19/07/2015
"Venant à stance" de Pierre Toreilles, éditions Gallimard
Souvent composés lors de marches dans la montagne, comme Margelles du silence (1) ou Parages du séjour (2), les livres de Pierre Toreilles gardent, de ce cheminement, une sorte d'ample respiration, que suspend la reprise du souffle. Ces mots "entrecoupés de ciel" évoquent l'alpe et le sentier, l'herbe et les cailloux, les sommets neigeux sous le "bleu cadastre sidéral". Cette "pérégrination" rytme la progression du livre, lui donne une cohérence quasiment organique : "Werk est Weg", dit, en exergue, une citation de Paul Klee.
D'autres fragments, cités en épigraphe, renvoient à Plutarque et aux Psaumes, à Rilke et à Hölderlin, mais aussi à Pu Yen-t'u, peintre chinois du dix-huitième siècle, pour qui "tous les éléments de la nature qui paraissent finis sont en réalité reliés à l'infini".
De même, pour Toreilles, "l'épiphanie du visible met au jour l'énigme du voir". Ce qui donne sa tension à cette poésie abrupte et drue, c'est la contradiction inhérente à la parole "prédatrice" pour qui l'immédiat est inaccessible et l'évidence inintelligible. Cette contradiction se résout dans un "retournement" du poème, dont la perfection ne peut venir que de "l'extérieur, de la proximité bouleversante qui l'anime".
Car cette parole poétique, où surgissent parfois des mots rares, techniques, malgré une apparence un peu hermétique, ne s'éloigne jamais du monde réel. Comme le laisse entendre une citation de Marina Tsvetaïeva, elle donne plus d'importance à la résonance qu'au sens. Ainsi le marcheur est-il ramené au "silence de l'écoute" face à l'inaltérable lumière : plénitude devant laquelle s'exhale, en un lyrisme sobre, une "précaire jubilation".
Monique Petillon
(1) Gallimard
(2) Grasset
16:20 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
Les commentaires sont fermés.