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28/02/2017

Du corps et de l'âme, du réel à l'image du réel

Le corps, le nôtre d'abord, n'est désirable que triomphant ; sa fragilité nous importune. Tout ce qui peut l'altérer nous inquiète. Les corps, il est vrai, n'ont plus tout à fait la même apparence que par le passé. Il y a sans doute autant de caliborgnons que naguère, mais moins de podagres. Les maladies changent aussi, comme les infirmités. Certaines ont disparu (personne n'a le visage crottu, comme chez Rousseau) ou se délocalisent, tandis que d'autres naissent ou reviennent.

Inséparables, le corps et l'âme vivent des relations troublantes. Si le ventre connaît la tribulation, le cœur devient humble ; s'il est bien soigné, la pensée s'enorgueillit, écrit Jean Climaque. Mais l'ascète n'est pas le seul à songer au "régime de vie" (à la diaieta). Et Nietzsche, qui rappelait que les grandes pensées viennent du corps, expliquait les travers de la philosophie allemande par l'abus de la bière, de la pomme de terre et de la choucroute !

On ne sait pas grand chose du corps de l'autre, si ce n'est d'ordinaire ce qu'il montre et ce qu'il en dit. Seulement des images... Les corps des siècles passés sont à jamais des énigmes. Il ne reste plus que la mise en scène du pathos : des sons, des images, des mots. Des sons, un peu comme les affetti dans la musique de Monteverdi. Ou des mots, encore  - par exemple chez Rousseau : "Combien de fois, m'arrêtant pour pleurer à mon aise, je me suis amusé à voir tomber mes larmes dans l'eau", mots qui font image tout à la fois.

Les visages eux-mêmes sont absents. Les pessimistes étant toujours pris au sérieux, les portraits accablants de Goya sont plus vraisemblables que les personnages de Fragonard. Il est difficile d'accepter qu'une part importante de la réalité, présente ou passée, nous échappe à jamais. Nous préférons saisir le réel selon nos images, et l'absenter aussi à travers les images. DM

27/02/2017

"La troisième main", de Michèle Finck, éditions Arfuyen, décembre 2014

Que choisir entre les poèmes, la suite de poèmes devrais-je dire : il y en a cent, très exactement, que nous donne à lire la poète strasbourgeoise Michèle Finck dans son dernier recueil paru aux éditions Arfuyen, j'ai nommé "La Troisième main" ? Titre qui interroge, mais s'entend mieux si on l'entrevoit comme "l'énigme de la musique", pour me conformer à la dédicace de l'auteure. On sait que le livre, douloureux dans son fond puisqu'il a directement suivi une opération de la cataracte, écrit donc "dans le noir et la pénombre", n'est pourtant en rien une leçon de ténèbres, bien au contraire. Car les sons qui voyagent dans l'oreille interne jusqu'au cerveau participent de cette cicatrisation, physique certes, mais pas seulement : les stimuli sonores qu'accueillent l'univers neuronal, l'univers sensible, la psyché même de l'individu déploient à leur tour tout un réseau de sensations confuses qui œuvrent dans son for. Poète, celle qui là serait à la rencontre de son propre moi, recomposé. Voilà bien le point de départ, la source de ce livre étonnant, tout en ferveur contenue (le lyrisme en est absent), en touches délicates - un jeu de doigts caressant les touches d'un piano ; traversé d'une lumière intérieure et porté par une noblesse d'âme qui ne se commet pas avec le réel dans sa première dimension...

Voici les trois poèmes choisis, le premier fait suite à cette adresse au père mort (2008), le Quintette à cordes en ut majeur de Schubert - sujet de son précédent livre chez Arfuyen (Balbuciendo, chroniqué par Pierre Dhainaut in Diérèse 58) : 
Une douceur
que cette Sonate pour violoncelle et piano n° 2 de Bach

     Rumeur sourde du violoncelle.
     La neige des sons coule sur le visage enfant
     Comme des larmes. Si les morts pouvaient
     Parler entre eux, dit un ange,
     Ce serait par le violoncelle.

Deux merveilleuses pièces en hommage à Billie Holiday, les plus belles de ce livre à mon sens, écoutez plutôt :

     Who Wants Love ?

     Yeux de l'âme saignent. Oreilles
     De l'âme saignent. Voix arcboutée
     Autour d'une fêlure ventrale. Ailes noires
     Dans les nuits blanches. Transe utérine.
     Body and soul. Perce-neige noire crie.

     Strange Fruit

     Voix noire serre le gosier. Serre.
     O Harlem, Harlem, Harlem !
     Voix noire croque la pomme. Croque
     La pomme jusqu'au trognon. Crie l'amour
     Jusqu'au râle. Acre. Jazz pour pas crever.

                                                           Michèle Finck

19:34 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

"Les feux d'Essaouira", Pierre Le Coz, éditions du Laquet, 2002

Ils poussèrent le volet et reçurent sur leurs paupières la dernière lumière, orange, sans origine, du soleil déjà couché. Et il leur parut que le soir d'été était comme la résolution de tous les antagonismes du jour, la couture de deux mondes qui s'étaient affrontés silencieusement au-dessus de la ville. Ils sentirent alors une profondeur s'ouvrir en eux tandis que, venant de la cité grondante une lame montait à cet instant vers leur fenêtre. Durant un instant, ils devinrent cette vague, firent corps avec cette invisible présence remplissant la chambre...

                                                                           Pierre Le Coz
                                                             
(a publié dans Diérèse)

 

LE COZ.jpg

Sur les chemins du monde, Daniel Martinez, 21 x 29,7 cm