poésie ne communique pas". "Nous pensons qu'il y a communauté poétique", souligne-t-il. Et de citer Homère à sa rescousse. Deguy récuse absolument l'épithète de romantique, et attaque : "La plupart des choses qui vous intéressent au nom d'une victoire à venir consistent précisément à "rapetisser" selon le destin culturel de la poésie". "La communication, poursuit-il, c'est l'envoi d'un maximum d'information avec un minimum de dépense dans un minimum de temps. C'est une théorie économique. La poésie est anti-économique dans ce sens-là". Comme on le voit, la réconciliation des deux points de vue est difficile.

                                                                                    Jean-Claude Cauchy