11/07/2021
"Les mauvaises fréquentations", de Gaston Ferdière, éditions Jean-Claude Simoën, 21 août 1978, 302 pages
Le titre résonne comme une antiphrase : les mauvaises fréquentations sont ces personnages étonnants, surréalistes pour beaucoup, avec qui Gaston Ferdière entretint des relations au long de son existence. Seul ce livre, épuisé à cette heure, témoigne du pourquoi et comment des décisions que le psychiatre eut à prendre, de ses réussites comme de ses erreurs et aide le lecteur attentif à entendre mieux le contexte, avant tout procès à charge (qui par les temps présents sont légion, il est vrai). Ainsi va... Son rôle pendant la Seconde Guerre mondiale y est précisé, et il ne fut pas négligeable, dans le domaine qui était le sien.
Son anticonformisme lui valut bien des ennemis, déclarés ou non (Emmanuel Venet, édité chez Verdier en 2006 en est un exemple ; cerise sur le gâteau, un grand quotidien national refusa de publier un droit de réponse demandé par Denise Abel, horrifiée par la critique avantageuse qu'avait reçu dans ses colonnes "Ferdière, psychiatre d'Antonin Artaud", ouvrage qui valut à l'intéressé le Prix du style (sic)). Elle y disait notamment que "l'électrothérapie est encore pratiquée de nos jours, dans certains cas..." A rappeler ici s'il en est besoin, que Gaston Ferdière fut aussi poète, de facture plutôt classique.
Voici la relation de l'arrivée du couple Ferdière à Rodez, déterminante, passage extrait du livre Les mauvaises fréquentations :
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En zone sud
"La ville de Rodez attachante et rude où, coutumièrement, l'on mange bien, est remarquable par sa cathédrale en pierre rouge - qu'on appelle effectivement la cathédrale rouge, par contraste avec la cathédrale blanche, celle d'Albi, et que je vis un jour couverte de cigognes. Malheureusement, elle est remarquable aussi par sa situation sur un piton qui domine le Causse, et elle est par conséquent ouverte aux vents, sans défense contre eux. Un jour, la femme de mon interne Latrémolière fut renversée par une rafale. Les habitants aiment leur tour de ville - c'est-à-dire le tour de l'éperon, mais par grand vent ils empruntent les petites rues, qu'on appelle les embergues. Nous ne soupçonnions pas, Simonne et moi, en débarquant à Rodez à l'été 1941, qu'un hiver terrible nous attendait, et que six mois durant, nous vivrions dans la neige, assiégés par la neige, pataugeant dans le froid.
A ce désagrément s'ajoutait celui d'un chauffage très insuffisant. Il n'y a pas de bois dans la région, nous avions à nous contenter de l'attribution de charbon, et bien entendu nous ne pouvions pas nous en attribuer plus qu'au personnel. La "maison du directeur" se réduisit alors à une seule pièce habitable. A la sortie de l'asile, pour gagner le centre de la ville, il fallait traverser le marché qu'on nomme, d'un beau mot, le foirail. C'est un lieu qui n'est jamais déblayé, de sorte que parfois on ne sait trop sur ou dans quoi on marche : bouses des vaches ou neige fondue. Mais le fait d'une entrée rue Vieussens rendit des services, le moment venu. Car en descendant par là, nos visiteurs de passage purent gagner sans encombre la gare de Péreire, dans la banlieue de la ville, moins surveillée que la gare principale.
Une fois le malade revenu à la maison, j'étais souvent invité à un repas familial, et c'était en chaque occasion, sous le prétexte d'une première communion, ou du battage (qu'on nomme : la dépiquaison), un repas fabuleux, monstrueux, de midi à cinq ou six heures de l'après-midi. "Docteur, un autre jeu ?" On commençait par le bouillon de la poule, puis au moins trois plats de viande : la poule elle-même, et ensuite, par exemple (mais c'est un bon et modeste exemple) des rognons de porc et un rôti. Le poisson ne manquait pas non plus. Le malheur est qu'il fallait s'accommoder aussi des atroces piquettes de vins mûris en altitude. Dans ces pays, notamment dans le Ségalas, des mœurs primitives étranges avaient survécu. Un jour où j'étais invité dans une de ces familles, le fils me dit qu'il n'était pas question d'un repas sans poisson et me demanda de l'accompagner. Il connaissait un trou d'eau - dans le parler local : une cave - où le poisson se réfugie. Il s'y laissa glisser, jusqu'à deux ou trois mètres de fond, et ne remonta peut-être qu'une minute plus tard, mais tenant trois poissons, un dans la bouche et un dans chaque main. J'appris de lui comment glisser le doigt dans l'ouïe du poisson, et comment attraper une truite sans nul équipement de pêcheur. Sur le chemin de la maison, il m'avoua qu'il ne savait pas nager."
Gaston Ferdière
11:08 Publié dans Gaston Ferdière | Lien permanent | Commentaires (0)
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