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13/01/2015

Deux poèmes de Gabrielle Burel

 De Gabrielle Burel, ces poèmes marins, où l'âme dérive au gré de ses errances, côtoyant la merveille... pas un seul signe de ponctuation ne l'entrave, diastole, systole, le souffle seul, inépuisable, en majesté quand chuchote à l'oreille la conque, écoutez-la :

      Bois flotté
 

      Bois flotté

      Frotté aux embruns

      Du vertige

      Couvert de lichen

      Dans le vent

      D'écume brune

      Au sel amer

 

      Les corps brisés

      À flanc de peur

      Dans le ressac

      Des pulsations

      Fument dans l'élan

      Obstiné d'une passion

      Chevillée à la mouvance

      Noire de lune

      En germe dans le sable infécond

      Effrité par la vague ourlée

      Du désir arraisonné

      Au port des oublis

 

      Bois flotté

      Frotté aux embruns

      D'espérance

      Dans la mémoire

      D'un ciel bleu soleil

 

                        * *

 

      Bredouille

 

      Il n'a rien pris ce matin
      Pas le moindre mot à glisser sous sa plume

      Pourtant le bouchon l'a nargué
      Dansant dans le courant
      Le soleil a plissé son regard
      À travers le feuillage
      Et dessiné des ronds de lumière sur l'eau
      Le chant des oiseaux a salué le jour
      Puis on n'entendit plus

      Que le bourdonnement de quelque insecte
      Berçant l'imaginaire déserté

                                              Gabrielle Burel

15:30 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

12/01/2015

"L'ultime vocation du langage", vue par Jean-Michel Maulpoix

Dans du Lyrisme, essai paru chez José Corti en 2000, Jean-Michel Maulpoix parle de l'écriture - de la "substance du monde" à sa "propre substance" - en ces termes :

Je ne puis qu'aimer ou écrire ; le reste m'indiffère ou m'attriste. Vouée à se consumer toute, cette vie n'est jamais si précieuse ni si désirable que lorsqu'elle s'éblouit de sa propre fin, soudain terrifiée comme un papillon qui se brûle les ailes contre la lampe.
Je serre contre moi l'idée de ma propre mort ; elle est mon bien.

* * * *

De quelle espèce d'ignorance puis-je encore me réclamer pour continuer à écrire ? Ou pour recommencer d'écrire ! Je voudrais n'avoir jamais pris la plume. Celles que je possède sont dociles... Telle est l'aventure du langage que l'on s'y adonne tout d'abord avec bonheur en aveugle, et qu'elle devient insupportable au moment précis où l'on pourrait cesser de la trahir.

Ceux qui, par défiance, ne veulent entrer dans le jeu de la langue, se privent du seul accès dont nous disposons à la substance du monde. Il faut leur répéter que le langage nous donne tout en nous privant de tout : ce paradoxe est tel que là où les mots viennent en plus grand nombre, et où la dépossession est donc plus grande, il y a aussi le maximum de présence et le maximum d'être. Nous ne sommes ni des oiseaux, ni de pierres.

* * * *

Depuis le temps que j'accomplis les mêmes gestes et rature les mêmes mots sans en épuiser le sens, j'ai appris à ne plus espérer du langage que de moindres aveux. Je n'y recherche plus, comme autrefois, mon coeur, ni le sens ultime de ma vie, mais attends désormais sans impatience qu'il me concède un peu de clarté. La douceur d'une soirée d'été baigne parfois la chambre lorsque j'écris. Elle m'enveloppe d'un autre corps, plus léger, plus lumineux, comme si je pénétrais furtivement le mystère de ma propre substance telle que je l'imagine, délivrée du poids ennuyeux de la chair, quelques secondes à peine après mourir. Rien ne m'est si précieux que ce temps de vacance et de trouble qui me concède ce que je ne lui ai point demandé, comme si l'ultime vocation du langage n'était en fin de compte que de remettre à l'heure l'horloge intime de celui qui ne sait plus rien de sa propre vie.

                                                                                     Jean-Michel Maulpoix

18:28 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

11/01/2015

"La lettre"

Un extrait de "La Lettre" qu'Henri Michaux fit paraître dans le numéro 27 de la revue Confluences, en décembre 1943 ; elle sera reprise ensuite dans le recueil Labyrinthes (avril 1944), puis dans Epreuves, Exorcismes, (déc 1945). En voici des extraits :

Le poisson pêché pense à l'eau tant qu'il le peut. Tant qu'il le peut, n'est-ce pas naturel ? Au sommet d'une pente de montagne, on reçoit un coup de pique. C'est ensuite toute une vie qui change... Nous nous consultons. Nous ne savons plus. Nous n'en savons pas plus l'un que l'autre. Celui-ci est affolé. Celui-là confondu. Le calme n'est plus. La sagesse ne dure pas le temps d'une inspiration. Dites-moi. Qui a reçu trois flèches dans la joue se présentera d'un air dégagé ?... Certains se manifestent dans les glapissements. D'autres se manifestent dans l'esquive. Mais la grandeur ne se manifeste pas... Nous nous sommes regardés dans le miroir de la mort. Nous nous sommes regardés dans le miroir du sceau insulté, du sang qui coule, de l'élan décapité, dans le miroir charbonneux des avanies.

Henri Michaux