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08/03/2021

"La merveille et l'obscur", de Christian Bobin, éditions Paroles d'Aube, 30/10/1996, 88 pages

Les éditions Paroles d'Aube (1991-1999) ont publié pas moins de 147 titres (parmi les auteurs de cette maison, citons André Velter, Lionel Bourg, Jacques Ancet, Jacques Derrida, Yvon Le Men, Vaclav Havel, Michel Bulteau, Pierre Dhainaut, Louis Calaferte, Andrée Chedid, Charles Juliet, Franck Venaille, Claude Roy...) ce, en moins de dix années d'existence. Ici saisies, les paroles de Christian Bobin, pour témoigner :

"La plupart des adultes ne vous parlent qu'au nom de la place qu'ils ont péniblement acquise dans la société. On peut être ingénieur, coiffeur, écrivain, professeur ou épicier. On peut être ce qu'on veut - c'est au fond sans importance. Le mensonge c'est de se confondre avec l'état que le hasard vous a donné. Rien de plus répugnant qu'un professeur qui croit devoir ressembler à un professeur, à l'imaginaire qu'on a d'un enseignant. Et je dirais la même chose d'un ingénieur, d'un épicier ou d'un coiffeur. Les écrivains, c'est le pire : un écrivain qui se fait la tête et les manières d'un écrivain, c'est à fuir, c'est à fuir immédiatement. Nos sociétés sont ainsi faites : il faut qu'on y ait un âge, et une place, et que l'on conforme nos paroles avec cet âge, avec cette place. Une société, c'est comme un bruit de fond, une rumeur ininterrompue, jour et nuit, un discours que personne ne tient vraiment mais que chacun reprend. Le discours de nos sociétés - ce bruit de fond permanent - ne s'adresse qu'à la majorité qui travaille, qui fait ruisseler l'argent frais : les adultes entre 25 et 45 ans, acteurs de la vie économique. Pauvres acteurs d'une pauvre pièce. Les autres, on ne leur parle pas. Les autres, puisqu'on ne leur parle pas, on ne les voit pas. Pour voir une chose ou un être, il faut le faire entrer dans notre songe, l'incorporer à notre douceur, à notre silence, à notre attente. Lui parler avec les mots de notre douceur, avec les mots de notre silence, avec les mots de notre attente. Ce à quoi on ne parle plus finit par disparaître. Ceux à qui on ne s'adresse pas deviennent invisibles. Ce sont la minorité, une foule de minorités : les enfants, les vieillards, les pauvres, les prisonniers, les malades - mais aussi les arbres, les bêtes, les rivières..."


Christian Bobin

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