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16/01/2017

Eloge de la petite édition, opus 1

Pierre Jourde, qui a été professeur à l'Université de Grenoble III (Stendhal), nous parle aujourd'hui d'un sujet qui lui tient à cœur :

La France est sans doute le pays du monde où le système de soutien à la création littéraire est le plus puissant et le plus complet : prix innombrables, foires ou salons du livre répartis sur toute l'année et dans tous les départements, nombreux périodiques spécialisés, bourses de création et résidences d'écrivains. Il faut ajouter à cela un dense réseau de librairies. Beaucoup de leurs propriétaires organisent des rencontres avec des auteurs, sacrifient leur temps et leur argent pour défendre la littérature. Un tel système permet à de nombreux écrivains de vivre et de se faire connaître.

La diversité des maisons d'édition, aussi bien par la taille que par la spécialité, est un élément déterminant. Sans les petits éditeurs de littérature, beaucoup d'écrivains ne parviendraient pas à trouver leur place. Non que l'on publie dans les petites structures des ouvrages plus intéressants que chez Gallimard ou qu'au Seuil. Le choix n'y est, proportionnellement, ni pire ni meilleur. Mais elles exercent au moins quatre fonctions essentielles : permettre à de jeunes auteurs d'accéder à la publication ; assurer la survie de genres peu commerciaux ; faire passer en France toute une partie de la littérature étrangère ; rééditer certains écrivains oubliés.

Reste à savoir ce que l'on appelle "petite édition" en littérature. Bien souvent, un petit éditeur en cache un gros, dont il ne constitue en fait qu'une collection. Le véritable petit éditeur est indépendant. Il est diffusé en général par un distributeur spécialisé dans les maisons de taille restreinte, ou bien pratique l’auto-diffusion. Il fonctionne avec une ou deux personnes, souvent sur la base du bénévolat. Pour certains, l'édition est un violon d'Ingres coûteux, et dévoreur de temps. Quant à vivre de cette activité, ce n'est jamais facile.

Les éditeurs riches disent souvent que publier des écrivains médiocres mais vendeurs leur permet d'éditer des auteurs difficiles. Certes. Mais, dans la plupart des cas, ces auteurs ne trouvent refuge, paradoxalement, que chez les éditeurs modestes. Lorsqu'un débutant a été refusé par toutes les grandes maisons, il se tourne vers une petite. S'il parvient au succès, il arrive fréquemment qu'il la quitte et qu'il soit récupéré par une grosse structure qui a les moyens de la faire accéder plus vite à la notoriété et aux prix.

Olivier Bessard-Banquy, in L'Edition littéraire aujourd'hui, Presses universitaires de Bordeaux, 2006 (p. 18) résume parfaitement le cas édifiant de Michel Houellebecq, qui a fait paraître son premier roman chez Maurice Nadeau : "Publié d'abord par un éditeur courageux mais disposant de peu de moyens, Houellebecq a bénéficié de l'extraordinaire richesse de la petite édition qui, seule, s'est engagée à le soutenir et à le porter vers le public alors que les grandes maisons lui ont toutes fermé la porte au nez." Hédi Kaddour, l'auteur de Waltenberg (Gallimard), publiait auparavant au Temps qu'il fait. José Corti publie presque toute l’œuvre de Claude Louis-Combet. POL, à l'époque où il était indépendant, a eu le courage de soutenir l’œuvre difficile, mais essentielle, de Valère Novarina, sans parler de Jean Daive, Christian Prigent...

Sans la petite édition, la poésie, en France, n'aurait pas survécu. Ce ne sont pas Grasset ni Fayard qui perdraient un sou en publiant de jeunes poètes. Ces maisons ont pour vocation le chiffre d'affaires. On n'appartient pas impunément à l'empire Lagardère. Les éditeurs de poésie, innombrables et dévoués, à l'existence aussi éphémère parfois que les revues, se nomment, par exemple, L'Escampette, Lettres vives, Al Dante, Tarabuste, Fata Morgana, Cadex, Le Temps qu'il fait, Encres vives, Obsidiane, Cheyne, AEncrages, etc. Sans eux, aurait-on pu lire Alain Borne, Valérie Rouzeau, James Sacré, et presque tous ceux qui animent une vie poétique peut-être plus intense aujourd'hui qu'elle ne l'a jamais été ?

Ce phénomène n'est pas nouveau, mais il a tendance à s'accentuer. Il y a cinquante ans, les grands éditeurs misaient sans doute plus sur le fonds, moins sur la grosse cavalerie et les ventes rapides. On y éditait plus facilement de la poésie, par exemple. En outre, dans les année 1960 et 1970, celles du boom économique et culturel, les éditeurs importants prenaient plus facilement le risque de textes difficiles et d'auteurs peu connus, de peur de rater le train de la modernité.

                                                                                        Pierre Jourde

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09:40 Publié dans Editions | Lien permanent | Commentaires (0)

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