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08/02/2017

"Le Sahara entre mes mains", de Morten Søndergaard

Imprimé à 250 exemplaires à Pietrasanta (Italie) en mars 2005 par les éditions Esprit Ouvert, ce livre de Morten Søndergaard a été traduit du danois par Eva Berg Gravensten & Eric Guilleman, estampage électrolytique en première de couverture et encres en pages intérieures de Jørgen Haugen Sørensen. Incontestablement, de la belle ouvrage.

Quête du passage hölderlinien du ciel à la terre où "demeurer", dans cet insaisissable nous saisissant, dans le perpétuel mystère de la nature, ici composée de parties sans tout, oscillant entre une redécouverte parallèle de soi et du monde ("J'essaie de me souvenir / du nom des choses. // Je les ai oubliées / dans la musique de la nuit.") et un dialogue permanent entre le "je" et le "tu" en miroir ("Je suis allongé, / au bord des larmes, / avec mes fouets noirs / et je vomis - / de ma bouche / s'échappent des poissons incandescents,/ l'un après l'autre, / qui descendent / vers ton sourire heureux."). Dans une grande force d'abstention tout autant que de ferveur participante, comme "les montagnes brûlent", "4 champs sombres ; / colonnes de suie et de souches" jusques à ces relais lointains des choses, "le couteau à fruits", les "aiguilles cassées d'une horloge", un "nous" se profile, mais de séparation : "Une femme marche in absentia / à travers les blés, / les épis cognent contre son sexe."

Ce corps de choses défaites, cette mémoire des objets et ces "champs magnétiques" autant que magnétiseurs, tout cela est mêlé, opaque, brassé, broyé. Chacun y puise, ainsi que dans un grand réservoir livré à la récupération, qui une portion discontinue de pensée ou de figure retrouvée là, comme échappée, qui le ventre d'un puits semblable au labyrinthe de l'oreille interne, qui un filet de lumière sur les toits à l'aube, qui trois fleurs, une lettre, un escargot, "des congères / d'ailes blanches", un rien, une chose. L'ébauche ou le souvenir des objets assemblés, réassemblés, du temps et de l'espace entre eux et du vouloir qui les tenait. Bribes d'un voyage silencieux du poète en lui-même.

Ce va-et-vient de l'un à l'autre (rêvé/ réel) sur le vide médian réinstaure donc un dialogue, muet, qui vaut réconciliation ; l'image va par le texte, aimant le mot qu'elle drape d'un langage où irradie sa lumière, abandonnant à la seule typographie la charge de la couleur des pages, qui est somme toute celle des sentiments. Leur complet déploiement délimite un Sud imaginaire (le Sahara), où toute chronologie serait inutile ("Chaque temps / en sa chose."). L'ailleurs et l'ici ne sont pas plus suspects l'un que l'autre, ce qui rend vaine toute singularité absolue, mais concourt à "rendre le sel / aux yeux des dieux." Au plus loin comme en avant de soi, le poème fait le lien, avec l'eau première et l'enfance du feu, lors même que "la neige verse les sons / dans la boîte du noir / et déjà tu t'éteins."

                                                                       Daniel Martinez

14:43 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (4)

06/02/2017

Moirures VI

6-02-2017

VI


Il n'y a plus de nuit dans la nuit

                 franchissant les anneaux d'une onde
dont le centre a disparu      
                 dans le suspens des sons

un carrosse étincelant galope quelque part
à peine si l'on touche maintenant                  tout juste audible
une note                                 ou un accord
peut-être un accord de passage
                                              ou une appogiature

et                    sous un grand pan de ciel opalescent
où je me suis ébattu
l'air se fait plus fluide              il emporte
des nuances infinies et presque imaginaires
                 d'un camaïeu d'argent et d'indigo
                                        sur les pierres effacées se pose
Il n'y a plus de nuit dans la nuit


                                             Daniel Martinez

17:20 Publié dans Moirures | Lien permanent | Commentaires (0)

03/02/2017

Nicolas de Staël (1914-1955)

D'août à octobre 2005 s'est tenue au Musée Picasso d'Antibes une exposition Nicolas de Staël consacrée à la dernière période de l'artiste, où quatre-vingt toiles et dessins - œuvres antiboises - étaient exposés. Aujourd'hui l'occasion de revenir sur cette période de doute qui caractérise les dernières années de la vie du peintre, promis à la fin que l'on sait...

"A un de ses marchands, Jacques Dubourg, Nicolas de Staël écrit d'Antibes, en décembre 1954 : "Ce que j'essaie, c'est un renouvellement continu, vraiment continu, et ce n'est pas facile. Ma peinture, je sais ce qu'elle est sous ses apparences, sa violence, ses perpétuels jeux de force, c'est une chose fragile dans le sens du bon, du sublime. C'est fragile comme l'amour. (...) Je sens toujours atrocement une trop grande part de hasard, comme un vertige, une chance dans la force, son côté virtuosité à rebours, et cela me met toujours dans des états lamentables de découragement..."

Le critique et collectionneur Douglas Cooper, au jugement duquel Staël croyait assez pour lui demander de venir à l'atelier, n'en pensait pas moins, à en croire les souvenirs de leur ami commun John Richardson : "Il n'aimait pas que des artistes dont il admirait le travail puissent soudainement faire des bonds en avant. Il n'approuvait pas ce qu'il appelait le "relâchement". (...) Le pauvre Staël protestait contre ce manque de sympathie, mais [Cooper] persista à critiquer chez Staël cette éloquence facile, son échelle grandiose et son nouveau lyrisme..."

Il n'était pas le premier : les commentaires du critique Léon Degand, à la suite de l'exposition organisée à la galerie Dubourg en juin 1954, sont de la même eau, comme l'a montré Jean-Paul Ameline, le commissaire de l'exposition de Beaubourg (rétrospective organisée au printemps 2003, avec plus de 210 oeuvres au catalogue), dans son étude sur la fortune critique du peintre : "Degand conteste à l'artiste une aisance qui n'aboutit qu'aux "qualités extérieures" d'un "fauvisme simplifié", une facilité qui privilégie la vitesse d'exécution, au point d'inquiéter son marchand américain Paul Rosenberg, qui lui recommande de se méfier de cette hâte au nom de la sauvegarde des tableaux..."

Staël, qui s'est fait apprécier avec des toiles maçonnées comme des mosaïques, abandonne ses truelles de peintre pour leur substituer des brosses souples, voire du coton ou de la gaze, et donner à sa touche l'aspect fluide qui caractérise ses derniers travaux, les plaçant, dit Ameline, "au bord de la dissolution, au risque de l'échec, comme si elles appartenaient à un monde appelé à s'engloutir".

On a souvent relié la fin tragique de Nicolas de Staël à des éléments biographiques. Pourtant, hormis une maîtresse capricieuse, que le catalogue d'Antibes qualifiait pudiquement de "modèle", qui inspire les nus somptueux de cette période et désespère ce passionné, sa vie peut passer pour heureuse. Elles sont loin, les années de misère où il peignait la Vie dure (1946) ou Brise-lames (1947), significativement titré Brise-à-l'âme au dos du châssis. Ses expositions, à New York notamment, l'ont rendu riche. Ses amis sont fidèles, nombreux, et, de Georges Braque à René Char, de qualité. Romuald Dor de La Souchère, le conservateur du Musée d'Antibes, veut - déjà - lui consacrer une exposition.

Pourtant, dans sa solitude volontaire d'Antibes, il en est une autre qui le fuit : la peinture. Le 5 mars 1955, dix jours avant sa mort, il fait une escapade à Paris. Il en profite pour voir quelques proches, dont son beau-fils Antoine Tudal, auquel il confie son vague à l'âme et lie inextricablement son existence à son art : "Tu sais, je ne sais pas si je vais vivre longtemps. Je crois que j'ai assez peint. Je suis arrivé à ce que je voulais..."

Or, de retour à Antibes, il attaque deux tableaux, dont un de 21 mètres carrés, sur le thème du Concert. Nous sommes le 10 mars 1955 : Staël a moins d'une semaine à vivre."

                                                                              Harry Bellet

NI DE STAEL BLOG.jpg

Le Concert, toile inachevée de Nicolas de Staël

15:53 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)