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Correspondance Henry de Montherlant-Michel de Saint-Pierre opus 1

Les 110 lettres qu'échangea Montherlant (1895-1972) avec son cousin, qui fut son plus fidèle confident, Michel de Saint-Pierre, restées inédites à ce jour, sont un document de première importance pour une approche directe de ce qu'il entendait par l'acte d'écriture, par les sujets abordés, d'ordre personnel ou littéraire. Elles courent de 1945 à 1972.

Montherlant y évoque ses propres oeuvres : La Relève du matin, Malatesta, Le Maître de Santiago, Demain il fera jour, Port-Royal, Brocéliande, La Reine morte, La Ville dont le prince est un enfant, Fils de personne,... Il aborde un projet de film avec Robert Bresson autour d'Ignace de Loyola (22 octobre 1947), son procès avec Grasset (1949 et 1953), son enfance (29 mars 1961).

Il revient souvent sur des questions de pureté de la langue française, comme dans cette lettre du 1e août 1970 : "Puisque nous en sommes aux questions de langage, je vous signale que vous m'écrivez : "J'ai écrit dans l'un des chapitres de mon roman." Quelqu'un m'a dit autrefois que l'on n'employait "l'un" que lorsqu'il s'agissait de deux objets, sous-entendu : "l'un et l'autre", et qu'il fallait dire "un" quand plusieurs objets étaient en cause..." Il livre également une pertinente critique des oeuvres de Saint-Pierre, dont Les Aristocrates (1954).

Son profond respect des mots, du sens et de leur portée apparaît par exemple dans la lettre qui suit. Attitude intransigeante s'il en est - qui pourraient laisser pantois certains littérateurs du moment - et qui le positionne d'emblée, face aux confrères de la presse littéraire en particulier.

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L'art d'écrire : "L'art est lent, la culture est lente, la réflexion est lente, la connaissance est lente. C'est dire qu'on ne peut qu'approuver... celui qui veut se consacrer à écrire. En aurez-vous le temps ? C'est en effet ce que nous pouvons nous demander tous deux..." (22 octobre 1947). - "J'aime votre nouvelle [Contes pour les septiques]. Mais je trouve que vos gens forcent toujours un peu la pose, comme dans les tableaux... : le visage impassible sous les soufflets, la rose à la bouche, etc... Il me semble qu'à mon âge on cherche surtout le ton juste, et vous ne l'avez pas toujours. Il reste que vous avez peut-être pensé que les gens de Malatesta prennent eux aussi des poses, et que ceux de Santiago n'ont pas le ton juste..." (1947, d'après une note postérieure). - "... J'ai quelquefois de la naïveté dans ma conduite - une certaine confiance dans la vie n'est pas parvenue à m'en débarrasser tout à fait, - mais je n'ai jamais de naïveté de mon art ; je n'y perds jamais la lucidité. Ce que vous appelez naïveté, c'est une certaine façon de sortir ses tripes, ou d'ouvrir son coeur, ou les deux, qu'exprime un mot connu... "Coupe des mots : ils saignent". C'est cette naïveté qui rend les textes vrais & émouvants... Cette naïveté consciente & voulue, je l'ai eue dès le début ; L'EXIL, écrit à 18 ans, est fait de cela. Elle paraît ridicule à ceux que Pascal, je crois, appelle "les malingres". Mais les malingres ne voient pas le ridicule où il est, et ils le voient où il n'est pas, c'est une règle qu'il faut se rappeler toujours en écrivant. Chaque fois qu'on se dit : "les gens vont trouver cette phrase ridicule", il faut écrire cette phrase..." (27 février 1960). - "J'ai commencé moi-même - le 23 juillet - un nouveau roman..." (10 août 1965). - "Depuis une cinquantaine d'années que je lis des articles sur la crise du roman ou la mort du roman, je continue à aimer le roman..." (19 avril 1969).

                                                           Henry de Montherlant

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18/08/2014 | Lien permanent

Correspondance Henry de Montherlant-Michel de Saint-Pierre opus 2

Suite et fin :

 

Les écrivains et hommes publics : "J'aimerais bien voir votre étude sur GIRAUDOUX dramaturge. Tous ces messieurs sont des "mimes ingénieux", rien de plus (et c'est Romain ROLLAND qui les appelait ainsi, dans une lettre qu'il m'écrivait il y a vingt ans)... (19 mars 1946). - "Je lis dans les gazettes que je ne sais quel dominicain, à une des conférences sur CLAUDEL... a dénoncé le "faux mysticisme" de Santiago, pendant que Popaul* "opinait de la tête". Puisque vous voulez bien le penser "le plus grand peut-être des écrivains vivants", ne pourriez-vous rappeler que BERNANOS l'écrivait aussi récemment ?..." (1947 ; d'après une note postérieure). - "Voici la phrase de de Gaulle dans une lettre à Saint-Robert [Philippe de Saint-Robert], du 22-2-68. Je n'ai pas noté le début, où il le remerciait de son livre sur moi, et qui était quelque chose comme : "comme vous nous le montrez bien..." et la suite allait ainsi (copiée, elle)... "longeant le bord de l'océan religieux, que son génie ne quitte pas des yeux, ni de l'âme, sans y pénétrer jamais"..." (21 janvier 1970). 

O tempora, o mores : "Mon article sur GENEVOIX lu hier soir à une scéance organisée à la Sorbonne..., n'a pas provoqué les "mouvements" que certaines phrases de la fin auraient pu faire craindre. Malheur aux anciens combattants. Dans le monde d'aujourd'hui, et plus encore de demain" (27 avril 1961). - "J'ai reçu votre article sur le Biafra auquel il est possible que je n'aie pas répondu, n'ayant aucune idée sur ce problème, & celui sur le Portugal, auquel j'ai répondu que le Portugal perdrait d'ici peu ses colonies, - et où j'ajouterai... que la France subirait bientôt le sort de la Tchécoslovaquie..." (30 septembre 1964).

La jeunesse : "Aucune époque que la nôtre, n'a vu le problème de la jeunesse autrement que "dans le cadre" du problème général de l'homme ; il y a là un dérèglement... ; les clercs, une fois de plus, ont emboîté le pas aux politiques, qui, eux, savent ce qu'ils font..." (26 décembre 1960). - "... La position que j'ai toujours eue devant les jeunes gens. Leur sensibilité, quelquefois leur générosité, leur insouciance du sacrifice sont admirables. Mais ce qu'ils pensent est sans importance. Que penser qui vaille qu'on l'entende quand on n'a ni expérience, ni jugement, ni culture, ni moyens d'information ?..." (3 novembre 1961).

Le mariage : "Personnellement, je ne suis pas l'homme du mariage, mais j'admire ceux qui peuvent mener tant de choses à la fois : une oeuvre, une femme et de nombreux enfants. Cela me serait et m'aurait été toujours proprement impossible..." (10 août 1965).

Vers la déchéance et le suicide : "Je viens de perdre un oeil définitivement mais l'autre est intact, et je ne suis pas défiguré..." (25 mars 1968).

Son testament spirituel : "... Je n'ai jamais cru qu'on eût besoin de "maîtres à penser". Ce sont des "maîtres à conduire" dont on a besoin, et, touchant la façon de se conduire dans la vie, j'ai résumé à peu près tout ce que j'avais à dire dans les trente dernières pages de Va jouer avec cette poussière..." (17 février 1970).

                                                                           Henry de Montherlant

 

* Paul Claudel

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19/08/2014 | Lien permanent

”Eclats de jours”, de Patrick Henri Burgaud, imprimerie Joost van de Paverd, 20/5/1988

mai 7 m.

 

GISÈLE


Danse minuscule d'un vin rare dans un verre pur
Le verre est ce blanc vide qui toujours sonne faux
De sable et d'argent délicat mensonge
Ivresse feinte petits mouvements pas de deux
Bohème luxueuse aux mains des captivantes
Filées pour scintiller par les nuits d'artifice
glaciales


Vin noir lourd fort âcre sang de taureau
Égorgé par les rails tangibles
Augure vaticinant les révoltes inutiles
Les taches sur la nappe qui prétendent à du sang
meilleur
Oublieux colérique insatisfait éventé
Par les gestes et les heures de l'attente longue


Alors le chant prestigieux obscur l'obédience sanglante
Le violon sans cordes le tympanon crevé
Les yeux troués par les rougeurs de braise
Les peaux noircies à la flamme pour dire vrai
Les bouches tordues dans le dos
Les gorges jetées


Faudrait-il avaler sa langue pour ne pas la trahir ?


Patrick Henri Burgaud

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23/01/2020 | Lien permanent

”Jours de Loire”, de Patrick Henri Burgaud, éditions Interventions à haute voix, 25/3/1994.

février 27 m.

Honorine


L'oiseau de fleurs d'oranger a fait son nid sous le globe de verre. Depuis longtemps il couve, accroupi sur le coussin de velours rouge. Les enfants le contemplent émerveillés car il est tout entier fait de nombreuses fleurs menues dont les pétales sont des perles. Les adultes le surveillent, sa présence dans la maison apporte le bonheur. Il est entré, il a tourné deux ou trois fois, ébloui, la fête brillait dans la maison. Puis, se dégageant de son plumage en tulle, il s'est accroupi sur le coussin de velours rouge. Il attend.


Patrick Henri Burgaud

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14/01/2020 | Lien permanent

Henri Bergson (1859-1941) : le poète, conçu comme un ”révélateur” ; avec, en regard, une oeuvre de Corina Sbaffo

A quoi vise l'art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l'esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le romancier qui expriment un état d'âme ne le créent certes pas de toutes pièces. Au fur et à mesure qu'ils nous parlent, des nuances d'émotions et de pensées nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle, l'image photographique qui n'a pas encore été plongée dans le bain où elle se révèlera. Le poète est ce révélateur.

 

Henri Bergson

La pensée et le mouvant, P. U. F., Paris, 1934

 

CORINA SBAFFO.jpg

Corina Sbaffo

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15/07/2019 | Lien permanent

”La vie de Van Gogh” de Henri Perruchot, Librairie Hachette, coll. Poche, 1er janvier 1959

Période charnière pour Vincent Van Gogh, l'année 1885 marque le départ de son atelier (un deux-pièces loué à un sacristain, qui finit par interdire à ses paroissiens de poser pour le peintre) et la rupture avec sa famille. En 1884, il avait profité de l'automne pour peindre pendant la mauvaise saison cinquante têtes de paysans.
Le 23 novembre 1885, il décide de quitter Nuenen où se trouvaient ses parents (il y vivra deux ans) et de gagner Anvers, "abandonnant sur place la plupart de ses œuvres, rejetant derrière lui son passé... "Il y a quelque chose d'extraordinaire, écrit-il à Théo, dans la sensation qu'il faut entrer dans le feu."

On a recensé pour la période de Nuenen quelque 240 dessins et environ 180 toiles. "Après le départ de sa mère en mai 1886, écrit J.-B. de la Faille, les œuvres de Van Gogh sont mises dans des caisses par des déménageurs et laissées en dépôt chez un charcutier de Bréda. Tout le monde les y oublie, même lui, et elles sont vendues plus tard à un brocanteur qui en brûle une partie, à laquelle il n'attribue aucune valeur. Ce qu'il garde, il le charge sur une charrette et le vend, en parcourant les routes, à raison de dix cents la pièce. La majeure partie est acquise par M. Mouwen, tailleur à Bréda. Grâce à cet achat, tout (sic) ce qui date de la période de Nuenen a été sauvé." ("Ou, du moins, pour être plus précis, ce qui nous en reste.) A noter que ces opérations se passèrent dix-sept ans après le déménagement de la mère de Vincent, en 1903 !"


Henri Perruchot

 

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31/08/2019 | Lien permanent

”Idéogrammes en Chine”, de Henri Michaux, éditions Fata Morgana, 14 juin 1975, 46 pages

Toute langue est un univers parallèle. Aucune avec plus de beauté que la chinoise.


La calligraphie l'exalte. Elle parfait la poésie ; elle est l'expression qui rend le poème valable, qui avalise le poète.


Juste balance des contradictoires, l'art du calligraphe, marche et et démarche, c'est se montrer au monde. - Tel un acteur chinois entrant en scène, qui dit son nom, son lieu d'origine, ce qui lui est arrivé et ce qu'il vient de faire - c'est s'enrober de raisons d'être, fournir sa justification. La calligraphie : rendre patent par la façon dont on traite les signes, qu'on est digne de son savoir, qu'on est vraiment un lettré. Par là, on sera... ou on ne sera pas justifié.


La calligraphie, son rôle médiateur, et de communion, et de suspens.


Une langue, en Occident, qui aurait eu seulement une parcelle des possibilités calligraphiques de la langue chinoise, qu'en serait-il advenu ? Les époques baroques qui s'en seraient suivies, et les trouvailles des individualistes, les raretés et bizarreries, excentricités et originalités de toute sorte...


La langue chinoise en était capable. Partout elle donne des occasions à l'originalité. Chaque caractère fournit une tentation.

 

Henri Michaux

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25/06/2020 | Lien permanent

”Henri Michaux : Les années de synthèse 1965-1984” éditions Galerie Thessa Herold

"Étrange émotion quand on retrouve le monde par une autre fenêtre - comme un enfant, il faut apprendre à marcher - on ne sait rien." Ces lignes, Michaux les écrit en 1931, quand, poète devenant peintre, il "changeait de gare de triage". Aujourd'hui, on regarde et on lit Michaux. On pense le connaître, mais "on ne sait rien". On approche des œuvres muni de ce seul rappel ancien : "Dans le noir nous verrons clair, mes frères" (1933).

La nuit remue. On entre dans le monde de Michaux, dans son mouvement : foules en marche, précipitations et ralentis, visages en mue, arborescences, monstres, multiplications, torsions, rythmes grouillements, tracés mouvants du dessin post-mescalinien... Le remuement de Michaux devient le nôtre. Il nous conduit à d'autres terres, au trouble, au péril, à la clairvoyance.

Le catalogue de l'exposition met en correspondance des œuvres et des textes. Ils n'appartiennent pas au même temps. Cette suite composée va du noir au noir. La première œuvre, de 1981, dialogue avec un texte de 1938 :
          Pour le moment
          je peins sur des fonds noirs
          hermétiquement noirs.
          Le noir est ma boule de cristal.
          du noir seul je vois de la vie sortir.
A la dernière page, une peinture datée 1982-1984, bâtie comme une des peintures noires de Goya, fait écho à cet écrit de 1964-1966 :
          La naissance de la Grande Mort
          de la Mort universelle
          a commencé
          (...)
          Tu vas continuer sans nous, Terre des hommes
          Tu vas continuer, toi.

Peut-on parler de ces années (1965-1984 : soit l'année où le peintre a acquis sa réputation et celle où il nous a quittés) comme d'"années de synthèse" ? Au catalogue, Rainer Mason (qui accompagne de ses écrits les œuvres du plasticien) lui-même en doute : "les travaux de Michaux sont d'une remarquable cohérence, comme la musique, ils produisent de l'inouï par les répétitions et les variations".

Le temps, qui asservit le lecteur de l'écrit, est volatilisé par la peinture : "pas de trajets, et les pauses ne sont pas indiquées, écrit le poète-peintre. Dès qu'on le désire, le tableau à nouveau, entier. Dans un instant, tout est là. Tout, mais rien n'est connu encore. C'est ici qu'il faut commencer à LIRE".

Lire Narration et Alphabet (1927). Lire tache, "Un poulpe ou une ville" (1926). Ou encore, un mot-monstre, un mot, et ses figures, Meidosem. "Plus de bras que la pieuvre, tout couturé de jambes et de mains jusque dans le cou, le Meidosem." Un mot à lire dans tous les sens, sans retenue, un mot qui excède ses figures graphiques, "tendu vers un monde où la suée même est sonore". Pour ma part, dans ce sème, dans ce meidosem, j'ai toujours entendu, surgi de la Théogonie et de la Tragédie, étymologique, un rire (le meido grec), en dépit des mots de la narration : "Oh ! elle ne joue pas pour rire. Elle joue pour tenir, pour soutenir". Le soutien d'un rire meidosem.

Les mots sont des "partenaires collants", et collante aussi l'huile de la peinture. Défiant, Michaux ruse avec ce médium. Il revint "voûté d'un grand silence" de sa première vue de Klee, à partir duquel il écrivit Les aventures d'une ligne. Tout se joue dans cette distance entre ce qui véhicule la pensée et son accomplissement. Dans ce retour au pré-langage qui mêle l'instinctif au culturel et le conditionne, à la réflexion. Dans une réalité dès lors recomposée, qui n'étouffe pas les moi initiaux, en quête d'identité.

Georges Raillard

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10/02/2021 | Lien permanent

”Le jardin exalté”, Henri Michaux, éditions Fata Morgana, 32 p., 14/6/1983, 1800 exemplaires

Voix sans pareille : Henri Michaux parle de lieux et de moments que l'on ne saurait situer, sinon dans la gorge, le regard, le cerveau qui sont les siens, les nôtres. Cela surgit d'entre les pages sans qu'il faille mettre un nom au frontispice du volume : voix aussitôt reconnue. L'aventure d'aujourd'hui concerne un coin de réel qui oscille entre le vu et l'inventé : tel est le Jardin exalté.

Les opérations de cette prose ne sont réductibles à aucun art poétique qui serait le partage du siècle. Elles se produisent sur fond anonyme de silence et d'ensorcellement. Un départ abrupt et anodin : "Il restait un peu du produit préparé, lorsque quelques jours plus tard on me proposa un jardin à la campagne. Quelqu'un voulait faire un essai." C'est le commencement d'une périlleuse expérience hors des limites de soi, maintes fois tentée, encore une fois réitérée. Vie et livre hors des normes et des bornes.

Le texte est fait d'une suite de paragraphes que séparent les ellipses des sensations et des pensées communes. Le reste du monde est abîmé dans ces trouées blanches de la typographie. Une attention sèche, anxieuse et comme mêlée à l'état second du drogué est accordée à quelques moments cernés de mutisme.

Le narrateur et sa compagne ont bu. Quels en sont les effets ? La métamorphose est permanente. L'organisme et l'univers deviennent des vases communicants. Le passage du produit dans le corps entraîne un monde autre. En gros plan, les impressions se déchiffrent sur la face de la partenaire, qui révèle à son corps défendant de multiples identités. Et soi-même (le narrateur, le lecteur), on se laisse assiéger par les mutations aiguës qui affectent les sens et les alentours : "Comme l'eau avance dans le lit d'un fleuve, pareillement la musique avançait dans le lit de mon être, entretenant, entraînant ampleur, et aspiration à l'ampleur." Malaise, vertige, euphorie.

Porté par cette prose, voilà qu'on sort de soi, rendu à la présence bruissante du jardin, "l'inespéré paradis" sans oripeau religieux ni symbole métaphysique. On déborde maintenant d'une félicité universelle qui n'est peut-être que l'intime conviction du sentiment d'exister un parmi tous. La matière a une âme, l'homme s'immerge dans cette âme matérielle qui lui offre enfin "le supplément attendu depuis longtemps".

On demeure confondu, au seuil du domaine, sous l'arbre de la connaissance, "là où l'indicible reste secret, sacré ". Là où la personne rejoint l'univers. Mutuelle étreinte, réciproque paraphrase.

Serge Koster

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22/02/2021 | Lien permanent

La communion de l'homme et de la nature, dans ”Le Jardin exalté”, d'Henri Michaux

   ... Car ces débordements passionnés avaient lieu au sommet d'un arbre (et je ne m'en étonnais pas), sur un vieux noyer, à la couronne large, si rare en cette essence, couronne double presque triple, quasi sans exemple, troupe dont chaque membre, infatigablement excessif, se précipitait en avant, se retirait, se reprécipitait sans repos.

   Exaspération sans personne, où toutes les parties, branches, feuilles et rameaux étaient des personnes et plus que des personnes, plus profondément remuées, plus bouleversées, bouleversantes.

   Individuellement, non communautairement, dans un rythme accéléré, où le vent réel ne paraissait pas pourtant le principal.

   Feuillage s'inclinant bas, rapidement, puis fougueusement remontant, puis ramené en arrière, puis repartant inlassable, pour l'inlassable dépassement, froissé, défroissé presque sauvagement, cependant en vertu d'une sorte de consécration, avec une grandeur unique.

   Beauté des palpitations au jardin des transformations.
   Assouvissements et inassouvissements partaient de l'arbre aux ravissements.
   Appels aux assoiffés, appels enfin entendus, exaucés. Le supplément attendu depuis toujours était reçu, était livré.

   L'infini chiffonnage - déchiffonnage trouvait sa rencontre.

   Et s'ouvrait, se refermait le désir infini, pulsation qui ne faiblissait pas.
   Entre Terre et Cieux - félicité dépassée - une sauvagerie inconnue renvoyait à une délectation par-dessus toute délectation, à la transgression au plus haut comme au plus intérieur, là où l'indicible reste secret, sacré...

Henri Michaux

* * *

Ndlr : c'est ici le dernier texte de Michaux sur la drogue, après la parution de "Par surprise"  le 24 mai 1983. Il m'a paru intéressant de donner en raccourci le parcours du poète jusqu'à son terme (Henri Michaux vient alors d'avoir 84 ans) sur les voies d'une énergie intérieure libérée, au fil de la moindre impulsion jusqu'à la plus vive, la moins prévisible, partant la plus délectable : "Là où la personne rejoint l'univers". Il n'y a pas chez le poète simple désir de s'extraire de son carcan existentiel pour jouir en spectateur de ce qui s'offre à lui mais bien celui d'accéder à l'essence des sensations dans leur surgissement et de les reconnaître pour telles sur le chemin de leur apparition, aussi fugitives en soient les ondes quand elles traversent l'être, le renouvelant de l'intérieur.

Le 8 août 1983, Michaux reçoit ces mots de Joyce Mansour à propos de son petit livre : "J'ai eu très peur en vous lisant. Vous êtes allé si loin sur le chemin du Soufi, n'est-ce pas ? J'ai eu vraiment peur en pensant par où et comment vous êtes passé. J'ai eu vraiment peur. Vous effleurez des choses si secrètes comme ça, du bout du pinceau. Heureusement vous êtes là au bout du fil des jours qui relie tant bien que mal l'oreille à la ville.
Je vous envie ce voyage-là. J'ai peut-être entrevu l'arbre immobile dans la tourmente, l'arbre furieux dans le silence, loin derrière les gigots et la palissade de la santé quotidienne. Assez pour reconnaître le danger de l'entreprise, la beauté du paysage et la sérénité du voyageur." in La Pléiade, tome III, pages 1825-1826.

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24/02/2021 | Lien permanent

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