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22/04/2019

Une lettre de Juliette Drouet à Victor Hugo : 13/10/1854

Jersey, 13 octobre, vendredi midi et demie

 

Il est bien vrai, mon trop bien-aimé, que j'ai l'audace de faire courir mes pattes de mouche sur votre majestueux museau de grand lion sans aucune espèce de crainte ni de timidité. Cela tient à la conscience que j'ai de mon infirmité, eu égard à votre puissante et fauve personnalité. Il n'en est pas de même quand je m'adresse à des êtres plus ou moins englués de bourgeoisie et de préjugés ; je sens qu'il y a là un danger pour moi et que le moins qu'il pourrait m'arriver serait d'y perdre ma liberté... d'esprit (de mouche). Avec vous je ne cours pas le même péril et je vagabonde en toute confiance autour de vous. D'ailleurs est-ce qu'il est possible de mal dire : je t'aime. Qu'on l'écrive en latin, en grec, en busulban, en baobétan, en chinois, en sanskri ou en charabia ? Je thème, je tème, je t'aime et même je t'aibe ? Tout cela est autant de diamants tirés de la mine inépuisable de mon amour. Le style lapidaire, lui-même, ne saurait y ajouter la valeur d'un iota. Mais la vile multitude préfère de beaucoup un bouchon de carafe taillé à facettes, voilà pourquoi j'ai si peu de goût à me montrer à elle dans toute ma simplicité brute et même brutale. Ce qui fait que notre Juju est muette et qu'elle aime mieux la foudre sur sa tête que son visage devant le sun. Cela ne m'empêche pas d'être bien touchée et bien reconnaissante de la peine que tu prends de te substituer à moi dans des occasions dangereuses, comme celle d'hier. Si je pouvais t'en aimer plus, je le ferais ; mais, à l'impossible nul n'est tenu, fût-on trois fois Juju. Je t'expliquerai cela tantôt quand je te verrai. D'ici là, je me livre au rognonage dans mes toiles et dans mes calicots achetés hier et puis je vous attends les ailes ouvertes, le cœur et l'âme à l'unisson.

Juliette Drouet

Coucher Soleil Blog.jpg

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21/04/2019

Christian Dotremont (1922-1979)

L'un de ses récits de Laponie, l'un des logogrammes qu'Yves Bonnefoy jugeait "parfaitement admirable(s)" :


Quand j'arrive à Ivalo, en Laponie finlandaise, je laisse mes bagages à l'auberge, et je vais immédiatement me promener sur la route, et j'ai l'impression d'être tout renouvelé, en même temps que je retrouve des amis, et tellement de choses, qui n'ont pas changé ou presque pas. Et quand je reviens à Tervuren, point de départ de mes points de départs, je laisse mes bagages dans ma chambre, et je vais immédiatement me promener dans les rues, et j'ai l'impression d'être tout renouvelé, en même temps que je retrouve des amis et tellement de choses, qui n'ont pas changé ou presque pas. C'est ainsi que j'ai l'impression d'être vivant dans une éternité, d'être éternel dans la vie, dans deux villages qui pour moi sont un seul univers infini par leurs différences et par leurs ressemblances, et par moi qui les unis dans mon cœur, et - par diverses écritures - dans ma poésie.


Christian Dotremont


A lire aussi : La Pierre et l'Oreiller, éd. Gallimard 25 mai 1955 : roman, récit, autobiographie tout à la fois.

12:11 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

20/04/2019

En temps compensé

Ma chère Orlane,

Je me dis qu'on ne s'envoie pas assez de marque-pages par la Poste, aussi j'ai tenté la chose, tu me diras si ?... Ton pli est arrivé à point nommé pour mon séjour portugais - ces douces lectures m'accompagnent et me réchauffent l'âme - la carte si belle est tendre, merci... ici mon écriture est irrégulière, je n'ai pas un carré de table où me poser à cette heure, et suis au troquet toute trempée, c'est que le climat portugais est loin de tenir sa réputation (!).
Le short tant espéré reste donc au fond de la valise, mais à dire vrai je crois que c'est un cadeau : je calme mes ardeurs à faire et prends le temps du repos, de la lecture, et me délecte à la relecture de Proust : "L'espérance est un acte de foi", qu'en penses-tu ?, toi qui n'aime pas trop que l'on décolle de terre, ce que j'entends bien par le fait même de la vie difficile que tu as eue. Ceci dit, je ne m'attendais pas à lire cela sous sa plume.

J'entame le second marque-pages pour aujourd'hui : figure-toi que je discutai il y a peu avec un médecin urgentiste qui blâmait le commun pour son manque d'optimisme, de motivation en général, résultante du stress que l'ocytocine (plus présente chez les femmes que chez les hommes) n'arrive à contrecarrer. Cette analyse chimique du mal-être actuel m'a intriguée, voire amusée quelque peu. Mais ce qui était plaisant chez ce bougre, c'était cet humour qui affleurait sans cesse, que rien ne semblait dévier de sa position initiale devant la vie, résolument ouverte à l'autre, sous le chapitre de la souffrance (à soulager au mieux et au plus vite). Il m'a conté même qu'un hamster à qui l'on a fait effectuer cinq vols allers-retours Paris-New-York perdait toutes ses capacités "cognitives", d'une manière irréversible, tandis que chez l'humain, les dégâts intérieurs liés au stress sont réversibles. Ouf ! enfin bon, ces pratiquants sont redoutables même quand ils théorisent, tant nos organismes semblent pour eux des instruments de jeu à préserver d'une fin trop rapide, ou du moins qui ne correspondrait pas à leur cheminement statistique...

Et terminerai par ce sinistre qui a touché la capitale : est-il possible qu'une entreprise affectée à la restauration d'une cathédrale l'ait traitée à la légère, en quittant le navire à la première semonce ? Certes, prouver qu'il y a eu négligence devient quasiment impossible maintenant que la flèche s'est consumée de l'intérieur, mais sache qu'il me restera toujours, avec un arrière-goût de cendre sous la langue, comme un doute sur le caractère absolument imprévisible de l'événement... Je t'embrasse, D-S.

 

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Pugnaire & Raffini
Fahrenheit 134
Galerie Ceysson & Bénétière (Paris, expo jusqu'au 4 mai 2019)