07/04/2019
"Dans la main du poème", de Pierre Dhainaut
Dans le numéro 76 de Diérèse, il y aura réunis deux poètes qui s'apprécient mutuellement, j'ai nommé Pierre Dhainaut et Werner Lambersy. Le second me faisait part tout récemment de ses craintes de passer de l'autre côté du miroir et voulait réunir/sauver au plus vite un ensemble de poèmes qui lui sont chers : "Periculoso sporgersi", Diérèse les accueillera, de bon et franc cœur. Le premier se confie sur cette "expérience" aux franges de l'au-delà, qu'il a pu vivre lors d'une lourde opération qui l'a immobilisé il n'y a pas si longtemps que cela, et ses pages ont pour titre : "Double pontage, etc..." Étonnante rencontre par le texte, du vécu de chacun. Bien dans l'esprit de la revue.
"Dans la main du poème" a paru en septembre 2007, aux éditions Henry. Je le ré-ouvre pour vous, pages 79-81 :
Du cri au chant, Werner Lambersy
Dès que nous essayons de définir l'écriture ou la vie, nous sommes la proie d'une contradiction. Nous avons le sentiment d'errer en vain, nous avons également celui de suivre un chemin. La perte ou le gain. Mais, bien sûr, cette contradiction, nous voulons la résoudre aussitôt : maudite, l'errance, nous lui préférons le chemin. Quelle que soit notre activité, nous ne pouvons nous empêcher d'établir une hiérarchie de ce genre : le plus, le moins, il faut toujours que sur le moins le plus l'emporte. Ainsi nous excluons. Nous étouffons. L'amour même, nous le concevons en termes de conflit : nous prétendons vaincre l'autre. La poésie que nous supposons libre n'échappe évidemment pas à la règle : à quoi visent nos poèmes ? Ils la traquent, ils croient l'atteindre et l'enfermer. Manie opiniâtre, occidentale, du pouvoir, nous n'obtenons que la victoire ou l'échec, qui se ressemblent, en fait, tous deux dérisoires. Comment échapper au pouvoir ? Comment écrire et vivre la contradiction sans la réduire arbitrairement, sans qu'elle nous asservisse ?
Écrire, n'est-ce pas attendre ? En nous acharnant, qu'importe, en patientant, nous n'avons qu'une idée fixe. Ce but que nous situons hors de nous, nous en désirons trop la conquête pour le rejoindre absolument, et quand nous croyons l'avoir fait, la déception vient vite, en général, l'illusion ne dure pas...
Werner Lambersy peu à peu enlève ses masques, il oublie ce qu'il a lu, ce qu'il a écrit : ce n'est pas le fleuve qui le requiert, dit-il, mais la force du fleuve. Ce n'est pas le poème, mais la poésie. Et je l'écoute avec Werner Lambersy à travers les flûtes des musiciens japonais : on y perçoit le souffle à la fois impondérable, profond, celui de l'air, celui du corps, qui délie le texte et le change en cet "espace disponible", en ce "désordre harmonieux", "où seul est sûr d'aimer". Le don, la présence au monde, intime, immense.
Pierre Dhainaut
08:41 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
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