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21/03/2016

Vie d'Antonin Artaud

Peu avant Noël 1942, Robert Desnos adresse un courrier à Euphrasie Artaud : "Madame, dès le lendemain de votre visite je me suis occupé de votre fils et de mon ami. J'ai la joie de vous dire aujourd'hui que mes démarches ont abouti. Si vous êtes d'accord mon ami le Dr Ferdière de passage à Paris emmènera Antonin avec lui dans l'asile dont il est le Directeur et où il garantit qu'il sera bien nourri, bien traité et même qu'il jouira d'un relative liberté. L'hôpital dont il s'agit est celui de Rodez en Aveyron." Il laisse son numéro de téléphone en cas de besoin : Opéra 89-31. En janvier 1943, il avertit Gaston Ferdière : "Je suis allé à Ville-Evrard jeudi, Artaud devait partir le lendemain vendredi 22. Je l'ai trouvé en plein délire, parlant comme saint Jérôme et ne voulant plus partir parce qu'on l'éloignait des forces magiques qui travaillent pour lui. [...] il paraît bien installé dans ses phantasmes et difficile à guérir." Desnos ajoute en post-scriptum : "Artaud va certainement me considérer comme un persécuteur !"

Après six ans d'internement (à Sotteville-lès-Rouen, Sainte-Anne, Ville-Evrard) et quelques péripéties pour franchir la ligne de démarcation, Artaud arrive à Rodez le 11 février 1943. Ferdière l'invite à sa table, il l'invitera souvent. Artaud "engloutit bruyamment les aliments, les triture sur la nappe, rote en mesure, crache par terre et, avant la fin du repas, se met à genoux pour psalmodier." Plus tard, à Paris, invité chez les Dullin, il pisse sur le tapis au prétexte que les chiens le font bien.

Dès le mois de mai, il réclame quelques améliorations de l'ordinaire : prendre un bain chaque jour, éviter la promiscuité de la baignade en commun, (qui "offense [ses] sentiments religieux et [sa] chasteté"), être rasé tous les jours, "car il n'y a rien qui maintienne dans un mauvais état mental comme de ne pas être rasé." Il réclame une brosse à dents, bien qu'il n'ait "à peu près plus de dents", il lui en reste "exactement 8 sur 33". Il veut aussi du miel, du riz sucré, de la semoule et du tabac. Il écrit à sa famille pour lui demander du beurre, du chocolat, des galettes. Il réclame de l'opium, "antidote de l'érotisme et des envoûtements", ou, à défaut, de l'héroïne, du laudanum, de la morphine, de la mescaline. Il communie trois fois par semaine, fume, chique et prise. Il ignorera, la guerre durant, l'existence d'une carte de tabac. Il a besoin d'un pantalon neuf, d'une chemise, "n°40 de tour de cou" et d'une "cravate bleu foncé". Lors de sa sortie définitive, on peinera à lui trouver une paire de chaussures ; il a de très grands pieds.

"La main d'Artaud a dû réapprendre à écrire, à dessiner", dit Gaston Ferdière. On lui procure des carnets de brouillon, "des crayons de toutes sortes et du papier de tous formats". Le médecin l'incite à répondre aux lettres de ses amis, à Jean Paulhan, Henri Parisot et d'autres...

Antonin raconte la légende des Saintes-Marie-de-la-Mer. Les saintes Maries, qui ont abordé là après le supplice du Golgotha, étaient quatre : Marie-Bethsabée, Marie Galba, Marie l'Egyptienne et la Vierge Marie. Le nom civil et social de l'une d'entre elles était Marie Nalpas (nom de jeune fille de la mère d'Antonin). Divers occultistes réputés l'ont confirmé ! L'histoire peut continuer, certainement. "[...] moi, je ne suis plus qu'un écrivain qui se remettra certainement à écrire dès qu'il se sentira un peu plus heureux, ce qui lui revient ici de jour en jour et depuis quelques jours." Dont acte.

Jacques Lacan a examiné Artaud à Sainte-Anne, en 1938, il l'aurait déclaré définitivement "fixé" et perdu pour la littérature. En avril 1946, Antonin écrit à Ferdière : "Vous donner à lire à vous un de mes textes n'a jamais été pour moi le soumettre à l'administration, mais au contraire le donner à lire à un ami qui a toujours aimé ce que j'écrivais dans le vif de la vie."

A lire, toutes affaires cessantes, à la BnF car l'éditeur a fait faillite, et la plupart des exemplaires de ce livre ont été passés au pilon : "Les mauvaises fréquentations, mémoire d'un psychiatre", de Gaston Ferdière, éd. Jean-Claude Simoën, août 1978.

Je vous parlerai un autre jour de Marie-Louise Termet, la femme dudit médecin, qui devait quitter Gaston Ferdière pour vivre avec Henri Michaux... et quitter ce monde, dans des conditions tragiques.

16:46 Publié dans Artaud | Lien permanent | Commentaires (3)

Commentaires

C'est poisseux et terrible. La folie... comme une terre inhabitable...

Écrit par : christiane | 04/05/2014

Antonin Artaud est aussi un auteur reconnu, hors normes certes, que l'on peut mieux décrypter à la lumière de sa folie. Pour mémoire, citons "L'ombilic des limbes", "Les Tarahumaras", "Van Gogh ou le suicidé de la société"...

Écrit par : Daniel Martinez | 04/05/2014

Oui, je le sais, Daniel mais quel prix il a dû payer pour cette écriture hallucinée...

Écrit par : christiane | 04/05/2014

Les commentaires sont fermés.