30/04/2019
Expo Denis De Mot du 11 mai au 1er juin 2019
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A la manière d'un conte : les éditions Marchant Ducel (1982-1995)
Il s'agit de l'histoire d'une petite maison d'édition - qui a donné lieu à un conte de mon cru d'ailleurs, intitulé : "Rien de précieux ne s'efface", vous pouvez vous y reporter dans la catégorie du blog correspondante.
Cette maison s'appelait "Marchant Ducel", soit Marcel Duchamp dans le désordre. Vous l'aviez deviné, je sais. La directrice de publication, une certaine Lucie Ducel, aquarelliste de talent, habitait alors 79 rue du Chemin vert. Elle était slave et son compagnon l'avait quittée. Résultat : il lui fallait vendre ce qu'elle avait édité à grands frais pour se payer seule son voyage de retour au pays, en 1995. Je devais - le hasard fait parfois bien les choses - la rencontrer dans ses appartements ; âgée, elle avait bien du mal à se déplacer et le parquet, un peu trop ciré, laissait craindre le pire. Elle s'était endettée, en fait, avec des éditions de luxe, pour des poètes de son choix. Mais desquels au juste parlez-vous, je vous prie ?
Elle me narra ce qui fut son aventure, sans ambages. Tout cela avait commencé par la publication, en Inde, du Convalescent, de René Char, imprimé en mai 1982 par Neesa Press, à Katmandu, un recueil enté d'une peinture tantrique. Le tirage était alors de 25 exemplaires sur Népal. Un joyau, naturellement ! Vous me connaissez mieux à présent, je ne dis pas cela à la légère... "Mais quel homme charmant, prévenant, ce René Char !, vous ne pouvez l'imaginer. Nous avons partagé un moment de vie, inoubliable."
Dans la foulée, il y eut le Dernier Chant de Milarepa, traduit du tibétain par Lopsang Lama, à 40 exemplaires cette fois-ci, toujours auprès du même imprimeur.
Et tant d'autres : Brug'pa Kun'legs, Lokenath Battacharya (Des aveugles très distingués), Roger Munier (Comment dire ?). En août 1983, le couple décida de rentrer en France. Yves Bonnefoy, qui habitait alors le onzième arrondissement publia chez elle, Lucie Ducel, deux livres : Par où la terre finit, à 45 exemplaires sur papier de jute du Rajasthan, avec une miniature indienne, imprimé en juillet 1985 par Franck Meyer, à Paris.
Vous l'avez compris : dans leurs bagages, le couple Ducel avait ramené des miniatures indiennes, pour la bonne cause. Et grand bien leur en a pris, puisque Yves Bonnefoy récidiva avec Là où creuse le vent, tiré à 49 exemplaires sur Larroque (en juin 1986), recueil rehaussé de deux peintures tantriques. Le même mois de la même année précisément, Philippe Jaccottet se fendit d'un bel ouvrage illustré par une aquarelle de Anne-Marie Jaccottet : Le Cerisier (49 exemplaires, imprimés par Gilles Couttet, Le Pontet). Lucie adorait les aquarelles, il est vrai...
Mais, ce qui m'importait le plus était bien ces deux recueils de Henri Michaux dont vous savez tout le bien que je pense, mis en vente à la défunte librairie Nicaise sur le boulevard Saint-Germain, remplacée par je ne sais trop quoi qui s'accorde à notre temps d'inculture (assumée ?)...
Ce fut d'abord, en juin 1983 - Michaux n'avait plus qu'un an à vivre -, Yantra, 15 pages en accordéon, tirés en tout à 36 exemplaires sur Népal, tous rehaussés d'un shri yantra traditionnel (je ne suis pas sûr que la BNF en dispose d'un seul, mais peu importait à Henri Michaux, libertaire d'esprit, qui se moquait souverainement des officialités !, un poète authentique largement trahi post-mortem). Quelques jours avant de passer de vie à trépas, il avait téléphoné à Lucie pour lui dire qu'il l'avait rêvée dans les tons roses, de la couleur précisément du shri yantra de son opus.
Il y eut aussi, du même auteur aujourd'hui "pléiadisé" (il s'y était toujours opposé de son vivant) Fille de la montagne, publié en mai 1984 à 60 exemplaires par Gilles Couttet toujours, sur Arches. Je vous en ai donné ma lecture, reportez-vous à la catégorie "Henri Michaux".
Voilà... Ce fut un grand regret que de quitter Lucie Ducel, repartie dans ses contrées peu de temps après que nous nous soyons rencontrés. Elle avait vécu une aventure formidable, avait côtoyé parmi les plus grands poètes du XXe, et, las, elle n'est plus de ce monde à présent. Daniel Martinez
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27/04/2019
L'après Diérèse 75
Chers amis, je finalise ce week-end la maquette du n°76 de Diérèse, qui comptera 324 pages (d'un contenu plutôt exceptionnel, toute modestie gardée, vous comprendrez pourquoi, à réception)... Oui, je vous donne lecture à présent de ce qui suit la sortie de chaque livraison : autrement dit, les lettres échangées avec les auteurs. J'ai sélectionné cette missive de Joël, sans oublier la mienne qui a suivi. Joël qui a si bien compris ma démarche, sur un sujet à mon sens crucial et qui dépasse de loin le simple cadre politique, jugez-en plutôt :
Cher Daniel,
Je reviens sur ton introduction du numéro 75.
Tu écris qu’il manque à notre siècle un penseur de la stature d’Emmanuel Lévinas,... En effet, avec E. Lévinas, c’est la rencontre avec autrui qui est pour lui la démarche décisive. Ce n’est pas un retour au “sujet” comme certains ont pu le penser, mais Lévinas déplace le foyer de la subjectivité fermée sur elle-même (matrice ultime, selon lui, des tyrannies de son temps) pour le porter sur l’altérité et le visage d’autrui.
L’extrémisme de l’altérité va, bien sûr, à l’encontre du déni de l’autre, de l’enfermement dans le moi idéologique ou ethnique, je dirai les deux : l’ethnie représentée par le terme de “Volkstum” qu’on peut traduire par “communauté nationale”. Le nazisme oscillait entre ces 2 pôles.
Et Heidegger, lui-même, oscilla entre ces 2 pôles, entre le “Dasein individuel” et le retour aux vraies valeurs nationales, excluant tout regard vers l’autre, dès lors que cet “autre” n’était pas un pur allemand.
Et Hölderlin a servi de modèle pour le peuple. Heidegger l’a longuement commenté. Chaque soldat avait son “Hölderlin” (des morceaux soigneusement sélectionnés) dans sa besace.
Des philosophes français, Jean Beaufret en tête, se sont précipités pour placer ce “Heidegger” sur un piédestal. Le vent commence à tourner aujourd’hui, on commence à voir que ce philosophe a été fortement surévalué.
J’arrête là, mais je pourrais encore citer Gunter Grass. Ce sera pour une autre fois.
Toute mon amitié, Joël
Ma réponse :
Cher Joël,
Et cette schématisation des gouvernances qui amalgament le mal-être sans effet retour malgré les apparences, en le fragmentant et en le contextualisant pour le rendre un peu moins visible, dans un cadre où le culturel en vient à sonner faux ! C'est en somme une lutte fratricide entre l'agir et le penser, au détriment de la seconde notion, alors que celle-ci devrait la sous-tendre. Une course insensée pour l'à venir à tout prix, en étouffant le présent ; l'avenir pour l'avenir, en cercle fermé, comme on disait autrefois fièrement "l'art pour l'art"...
En toute amitié, Daniel
18:15 Publié dans Correspondance | Lien permanent | Commentaires (0)