11/04/2020
Journal indien I
Avant propos : Il est bien évident que je ne fais pas ici l'éloge du tourisme, encore moins du tourisme de masse, préoccupé de reproduire les schémas invasifs d'un pays de départ considéré a priori comme un référent. Pas non plus d'arguments à proprement parler naturalistes, mais plutôt un témoignage, une réécriture du visible et du sensible, au fil de mes pérégrinations. Enfin, il tombe sous le sens que je n'ignore rien des menaces sanitaires qui pèsent dès à présent sur ce continent ; mais je ne simplifierai pas du même coup, pour les réduire au silence, les sentiments que je porte à ce peuple. Amitiés partagées.
"Emancipate yourself from mental slavery", avais-je lu sur une feuille aux incrustations dorées, rayées de petites fibres colorées qui semblaient des pilosités prises dans l'ambre. Puis, en sortant de la boutique, sur une pancarte : "Clean desert, green desert". J'étais en Inde, au pays de Gandhi, un homme comme l'on dirait un mage qu'ici beaucoup révèrent, peu de le dire.
Une des dix réincarnations de Shiva : la dixième est toujours attendue, ce sera si tant est, en cheval. Sa tête est bleue : couleur du ciel, de l'universel. Deux vautours d’Égypte trônent sur un arbre dénudé.
Sur une pièce de tissu, des hommes à l'ombre d'un grand acacia, jouent aux cartes, silencieusement.
Une réserve à eau se dit une "paoli". Eau minérale en provision, ma réserve vitale. Sous le lit de ma case, au crépuscule, vu une blatte qui faisait la taille d'un lézard. Dans mon bagage, un masque balinais me sert à l'écraser, puis enrobée dans une feuille, à la jeter par la "fenêtre". L'embrasure, devrais-je écrire.
Pour être vus de loin, certains puits ont quatre minarets.
Des femmes en procession passent : avec des noix de coco sur des plateaux et des coupons de tissus multicolores.
Quel est celui-ci ? Un pèlerin qui, portant un fanion rouge, va courir les chemins un mois durant. Il fera halte pour s'y recueillir, aux temples de la déesse Dourga.
Toujours à portée de main, "Un Barbare en Asie", de H. Michaux, à la couverture cartonnée et toilée ; livre que j'annote à mesure, dessinant dans les marges, au stylo bille.
Des marchands riches (les "marwalis") et leurs riches demeures, des "havelis". Les castes, comment accepter ?
Des saris sèchent sur des épineux, léger vent. Ma chemise à carreaux bleu nuit achetée dans un bazar de Calcutta s'est déchirée sur le côté, soupir, elle ne me collait pas à la peau (au propre), malgré la sueur, abondante.
Le frigo du pauvre : jarres, cruches de couleur ocre ou grise et plus ou moins pansues, où l'eau reste fraîche. Plus loin, avec toute l'attention requise : des bidons de lait, transportés à bicyclette.
A l'improviste presque, des fours à briques, pareils à d'ocres talus surgis là.
Les routes transverses, dans un état (...) : "En Occident, vous dites des nids de poules, ici, ce sont des nids d'éléphants". Certes. Un sentiment d'abandon joint à un effet d'accoutumance.
Un cyclopousse pour les quelques kilomètres qu'il me reste à parcourir, l'homme me demande, pour le prix du déplacement : "what you want" ; ce sera pour ma part 300 roupies. Il me serre longuement les deux mains, ajoutant (que c'est) "a very good price".
Il y a aussi des Indiens qui voyagent, bardés de matelas, draps, oreillers, en wagons climatisés, aussi chers que l'avion.
Des journaliers assis sur leurs talons à l'ombre d'arbres à bois de rose. Payés à la journée, toujours dans l'incertitude du lendemain, des dents manquent à certains, baisser les yeux. Un dentiste aux petites fioles rouges. Un imprimeur dont l'atelier sous l'appartement qu'il habite laisse paraître les caractères dans leurs petits compartiments appropriés et la presse.
Sur les terrasses courent des singes, de garde-fous en garde-fous : chapardeurs, à l'affût du moindre quignon de pain à voler. Mais on laisse ouvertes les fenêtres, pour laisser passer un peu d'air.
Un chien famélique ; plus loin, une vache dont le cou fait un angle presque - à l'ombre d'une roue de tracteur. Indifférente, superbe de majesté.
Ce calme régnant, en apparence. Il est là, encore, celui qui écrivit, de retour au pays : "En Occident, le journal d'une femme indienne". Respect pour le vivant, pour celles et ceux qui en sont l'image, toutes conditions confondues.
Daniel Martinez
06:54 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)
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