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19/12/2020

Philippe Veyrunes in "Diérèse" 46 (octobre 2009)

Quelques poèmes en prose de Philippe Veyrunes, lauréat du prix Max-Pol Fouchet pour "La Gare levantine", livre paru le 17 novembre 2003 au Castor AstraL.

Signées de sa main, voici les pages 38 et 39 du quarante-sixième numéro de Diérèse :

À L’AUBERGE


    Ces appels lumineux à travers le causse, dans l’alphabet des ladres, nous avaient éveillés. Dans les mélèzes, le vent de nuit caressait des harpes. De notre fenêtre, nous pouvions humer des senteurs de foin, de menthe et d’herbe mouillée.
    Par l’escalier de granit, deux ombres gagnaient le pré, chargées de grands sacs. Peut-être ces inconnus, chapeau melon et cravate, qui tous les soirs, dans la salle à manger, avaient paraphé leur dîner de messes basses...
    Une pluie fine brouillait l’enclos où, lentement, les deux ombres flattaient de vieux ânes. De leurs sacs, montaient des sanglots.

*

AMAZONES


    Ce faubourg calciné, maintenant désert, avait rayonné d’austère élégance. Sur les plaques de bronze des grands portails, se lisaient encore les noms des habitants. Une lettre, pourtant, manquait à chaque fois, enlevée au burin ou charbonnée.
    Sur des palissades cachant des pans d’immeubles, les lettres ôtées, copiées à la craie, avaient formé dans tous les angles des prénoms de femmes. Ysvahé, Amionyse, Orianyx, Chlorisyphe, Hammaëlle. Où nous guettaient donc ces beautés obscures, dont les bagues sanglantes ornaient le pavé ?
    Les traces de leurs chevaux, gravées dans la boue, menaient loin de la ville. Sur l’horizon crépitant, brillaient des incendies que les guerrières sans remords avaient allumés de leurs flèches.

*

LES OMBRES


    Les petites, celles qui lentement, cérémonieusement, tournaient sous les arbres, maquillant de leur danse le vieux dallage, il s’en était d’abord amusé. Puis, malgré le soleil bas, elles tournoyèrent bientôt de plus en plus vite, ne cessant leur manège qu’au premier chant d’amour.
    La haine le gagna. Il préféra de beaucoup leurs grandes sœurs, qui se plaquaient dès l’aube sur les murs du manoir. S’il s’en approchait, elles grandissaient encore, délectables et rebelles. Du bout des doigts il les caressait, toujours gourmand de leurs métamorphoses, comme un enfant admirant les nuages.
    Que ne sut-il y prendre garde ! À peine les avait-il quittées que certaines changeaient de forme, des cornes leur poussant, et des pieds fourchus.
    Un soir, alors qu’il venait près d’elle, une ombre clouée sur la grande porte, ouvrant soudain les bras, l’engloutit dans la nuit.

*

LES VISITEURS


    Souvent, au bout du long couloir, une poignée de porte s’abaissait lentement, à plusieurs reprises, sans que nul ne sortît jamais de la chambre oubliée.
    Si l’on s’aventurait dans la pièce, on y trouvait des pétales jaunes, des traces de pas boueux ou des taches de sang, alignés jusqu’à la fenêtre.
    Un soir, tenaillé par l’énigme, le maître des lieux s’enferma sur place, résolu à démasquer les fâcheux. La nuit passa, puis un jour, puis dix. Personne n’entra. Par intervalles, pourtant, la poignée s’abaissait encore sous les yeux de l’intrépide, muet de bonheur. 

 

Philippe Veyrunes

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