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13/03/2020

"La Treille muscate", de Colette, à Paris chez Dunoyer de Segonzac, 1932

Une description haute en couleurs, en parfums, en saveurs, de la vie à "La Treille muscate" (parfois ouverte le 3ème week-end de septembre à l'occasion des Journées Européennes du Patrimoine). Colette avait acheté cette propriété près de Saint-Tropez en 1926, y vient en villégiature jusqu'en 1938, et publia un recueil éponyme en 1932. L'édition originale, tirée à 165 exemplaires, a été éditée à Paris chez l'artiste Dunoyer de Segonzac. Le livre fut illustré par 36 eaux-fortes originales gravées par le plasticien dans la maison de Colette à Saint-Tropez. En voici un extrait :

Ce fut l'affaire de quarante-huit heures, et d'une date fatidique : ils sont partis. Ils ont fondu comme rosée d'aube, ceux qui étaient venus dans le Midi chercher le plaisir, et le trouver par des moyens mortificatoires... Ce n'était qu'Août, rien de plus, rien de moins. Si grave qu'apparût le mal, il s'en va comme un songe frénétique, se retire comme une curieuse marée. Déjà, sur une des placettes qui servaient de garages aux longues voitures, des enfants agiles et bruns, moins brûlés que les enfants nus des estivants, se vautrent à même la poussière siliceuse, et jouent à la belote. Déjà les serveurs des cafés du port retrouvent les gestes du temps de paix : appuyés de l'épaule aux chambranles, ils se croisent les bras et regardent la mer...
Un soir, nous découvrîmes, étonnés, qu'il faisait nuit sur le port à sept heures. Un matin, entre le fastueux voilier noir et or et le yacht blanc de neige, une tartane du pays eut assez de place pour son gros ventre râpeux... Ces deux signes ne trompent point : ils accompagnent septembre, ils nous signifient notre congé...
A une petite fille, - une de ces parfaites petites beautés de Provence qui courent les rues, la joue suave, le col chargé de boucles noires, blanche comme le bouton à peine rosé de la tubéreuse, et grave à huit ans - je demandais :
- Si tu gagnes le gros lot, qu'est-ce que tu diras ?
Elle ne rit ni ne fit l'embarrassée :
- Je dirai : c'est bieng...
Rentrons, soit. Travaillons, soit, sur la petite table naine, posée en travers des genoux. Un coup d’œil à la montre - déjà minuit ! un coup d’œil à la vitre noire. Mais que le prodige intervienne, comble de lune la fenêtre, couvre de géraniums odorants et d'eau marine les pentes de zinc, remplace les pommes de feu de la tour Eiffel par tout ce que j'ai goûté dans ma vie de succulent, de doucement sphérique, d'accessible à la main, - croyez-vous que j'en serais étonnée ? Il ne me manquerait que l'accent pour dire, moi aussi : c'est bien...

Colette


02:49 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

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