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10/05/2021

"Alentejo", d'Eugénio de Andrade, traduit par Christian Auscher, éditions Michel Chandeigne, août 1989, 28 pages, 265 ex.

En Alentejo, à la fin de juillet ou au début d'août le regard atteint son zénith. Devant l'horizon ras et net, tout semble collé à la terre : les murs, les arbres, les meules de paille, les montes, dès qu'on les distingue dans le lointain. Un délire de lumière monte à la tête - jusqu'à faire mal. Tout éclate comme des grenades mûres et se couvre de brillances. La lumière entre même par les fentes à l'intérieur des maisons, portes et fenêtres closes, se faufile sous les tuiles pour se réfléchir, légèrement rosée, sur la blancheur du mur. Dans la cour, une eau secrète jaillit d'un étroit conduit - un pur délice. Odeur de terre et de chaux, odeur de coriandre et de fromage sec. Odeur de ce qui vient de la terre et retourne à la terre. Un son de grelots, le trottinement d'une mule, le cri d'un enfant se distinguent à peine tant ils viennent de loin. Dans ce long et ardent été du sud, il n'y a que les cigales qui possèdent d'amples modulations. Alentour tout est silencieux et sec. Même les hommes ne parlent pas ; mais leurs yeux brûlent comme deux pierres exposées au soleil pendant des milliers de jours. Il n'y a qu'eux pour témoigner qu'en Alentejo tout ne naît pas ou ne meurt pas écrasé à la terre. Eux et quelques pigeons sauvages qui rayent subitement le ciel et semblent s'enfuir du cœur âpre, ardent et amer de mon pays. J'ai parlé de la lumière de l'Alentejo mais, en vérité, ce n'est pas elle qui me lie et me relie à cette terre : elle est trop acide et il lui manque cette douceur ultime méditerranéenne que l'on trouve plus au sud. Ce qui me fascine ici, c'est une conquête de l'esprit sans équivalent dans le reste du pays, en un mot : un style. Le meilleur de l'Alentejo c'est une liberté qui a choisi l'ordre et l'équilibre. Ces forme pures aux lignes et aux couleurs sobres, qui vont du paysage à l'architecture, de l'architecture au vêtement, du vêtement au chant, sont l'expression d'un esprit terrien, jaloux de sa limpidité et capable de la suprême élégance d'être simple.


Eugénio de Andrade

01:04 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

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