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Le poète Thierry Metz : comment le numéro 52/53 de Diérèse qui lui était consacré a-t-il pu voir le jour ?

Ce fut une aventure extraordinaire que la naissance de ce numéro 52/53 de Diérèse, livraison codirigée par Isabelle Lévesque et votre serviteur. Pas assez remarqué par la critique au moment de sa sortie, sauf par Jérôme Garcin dans Le Nouvel Observateur.

METZ NOUVEL OBS.jpg

Le point de départ :
je prends le train depuis Paris jusques à Agen, pour rendre visite à Françoise Metz, la veuve de Thierry. La raison de ce déplacement ? Françoise possédait des 'inédits de son défunt époux. Un homme, un auteur qui n'était pas du sérail, un esprit libre, toujours en quête, happé par le monde, déboussolé face aux vents du destin... J'avais dans ma valise une boîte de chocolats Jeff de Bruges, pour m'annoncer, en quelque sorte ; au premier coup d’œil, la veuve de Thierry m'apparaît, brune aux longs cheveux longs, les yeux d'un bleu limpide. Simple aussi, mais jamais résignée face au malheur de sa vie : avoir été la femme d'un poète hors norme, l'avoir suivi dans ses errements, avoir vécu la rupture avec Thierry au décès de son fils Vincent - dont il avait la garde -, percuté mortellement sur une route nationale, en allant récupérer son ballon.

Nous déjeunons avec Françoise dans un restaurant point trop éloigné de la gare, les confits de canard y étaient absolument excellents. Tout en elle est vrai, rien ne défaut. Le contact s'établit : nous avons eu trois enfants, Thierry en voulait six. Je relis Jérôme Garcin dans "Littérature vagabonde" (Flammarion, janvier 1995) : "Thierry Metz est un autodidacte qui, aux confins de l'aphasie et du poème, nous réapprend les égards dus à la syntaxe de la vérité, aux locutions du coeur. Avec sa pioche, Thierry extrait des diamants noirs". Puis j'apprends que Gallimard lui a fait des misères, pour la réédition en poche du "Journal d'un manœuvre", qui a bien tardé, à nouveau épuisé dans la collection.

Nous sommes le 29 novembre 2010. Françoise Metz me confie une valisette contenant le dernier agenda que Thierry a eu entre les mains avant de passer de vie à trépas. Au téléphone, elle m'a prévenu : "Ces quelques lignes de Thierry ne présentent sans doute pas grand intérêt." ! Et pourtant : il s'agit du tout dernier livre que Thierry envisageait de publier chez son ami Didier Periz, son dernier éditeur, en fait. Plus qu'une esquisse,un antélivre où se lit toute la charge affective qui s'y rapporte. Mais quel en est le sujet, je l'ignore encore et vais le découvrir.

... J'avais en poche mon billet de train pour le retour dans la capitale, où je devais reprendre le travail le lendemain, rue du Charolais, dans le douzième arrondissement. Muni de ma valisette (qui contenait le précieux Carnet d'Orphée manuscrit, sur un agenda de poche, des photographies...), nous nous quittons, vers 15h00, Françoise et moi. Je me rends alors, pour attendre mon train de nuit, au Musée des Beaux-Arts d'Agen, pour y découvrir cinq tableaux de Francisco Goya, joyaux un peu perdus dans une ville de province. Son autoportrait, évidemment, où le peintre à mon sentiment ne se ménage pas. Très peu de visiteurs, je passe pour un original mais qu'importe. Question d'habitude. Non sans avoir acheté quelques cartes postales, je traîne donc jusqu'à l'heure de la fermeture, l'employée me rappelant à l'ordre, à 17h55 : "la sortie Monsieur, c'est par là".

J'ai de la lecture dans mon bagage, un livre de Pascal Pfister, Celui qui se tait,à la page 9 où je m'étais arrêté dans le train :
     Cette douleur n'est rien
     qu'une torche jetée dans le réseau
     des nerfs, l'image
     entr'aperçue de la mort
     aussitôt revoilée
     rien qu'un point
     tenace, ressouvenir sans corps
     sans voix - et peut-être
     tout le passé, tout
     l'avenir, cette douleur"

Après cet intermède, il convenait de me sustenter un peu. Un sandwich garni d'une tranche de roastbeef, quelques cornichons maculés de moutarde ont fait si je puis dire mon affaire ; puis une Desperados pour me désaltérer. Sur le quai, il était près de 21 heures, la nuit a gardé pour moi un goût de journée. On entend la motrice faire des essais, ça tremble un peu, un peu plus, on dirait que ça fume, puis flop, flop ! Tout s'arrête, j'ai un mauvais pressentiment. Au bout de 20 minutes de tentatives infructueuses, les gens se regardant, toussotant, s'impatientant poliment, un agent nous annonce au micro que la motrice rencontrant d'insurmontables "problèmes techniques", il convenait que les passagers descendent sur le quai et empruntent le prochain train pour Toulouse.

Arrivés à Toulouse, ce serait à minuit passé que s'élancerait le valeureux convoi en direction de la Ville lumière. Du temps à tuer, encore. Les abords de la gare, assez sympathiques, un café pour refuge.

Les noctambules, un peuple bon enfant, partagé entre ceux qui cherchent et ceux qui ont trouvé, ceux pour qui le sommeil est un détail... Après avoir regagné le train qui rallierait la capitale, je me love dans la mezzanine, la tête vers la vitre ; un compartiment des plus étriqués, quelques banalités échangées avec mes voisins de compartiment avant que ne s'éteignent les loupiotes. J'ignorais alors qu'on surnommait ce convoi "le train des voleurs", les exactions y étant à l'époque loin d'être exceptionnelles. Bien sûr, ayant trop de respect pour cette noble compagnie, je me garderai de confirmer aujourd'hui la mauvaise réputation de ce train de nuit, aux multiples escales. Je crains de ronfler un peu plus fort qu'à mon habitude et garde mon portable à touches près de mon oreille. L'estomac gargouille déjà un peu. La valisette, vert bronze, derrière ce qui fait office d'oreiller.

L'arrivée ? : à plus de midi, c'est un vrai tortillard. Je ne pourrai donc reprendre mon travail que l'après-midi (prévenir mon employeur, en invoquant un cas de force majeure, mais pas d'appel avant huit heures). Malgré l'inconfort manifeste, il s'agit de tenter de dormir un peu, au mieux. Jusqu'à 5 heures du matin, c'est allé à peu près... Non sans cligner des paupières, j'ouvre alors le rideau du compartiment, jette un œil en extérieur : nous nous sommes arrêtés je ne sais trop où, on palabre sur les quais. J'ai tout de même eu le temps de rêver. [En haute montagne, un hélico venu me porter secours, montée avec la petite échelle de corde et descente dans la vallée, où le soleil est au rendez-vous]. Les yeux mi-clos, j'émerge abruptement du sommeil : juste le temps de m'aviser que quelqu'un ouvrait la porte à glissière, farfouillait d'une main preste dans les premiers bagages accessibles, pour repartir illico, en refermant la porte, et en nous replongeant dans l'obscurité.

A six heures et quelques, une furieuse envie d'uriner me prend. Je descends de la mezzanine, précautionneusement. Prends le couloir ; par chance, pas de file d'attente. Retour au bercail : mon voisin du dessous est en train de fouiller le bagage aux pieds de celui qui dort à poings fermés, au même niveau que moi, mais de l'autre côté. Je le dévisage, il s'arrête donc, et l'air de rien retourne à son lit. Flash : je me dirige illico vers mon semblant d'oreiller (un pull-over roulé sur lui-même) et ouf ! la valisette que dans mon empressement j'avais laissée sans surveillance côté fenêtre n'a pas bougé d'un poil, je l'ouvre pour en vérifier le contenu, tout y est, j'ai eu très chaud. Et ne la quitterai désormais plus des yeux.

Tout aurait donc pu s'arrêter là. Car c'était un manuscrit original que je transportais. Me souvenais alors de ce qui était arrivé à Henri Thomas, qui a perdu un jour un manuscrit dans un taxi ; mais ce n'était que le sien. [Rien ne vaut le numérique, drôle de l'entendre sous ma plume, n'est-ce pas ?]... Inutile d'ajouter que le sommeil m'avait définitivement quitté. Il me tardait d'arriver à Paris pour prendre un café double bien serré. J'ai repris mon Journal en main là où je m'étais arrêté la veille au sortir du musée des Beaux-Arts : calepin sur les genoux, me remettant à écrire lorsque les rideaux du compartiment tirés ont laissé entrer la lumière diurne. Stressé et heureux en même temps : un contentement tout intérieur, avec la sensation d'être passé à côté du pire et d'avoir été épargné.

Amitiés partagées, Daniel Martinez

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02/07/2019 | Lien permanent

Le numéro 59/60 de Diérèse, paru au printemps 2013 : Nicolas Dieterlé (1963-2000)

Co-dirigée par Isabelle Lévesque et Daniel Martinez, dans cette livraison de Diérèse le lecteur y découvrira des inédits de Nicolas Dieterlé, mais aussi des reproductions de son œuvre de plasticien, incluses dans son catalogue raisonné, paru quelques mois plus tard, aux éditions Libel.

Les poèmes qui suivent sont de la main de Jean-Claude Pirotte que j'avais sollicité pour rendre hommage à Nicolas (un autre "suicidé de la société"), JCP qui s'était plaint de n'avoir jamais reçu, malgré sa demande, de service de presse de l'éditeur de L'Aile pourpre (2004). Qu'importe après tout, je lui avais alors  expédié le nécessaire et voici en retour son envoi, venu du fond du cœur, des poèmes qui trouveront place pages 51 à 67  du n° 59/60 de Diérèse (ils ne seront pas repris en livre). J'en retiens en particulier ces vers : "maître de quoi mais de rien", superbe envolée de celui qui se savait condamné et qui, en des lettres déchirantes, me tenait au courant de sa maladie, reportez-vous à la catégorie du blog correspondante : "Jean-Claude Pirotte", vous comprendrez. Pour l'heure, voici :

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pour Nicolas Dieterlé


            de Nicolas Dieterlé
            je n'ai lu que quelques textes
            c'est le merle rédempteur
            qui m'a servi de prétexte


            et s'il parcourt les allées
            le matin quand le soleil
            est masqué par les nuages
            je le suis je tends l'oreille
            j'écoute le paysage


            mais toujours la mort nous traque
            et les sbires à matraque
            frappent le rêve des arbres
            en nous cherchant à la trace

 

*

            je trébuche à ton appel
            Nicolas je me rappelle
            que les oiseaux se sont tus
            un soir je ne sais pourquoi


            il n'y avait pas de battue
            ni de chasse dans les bois
            nous étions pris de silence
            et les arbres qui se penchent


            pleuraient par toutes leurs branches
            et pas un souffle de vent
            pas même un engoulevent
            pour ranimer la confiance

 

*

            je transforme les étoiles
            en quelques nœuds papillons
            la Grande Ourse porte un voile
            mais le nœud c'est pour Orion


            j'aime les constellations
            qui défient la raison
            je les regarde lancer
            des éclats dans le passé

            si je vis elles se meurent
            mais si je meurs elles vivent
            au ciel qui est leur demeure
            comme aussi leur livre d'heures

 

*

            Nicolas prenait la poudre
            d'escampette en son jeune âge
            il explorait le finage
            il recueillait les images


            il parcourait les parages
            il avait du grain à moudre
            en son moulin de lumière


            il traversait la rivière
            du temps et le chapelet
            des heures se déroulait


            tel cortège de galets
            ou bien cortège d'étoiles
            qui sont peintes sur la toile
            de la nuit ô Dieterlé

 

*

            je fais face à mon carnet
            et je pense à Nicolas
            et je pense à ces années
            où j'aurais pu le connaître


            il est né bien après moi
            déjà j'étais avocat
            alors qu'il venait de naître
            et les gens m'appelaient maître


            maître de quoi mais de rien
            bientôt j'ai cessé de l'être
            à l'époque où Nicolas
            se transportait au Bénin

            Nicolas était en quête
            de son enfance africaine
            et moi je n'étais en quête
            que d'argent pour la semaine

*

            aujourd'hui le ciel est clair
            mais tu n'attends pas demain
            en toi qui sait quel éclair
            de douleur fustige moins


            ton corps que ton âme il est
            peut-être temps de la mort
            tu te nommes Dieterlé
            tu voudrais n'être personne


            sinon cet oiseau chanteur
            qui peuplait de chant les heures
            de l'enfance dans un autre
            grand continent que le nôtre

 

*

            Nicolas je te confie
            ma peine tu ne m'entends
            qu'à travers l'ombre du temps
            à travers le sang des vies


            et le feu des dépressions
            qui nous enduisent de suie
            et nous privent de passion
            sinon celle de mourir

 

*

            tu es là tu me convies
            à partager avec toi
            le secret de l'outre-vie
            je t'écoute je te lis

            je te cherche sous mon toit
            fantôme aussi fraternel
            que mes poètes élus
            nous ne sommes toi et moi

            pas du tout des inconnus
            et tes livres sont des ailes
            d'oiseau-mouche ou d'hirondelles
            que j'ai vite reconnues


Saint-Léger, novembre 2012
Jean-Claude Pirotte

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06/05/2019 | Lien permanent

Gu Cheng (1957-1993)

Un poète maudit, né en 1957, qui s'est pendu après avoir tué sa femme, Xie Ye, à coups de hache, le 8 octobre 1993. Qu'on ne se méprenne pas, ses poèmes ne reflètent en rien cette fin violente ! En voici un, par exemple :

 

j'attends


toi qui me connais
c'est pour toi
tu as allumé toutes les étoiles toutes les lampes
et je sais
quand tout sera calmé
éteint dans le désespoir de la fatigue
tu arriveras
t'approcheras de moi par derrière
avant le premier cri d'oiseau qui réveille
tu t'approcheras
défaisant ta longue écharpe vert-pâle

 

tu es l'aube

 

                                     février 1982
                                     trad. Isabelle Bijon

 

Gu Cheng


Editions Les Cahiers du Confluent, 1987, poème extrait du livre
Les Yeux noirs, paru en mars 1986 à Pékin, aux éditions du Peuple.

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16/09/2017 | Lien permanent

”Indalo”, Christian Saint-Paul, éditions Encres Vives, 6,10 €

Christian Saint-Paul que les auditeurs de "les poètes" (le jeudi de 20h00 à 21h00 sur Radio Occitania) connaissent bien, a publié en avril 2015 Indalo aux éditions Encres Vives qu'anime Michel Cosem. Wikipédia nous renseigne sur ce nom pas très commun : "l'indalo est le symbole de la ville d'Almería, de sa province et de ses habitants". Cette charmante ville d'Andalousie, son petit aéroport où les cigales se laissent entendre en soirée, est un point d'ancrage idéal pour déguster d'excellents fruits de mer en bord de côte à Roquetas de Mar (simple suggestion de votre serviteur, au demeurant).

Mais trêve de digressions, ce recueil mérite à plus d'un titre votre attention. J'ai particulièrement aimé les poèmes 10 et 11, et ne puis résister au plaisir de citer le premier ici :

10
Le poète par sa naissance
possédait le nom de cette ville pétrifiée de soleil :
Lorca
imitant Henri-Marie-Raymond de Toulouse-Lautrec
qui portait haut le nom de la cité occitane...
Pour se hisser à la Forteresse du Soleil
- nom du château qui protège la ville -
nous grimpons dans le quartier gitan
où la vie enfin apparaît
refoulant l'empreinte d'une vieille tragédie....
Le poète Pechuge
a vécu là au pied de ce quartier en hauteur.
Lorca
le fête
reconnaissante de ses beaux vers sur la ville...
Dans la Forteresse du Soleil
priaient les Juifs.
Les paroles psalmodiées s'en sont allées
avec le vent des oiseaux.
Dans les grands jardins
les religions se sont enfuies
vers un héritage invisible...
Les chrétiens de Lorca
qui n'avaient pas de portes du non-retour à passer
laissèrent les lieux en l'état.
Désabrité en sa demeure
Dieu a veillé sur sa pauvreté
et seule en Espagne cette synagogue
n'a pas été reconvertie
en temple chrétien.

                   Christian Saint-Paul

Cette "tolérance" religieuse se retrouve dans les vers du poème 11, avec cette fois l'évocation du château Nogalte, et des habitations troglodytes qui l'entourent, comme en Afrique (nous ne sommes pas loin de Tanger). La rivière El Cano ressemble à s'y méprendre aux oueds asséchés dont nous a longuement parlé Isabelle Eberhardt... Ce recueil de Christian a été chroniqué in Diérèse 66.

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02/10/2017 | Lien permanent

Le musée Camille Claudel de Nogent-sur-Seine : 26 mars 2017

Il aura fallu deux films, bientôt trois, pour qu’on sache qui était Camille Claudel. Isabelle Adjani en 1988, Juliette Binoche en 2013 et Izïa Higelin dans Rodin, en salles le 24 mai 2017, ont prêté leurs traits à la sculptrice du XIXe siècle et lui ont permis de retrouver sa place dans l’art. C’est en partie grâce à elles que la ville de Nogent-sur-Seine (Aube) a mis le paquet – 12 millions d'euros – pour lui créer un musée dédié, qui a donc ouvert le 26 mars.

Quand Auguste Rodin, sculpteur reconnu de 43 ans, rencontre Camille Claudel, 19 ans, c’est le coup de foudre. S’ensuit une relation passionnelle qui se terminera dans la douleur. Dans Camille Claudel, elle est vue comme sa muse, lui comme son mentor. Jusqu’au moment où elle sombre dans la folie, pensant qu’il l’a utilisée pour se mettre en valeur. « Elle avait une affinité avec le style de Rodin, car leur sensibilité était commune », commente Cécile Bertran, conservatrice de ce nouveau musée. Au-delà de leurs amours, Rodin et Claudel sont surtout dans une incroyable relation d’émulation artistique. « Leur confrontation a été déterminante pour le développement de l’œuvre artistique de chacun », explique Cécile Bertran. Le musée le montre en mettant en avant leur travail autour du Baiser, la manière dont Rodin a repris La jeune fille à la gerbe de Claudel, ou encore en mettant côte à côte leurs œuvres toutes deux intitulées Femme accroupie.

Si Camille Claudel avait un talent comparable à celui d’Auguste Rodin, comment se fait-il qu’elle ait dû devenir une héroïne de cinéma pour qu’on s’intéresse à elle ? « De son vivant, Rodin avait fait une grosse donation à l’Etat pour ouvrir son musée à sa mort, rappelle Cécile Bertran. Tandis que l’internement de Claudel, les trente dernières années de sa vie, ne lui a pas permis de valoriser son œuvre ». Le musée créé à Nogent-sur-Seine rend enfin justice à la sculptrice d’exception. Il replace son œuvre dans la continuité des sculpteurs nogentais du XIXe siècle pour montrer sa singularité. Évidement, Rodin occupe une grande place dans la visite, notamment grâce à des prêts de musées. Mais sa présence est limitée à son influence, donnant toute leur ampleur aux spécificités de Camille Claudel.


                                                                      Claire Barrois

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27/03/2017 | Lien permanent

Journal du confinement VI

Il s'agit d'entretenir ma flamme. Pour le principe : sous la voile gonflée du ciel, le crépuscule advenu, couleur de violette et d'abricot. J'ai laissé mon ombre disparaître avec la nuit et vu se lever la pleine lune. Et sous un regard parfaitement accommodé, tiges feuilles hampes et fleurs ont commencé à veiller du désir qu'elles ont de se deviner vivre sous la lumière du Petit véhicule.

... Nous jouions "Intermezzo" de Giraudoux. La rencontre d'Isabelle (jouée par la fille du procureur de la république, à Sousse) avec le spectre se passait de nuit, sous une lumière blafarde. Il apparaissait sur la scène, sous une cape d'un bleu des plus sombres, dans un silence quasiment religieux. D'un côté les ténèbres, de l'autre, la voie magnoliale, avec le contrôleur des poids et mesures que j'incarnais, plus ému que la belle, majestueuse dans sa robe si finement plissée à la taille. Je n'imaginais pas pouvoir un jour porter un rôle, comme on porterait un costume, ici couleur Nil, ni goûter à fleur de langue, aux grottes embaumeuses des mots. Loin derrière, dans la nuit des années. Non, je n'imaginais pas.

Mais quelles leçons la vie nous donne-t-elle au juste ?... Sous le bitume craquent encore les racines du songe. Ai grimpé quelques marches - mais par quel miracle ?, j'étais revenu villa Mauricette : ma Première demeure. Un jardin s'offrait à ma vue, rien n'avait vraiment changé depuis. Assis sur le sol, jambes croisées, quêtant un peu d'ombre. Des néfliers à main gauche ; un immense figuier à main droite. Un roseau fendu en étoile à son extrémité, tenu à bout de bras, me permettait de cueillir sans trop de mal les fruits de l'Arbre, fruits qui fleuraient le miel de la ruche. Plus loin, des ceps de vigne, des grappes d'un raisin trop vert et point mûr encore, caressées du bout des doigts elles viraient à l'or sous l'astre étincelant. Le mur de clôture côté est, envahi de lierre sombre et maintes fois escaladé, ouvrait sur un cimetière de chats que les locaux abandonnaient là, in fine, à ciel ouvert. De sombres oiseaux leur dévoraient l'intérieur, jusqu'à. Une odeur de mort et de décomposition émanait de ce lieu, étouffée quelque peu par celles des lentisques, des aulx sauvages et des arbousiers, çà et là mêlés à la pâte du monde, sa face obscure.

C'était un autre temps, une autre vie du temps qui me pesait si peu au fond, sans que je puisse faute de recul en juger alors, à peu près inconscient de ce que me réserverait la suite, par surprise. Oui, sans l'avoir vraiment recherché, j'avais perdu de vue un certain Charles Tombarello dont le père était négociant en vins, un adolescent farfelu qui n'aimait rien tant que de débusquer des scorpions sous les feuilles tombées à terre des eucalyptus pour d'un jet de pierre les broyer net. Encore, mais sans en concevoir de réelle amertume, et dans un registre plutôt sentimental, je m'étais éloigné de Martine Fortunato qui ne voyait en moi qu'un littéraire introverti, coupable à ses yeux de n'apprécier du réel que sa face cachée. Certes. C'était sans compter l'amitié, pour la complémentarité ressentie et quand la solitude me pesait un peu trop, portée à Étienne Cailleaux. Nous parlions sans plus attendre des prochaines grandes vacances en métropole ; ou, à l'occasion, de problèmes mathématiques qui pouvaient m'embarrasser l'esprit ; et lui les résolvait d'une pichenette, le sourire aux lèvres, fier sans jamais être méprisant. C'était son point fort, c'est toujours mon point faible.
Faut-il le préciser, les noms que je cite ici n'ont rien d'inventé, ils ont su résister à leur manière au constant effilochement de la mémoire, sauve quand elle arrive à fixer ses prises, comme sur un mur d'escalade : elles ressuscitent alors, en surbrillance, ce que Lessing évoquait dans le Laocoon,
"l'instant prégnant". Aujourd'hui perdu, à des années-lumière.

 

Daniel Martinez

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08/04/2020 | Lien permanent

Le catalogue complet des éditions Marchant Ducel (alias Franck André Jamme). Troisième partie

Les grands poètes ont donné de grands traducteurs. Charles Baudelaire, bien d'autres, et, plus proches de nous, Philippe Jaccottet, Yves Bonnefoy qui a entièrement revu la traduction d'Ode à une urne grecque, du regretté Keats chez Marchant Ducel, à titre d'exemple exemple.
Rien de pétrifié derrière cette démarche (autant constructive qu'évolutive), bien au contraire. Car le texte continue à vivre, quelle que soit la langue dans laquelle il a séjour. L'étrange étrangeté de la poésie est cette faculté qu'elle a de croître d'une langue à l'autre, d'une époque à une autre, d'un continent à l'autre, grâce à ces subtils intercesseurs que sont les poètes. La poésie est un lieu de partage ; elle est, dans son faire (poïeïn), mémoire de soi et du monde, en même temps que conquête de l'inconnu (en soi, en l'autre), faut-il à cette heure plus que jamais le rappeler ? DM

Troisième et dernière partie :

24. John Keats. Ode à une urne grecque, édition bilingue, traduite de l'anglais par Yves Bonnefoy.
19,5 x 15,5 cm, 28 pages, 49 ex. sur Larroque, dont 20 avec une aquarelle de Dominique Gutherz, imprimé en février 1987 par Franck Meyer, Paris. E.O.

25. Roberto Juarroz. Poésie verticale, édition bilingue, traduite de l'espagnol par Roger Munier.
26,5 x 15 cm, 28 pages, 49 ex. sur Larroque, dont 20 avec une aquarelle de Lucie Ducel, imprimé en février 1987 par Franck Meyer, Paris. E.O.

26. Franck André Jamme, Trois feux.
15,5 x 15,5 cm, 20 pages, 49 ex. sur Larroque, dont 16 avec une gouache de Pierre André Benoît, imprimé en mars 1987 par Gilles Couttet, Le Pontet. E.O.

27. Gérard Macé. Tête-Bêche.
21,5 x 15,5 cm, 20 pages, 49 ex. sur B.F.K. Rives, dont 31 avec une encre de Pierre Alechinsky, imprimé en juin 1987 
par Franck Meyer, Paris. E.O.

28. André Velter. Celle qui passe comme une ombre.
21,5 x 15,5 cm, 20 pages, 49 ex.
sur B.F.K. Rives, dont 20 avec un dessin d'Antonio Saura, imprimé en mai 1988 par Franck Meyer, Paris. E.O.

29. Claude Michel Cluny. Trois visions de l'éphémère.
24 x 21 cm, 16 pages, 49 ex. sur
Arches satiné, dont 31 avec une encre de François-Xavier Fagniez, imprimé en octobre 1988 par les Frères Mérat, Paris. E.O.

30. Al-Niffari. La Halte de la proximité, traduit de l'arabe par Sami-Ali.
21 x 17 cm, 20 pages, 49 ex. sur vélin d'Arches, dont 24 avec une calligraphie de Sami-Ali, imprimé en février 1989 par Franck Meyer, Paris. E.O.

31. Octavio Paz. Premier de l'An, édition bilingue, traduite de l'espagnol par Jean-Claude Masson.
18,5 x 14 cm, 22 pages, 45 ex. sur B.F.K. Rives, dont 24 avec un dessin aquarellé de Dominique Gutherz, imprimé en juin 1989 par les Frères Mérat, Paris. E.O.

32. Edmond Jabès. L'Etranger.
22 x 18 cm, 20 pages, 49 ex. sur B.K.F. Rives, dont 20 avec une peinture d'Antonio Saura, imprimé en juin 1989 par les Frères Mérat, Paris. E.O.

33. Yves Peyré. L'Ombre d'un cri.
27 x 20 cm, 24 pages, 49 ex. sur Larroque, dont 25 avec une peinture de Gilbert Pastor, imprimé en avril 1990 par Gilles Couttet, Le Pontet.
E.O.

34. Guillevic. D'un littoral.
22 x 16 cm, 24 pages, 49 ex. sur vélin d'Arches, avec une gouache de Marie-Michelle Esnard, imprimé en février 1993 par Jean-Jacques Sergent, Cléry-Saint-André. E.O.

35. Bernard Noël. Un petit Pan de vue.
23,5 x 16,5 cm, 24 pages, 49 ex. sur
vélin d'Arches, rehaussé d'un dessin aquarellé de Geneviève Besse, imprimé en juillet 1994 par Jean-Jacques Sergent, Cléry-Saint-André. E.O.

36. Masahiko Akuta. Miroir d'une fleur, édition bilingue, traduite du japonais par Makoto Asari et Isabelle Flandrois.
21,5 x 19 cm, 24 pages, 49 ex. sur B.K.F. Rives, dont 27 avec une peinture de Itsuro Watanabe, imprimé en juillet 1994 par Jean-Jacques Sergent, Cléry-Saint-André. E.O. Chaque exemplaire est accompagné de la reproduction d'une lettre d'Alain Cuny en hommage à Aoï Nakajima, et de sa traduction en japonais par Makoto Asari.

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08/05/2021 | Lien permanent

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