241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

11/05/2021

"Carnet d'un buveur de ciel", de Dominique Sampiero, éditions Lettres Vives, octobre 2007, 96 p., 13 €

Mon carnet de ciel n'a pas de bord et quand je tourne les pages pour frotter doucement ma peau sur le tranchant des feuilles, quand je dépèce la blancheur pour écrire, j'entends le bruit du vent dans les peupliers en face de la ferme protester contre mon pillage. Je trouve le souffle de mes mots bien pauvre.

Tu as un œil au milieu du front, un autre en demi-lune pour regarder les éclipses, un troisième au bout des doigts et qui sait lire sur les lèvres des fleurs, j'aime quand tous tes yeux se posent sur moi.

Je sais que l'on ne peut pas boire le ciel, sauf peut-être, de temps en temps, ses paroles, comme on dit boire les paroles de quelqu'un, le ciel me parle depuis l'enfance, par les volets, par les lucarnes, en plein cœur aussi, par les voyettes* où j'aime me perdre, marcher, courir vers lui comme un enfant, le ciel me parle de tout son silence, il me dit que mourir arrive un jour dans le même abandon de souffle et de larmes qu'une averse.

Le grand oiseau qui plane au-dessus de la terre mange mes yeux et l'emporte dans son silence comme une pie voleuse.

Quand tu pars, je t'attends, quand tu reviens, je t'attends, quand tu es là, je t'attends.

Beaucoup d'animaux sont pétris de ciel, les merles, les moineaux, les hirondelles, les moustiques, les libellules, certaines fleurs aussi plus que d'autres, certains arbres, certains lacs et même des écluses, des fontaines, et j'en oublie sûrement.

Des heures collé à la vitre des façades, plus fraîche sur ma joue que le baiser des cascades, pour attendre qui, quoi, la douce quiétude d'être au monde dans la pure présence des fenêtres.

Avec l'âge, ma vue se trouble, je porte des lunettes à contrecœur, je me dis que mes yeux posent une distance entre moi et le monde, un peu de flou justement, pour m'obliger à reculer, à cligner des paupières, à ne plus vivre collé dans le mensonge de la fusion. Je ferme les yeux et quand l'étouffement, l'ennui, le manque de temps pour rêver me crèvent le cœur, tout le ciel remonte à la surface avec une belle lumière pour guérir, m'envoler, germer et renaître. Pourquoi résister à la légèreté qui me dépossède.


Dominique Sampiero

* régionalisme, petits chemins qui permettent de couper à travers champs au lieu d'utiliser la route.

16:09 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

Les commentaires sont fermés.