21/12/2014
Marcel Proust sous l'oeil de Luchino Visconti
En mai 1971, Enrico Medioli eut la chance d'interviewer le cinéaste Luchino Visconti à propos d'un de ses films qui restera inachevé, sur la Recherche du temps perdu ; après en avoir écrit le scénario, avec Cecchi d'Amico, Visconti en avait commencé le scénario :
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Enrico Medioli : Dans le film que vous faites à partir de la Recherche du temps perdu, quelle quantité de l'oeuvre comptez-vous mettre ?
Lucchino Visconti : Ce n'est pas tellement ce que je compte y mettre, mais ce que pourra contenir un film d'une longueur normale ; quelle partie de l'oeuvre réussira à y entrer. Mon idée avait été de faire deux films. Ainsi, j'aurais eu un peu d'espace pour évoluer, mais le producteur a trouvé que ma proposition n'était pas très efficace du point de vue commercial, et il est vraisemblable que nous nous réduirons à un seul film de quatre ou cinq mille mètres. J'ai l'intention de mettre dans mon film toute la partie centrale de l'oeuvre de Proust, en laissant de côté l'épisode de Swann et d'Odette, qui est un peu une histoire en soi, racontée à part.
E. M. : Avez-vous l'intention de privilégier particulièrement un thème de la Recherche ?
L. V. : Oui. Parmi les cent ou les mille thèmes que l'on trouve dans la Recherche du temps perdu, le plus important, le plus intéressant, en tout cas celui qui m'intéresse le plus personnellement, c'est, comme toujours, la description d'une certaine société. Si je faisais un film d'après Balzac, j'essaierais de mettre l'accent sur la société de la Restauration. Ici, je le mettrais sur celle de la société d'après 70, de la chute du Second Empire à la Première Guerre mondiale.
E. M. : Et les autres thèmes ?
L. V. : Celui de l'amour et celui de la jalousie sont les plus importants dans cet énorme fleuve que constitue la Recherche. Mais, selon moi, la Recherche et essentiellement la description et l'histoire d'une certaine société française à une époque précise. C'est à l'intérieur de ce cadre social que se nouent les thèmes psychologiques, moraux. Evidemment, je compte les aborder et faire intervenir l'amour, la jalousie, l'homosexualité ; mais surtout les rapports qui existent entre les différents personnages de la Recherche, rapports extrêmement étroits. La Recherche ressemble à une immense toile d'araignée, à l'intérieur de laquelle tout se noue et se dénoue.
E. M. : A votre avis, qu'est-ce qui compte davantage aujourd'hui dans la Recherche, l'aspect lyrico-poétique ou la description des moeurs ?
L. V. : Le plus important à mon avis, c'est l'aspect moraliste, qui est même polémique, même si cette polémique n'entrait pas dans les intentions de Proust, et encore, elle y entrait profondément. Proust n'a sans doute pas, au départ, le projet précis de faire le tableau d'une certaine société en allant au fond des choses. Mais c'est ce tableau qui, aujourd'hui, me semble-t-il, est perçu comme le plus important. Si l'aspect poétique m'intéresse aussi, c'est essentiellement la polémique sociale qui m'importe : la découverte d'une société à laquelle Proust, toute sa vie, a tendu à s'intégrer, le gratin, le fameux Faubourg. Il espère en faire partie, y rencontrer des gens, nouer et entretenir des relations avec eux, et petit à petit il découvre que derrière cette façade fascinante, il n'y a que des ruines, que ce n'est qu'une structure très fragile sur le point de se décomposer et de s'écrouler. Voilà pour moi l'aspect le plus important de la Recherche.
E. M. : C'est même la découverte que Marcel fait à propos de l'amour ?
L. V. : Il tire les mêmes conclusions des rapports amoureux : l'amour n'existe plus, non plus que l'amitié. Tout sentiment se détruit au contact d'une certaine réalité. C'est cela, plus que l'acte lyrique et poétique de l'écriture, qui constitue aujourd'hui la leçon la plus importante de la Recherche. Tout l'aspect poétique, j'essaierai de le rendre à travers l'image, par des arrangements d'ordre visuel. Mais la substance du film doit être âprement polémique, tout comme est âprement polémique Marcel, le narrateur, dans sa description de la société dans laquelle il vit.
E. M. : Considérez-vous la Recherche plutôt comme une autobiographie ou plutôt comme un roman ?
L. V. : Une autobiographie, jusque dans ses plus intimes détails, racontée par un grand, un sublime visionnaire.
Enrico Medioli
19:41 Publié dans Cinéma | Lien permanent | Commentaires (0)
"Meidosems", éd. du Point du Jour, 1948
Livre fondamental, pour ne pas dire à mon sens le plus abouti dans l'oeuvre d'Henri Michaux, c'est effectivement Georges Raillard qui en a trouvé l'origine du titre, soigneusement choisi par l'auteur, le sème meido. J'y reviendrai naturellement. L'humour, l'ironie plus encore, pour donner moins de poids au Réel ; en ouvrant les portes d'un imaginaire actif.
La naissance de ce livre composé presque entièrement de textes inédits remonte à août 1945, le n°33 de la revue L'Arche, précisément (page 39 à 41). Des 6 textes de cette livraison, un seul sera repris dans Meidosems, avec 12 lithographies originales du poète, imprimées à même la pierre, en complicité avec l'atelier Desjobert à Montrouge. Le livre est tiré en octobre 48 à 271 exemplaires, ceux de tête ornés desdites lithos réimposées en couleur, de toute beauté. J'ai eu la chance d'en voir une à la vitrine d'une petite galerie en bord de Seine, dessin qui a disparu quelques jours après son exposition, acheté par un collectionneur chanceux. Cette litho avait, comme vous l'avez compris, été soustraite à un exemplaire de tête du livre, bien malheureusement.
Dans Dessiner l'écoulement du temps, repris in Passages (Le Point du Jour, 1963), Henri Michaux écrit, cernant de plus près cette morphocréation, où puise aussi son écriture d'alors :
"Les animaux et moi avions affaire ensemble. Mes mouvements, je les échangeais, en esprit, contre les leurs, avec lesquels, libéré de la limitation du bipède, je me répandais au-dehors... Je m'en grisais, surtout des plus sauvages, des plus subits, des plus saccadés. J'en inventais d'impossibles, j'y mêlais l'homme, non avec ses quatre membres tout juste bons pour le sport, muni de prolongements extraordinaires, suscités spontanément par ses humeurs, ses désirs, en une incessante morphocréation..."
Daniel Martinez
11:51 Publié dans Henri Michaux | Lien permanent | Commentaires (0)
18/12/2014
Que se passe-t-il dans la tête d'un génie ?
Cette question agite des équipes de chercheurs aux Etats-Unis comme en France. "Le génie est une capacité à produire quelque chose de hautement original", définit Nancy Andreasen, neuroscientifique de l'université de l'Iowa, qui étudie actuellement des cerveaux brillants, dont celui du créateur de la saga "Star Wars", George Lucas*. Car "en découvrant les composantes d'un esprit hors normes, on pourrait aider à les faire émerger, chez les enfants notamment".
Première leçon : les génies n'ont pas forcément un haut quotient intellectuel. Un minimum de 120 suffit (la moyenne de la population est de 100 ; ndlr : celle du regretté Pascal Ulrich, un laissé-pour-compte que vous connaissez mieux à présent, était de 147).
Deuxièmement : Einstein, Picasso, Beethoven ou encore Steve Jobs ont un point commun : une super-créativité. Or celle-ci se mesure ! "Il y a quatre niveaux de créativité ou "c", énonce le professeur Todd Lubart, de la faculté de psychologie Paris-Descartes, que l'on évalue selon la portée de l'oeuvre. "
Le petit "c" correspond à une créativité dans le cercle personnel, comme inventer des recettes de cuisine. Le troisième est reconnu dans le milieu professionnel [écrivain, ingénieur, artiste...]. Puis vient le "big c", le plus rare, la super-créativité qui rayonne jusqu'au niveau international" achève le spécialiste, qui étudie la créativité depuis 30 ans.
L'équipe de Todd Lubart a mis au point un programme d'évaluation du potentiel créatif, qui mesure 10 paramètres indispensables, au sommet chez les génies, mais qui existent plus ou moins chez tout le monde. Car -la science est formelle - nous avons tous un peu de génie.
Elena Sender
* sous toutes réserves, ndlr
14:53 Publié dans Clin d'oeil | Lien permanent | Commentaires (0)