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02/03/2016

Rodolphe Barry interviewe Charles Juliet, part 1

Rodolphe Barry : Alors que le but de la majeure partie des écrivains est de raconter des histoires, "d'écrire des livres", d'emblée, votre approche de l'écriture a été toute différente...

Charles Juliet : C'est exact. Mais je peux dire que je n'ai rien choisi. Je n'ai fait qu'obéir à une nécessité intérieure. Pendant des années, je n'ai écrit que des notes de Journal et des poèmes, parce que je ne pouvais rien écrire d'autre.

R. B. : Votre rapport à l'écriture a-t-il évolué avec le temps ? De quelle façon ?

C. J. : Fondamentalement, mon rapport à l'écriture n'a pas changé. Au début, il y a eu une urgence et une intensité dans l'engagement qui était lié à ma jeunesse. Sur ce plan-là, il y a eu un certain déclin. Mais il est largement compensé par la maturité et la quiétude qui me sont venues.

R. B. : Après 50 ans d'un travail assidu durant lesquels vous avez écrit poèmes, Journaux, études, récits, lettres, pièces de théâtre... écrire est-il plus facile aujourd'hui ?

C. J. :Oui, c'est indéniable, j'écris avec moins de difficulté. Depuis quatre, cinq ans, je connais même parfois le plaisir d'écrire. Je suis maintenant en possession d'un métier qui me permet de trouver assez rapidement des solutions aux problèmes qui se posent.

R. B. : Les moments de plénitude qu'il vous arrive de vivre parfois au coeur du travail, sont-ils toujours aussi rares ? Aussi intenses ?

C. J. : Ces moments sont moins intenses. Mais ils sont aussi plus fréquents. Je ne connais plus les hauts et les bas par lesquels je passais. Il y a en moi une stabilité qui m'a fait longtemps défaut.

R. B. : Le succès de Lambeaux - qui a été au programme du baccalauréat - les sollicitations toujours plus nombreuses, les déplacements... Tout cela influence-t-il votre travail ?

C. J. : Non, pas du tout... Les rencontres, les déplacements, les voyages n'ont plus le pouvoir de me brouiller, de m'éloigner de mon centre. Je reste clair, lucide et la paix intérieure n'est pas perturbée.

R. B. : Depuis 1975, vous tenez un Journal dont les tomes constituent à ce jour la colonne vertébrale de votre oeuvre. Alors qu'un huitième tome est en préparation, quel est son rôle à présent ?

C. J. : Je continue à tenir mon Journal, mais irrégulièrement. Je ne force rien. Je me contente d'accueillir une note quand elle se présente. Par ailleurs, lorsque je suis attelé à un texte, le Journal entre en sommeil. Je ne peux me diviser. C'est ce qui explique qu'il se passe parfois des semaines sans que je rédige une note. Je prends beaucoup de plaisir à écrire ce Journal qui est plus ouvert sur l'extérieur que par le passé.

R. B. : Il y a une dizaine d'années, vous m'aviez confié qu'étrangement, l'idée de la mort ne vous préoccupait pas tant que ça, mais que vous aviez un sens plus aigu de la fuite du temps. Qu'en est-il aujourd'hui ?

C. J. : Je pourrais dire la même chose. Je voudrais seulement que le temps me soit accordé de dire ce que j'ai encore à dire. Je vois maintenant les semaines, les mois, les années filer... Ce temps qui fuit, je m'efforce de ne pas le perdre.

R. B.: Le temps qui passe fait-il naître en vous un sentiment d'urgence, ou disons, de "priorité" ?

C. J. : Je devrais être plus attentif et me consacrer à ce qui me semble le plus important. Mais je n'y parviens pas. Des habitudes se sont installées et je n'ai aucun désir de les modifier.

R. B. : La fréquentation des penseurs mystiques et des philosophes a-t-elle influencé votre façon d'aborder la vieillesse ?

C. J. : Sans doute. Ils m'ont appris le dépouillement, le détachement, une certaine austérité... Pour l'instant, la mort ne m'angoisse pas. Mais qu'est-ce qui se passera demain ?

R. B. : Au fil des ans, votre passion pour faire la lecture est-elle restée intacte ?

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Rodolphe Barry interviewe Charles Juliet, part 2

Charles Juliet : Je ne peux plus faire les découvertes que j'ai faites quand j'avais tout à découvrir. En outre, je n'ai plus besoin de chercher des confirmations. Pour autant, j'aime encore lire et je sais apprécier un bon livre.

Rodolphe Barry : Quelles sont les oeuvres vers lesquelles vous aimez revenir ?

 C. J. : Je suis porté à reprendre des ouvrages qui m'ont fortement ébranlé, à relire des textes de la Bible, des textes de mystiques, à méditer sur des réflexions de Confucius, de Tchouang-Tseu..., à relire les lettres de Hölderlin, Rilke, Ariane Efron...

R. B. : Vous avez consacré une pièce de théâtre à Hölderlin, pièce traduite et jouée en Allemagne, notamment à Tübingen. La littérature allemande vous est-elle familière ? Quelles sont parmi ses grandes figures celles qui vous intéressent ?

C. J. : La littérature allemande contemporaine m'est inconnue. J'ai lu des écrivains du passé : Hölderlin, Novalis, - vif intérêt pour Henri d'Ofterdingen - Hermann Hesse... Je suis très attiré par Goethe que je connais mal et dont je vais lire les principaux ouvrages... Ses Conversations avec Eckermann et son Divan m'ont mis en appétit.

R. B. : A quoi travaillez-vous maintenant ?

C. J. : Quand je lisais un livre qui me paraissait important, j'en prélevais des phrases ou des passages. J'ai ainsi rempli plusieurs cahiers. Je veux maintenant publier un choix de ces textes. Il aura pour titre Ces mots qui nourrissent et qui apaisent... (paru en 2008, aux éditions POL)

Notes de Journal

Eté 2006

Si mes parents m'avaient élevé, il n'aurait pas été question que je fasse des études. Je serais allé à l'école jusqu'à treize ans, et sitôt après, il aurait fallu que je cherche du travail. Mais à l'époque, dans ce petit village, un jeune garçon n'avait pas la possibilité de choisir un métier. Il allait travailler là on voulait bien l'embaucher. Alors vers quoi aurais-je été dirigé ? Qui aurais-je été ? Que serais-je devenu ? A de telles questions que je me suis souvent posées, impossible de répondre.
Mais voilà, j'ai été séparé de ma mère peu de jours après ma naissance, et cette séparation a eu pour moi deux conséquences importantes : je ne suis pas resté dans mon village natal, là où je n'aurais eu aucun avenir, et par la suite, j'ai eu la chance insigne de pouvoir faire des études.*
A ne considérer que les faits et si choquant soit ce que je vais dire, je dois reconnaître que le drame survenu dans la vie de ma mère a eu pour moi d'heureux effets.

***

Quand on veut dire sa souffrance, il ne faut pas un mot de trop, est-il indiqué. Mais cela ne suffit pas. Il faut également que les mots employés soient empreints de pudeur, qu'ils ne visent pas à l'effet, qu'ils ne cherchent pas à apitoyer. Il faut encore, à mon sens, qu'ils aient cette gravité et cette pauvreté résultant de ce que la souffrance nous dépouille, nous met à nu, nous maintient au plus démuni de nous-même.

                                                                         Charles Juliet

__

* ndlr : Charles Juliet est né en 1934 à Jujurieux ; un mois après sa naissance, il est séparé de sa mère, internée en hôpital psychiatrique où elle finira ses jours. A 3 mois, il est placé dans une famille de paysans suisses qu'il ne quittera plus. A l'âge de 8 ans, il apprend à la fois l'existence et le décès de sa mère biologique.

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01/03/2016

Diérèse n°48/49, été 2000, spécial Pasolini, 15 €

Ce numéro de Diérèse, encore disponible, avait été concocté en grande partie par le traducteur Laurent Chevalier qui depuis s'en est allé. On peut y lire des pages inédites de son Journal (1948-1949), voici l'un de ses poèmes, pages 30, 31 :

Nella stanza gela l'improvvisa
prezensa della mia salma. Torno
ai primi sogni dell'esistenza ;
sogni partoriti da una luce scabra
di deserti infantili, nel cui vuoto
allucinate vaneggiano campane
sfibrate, infrante, balbettanti.

Io mi distraggo nella gioia d'ingenui
e indegni desideri : ma Lui vuole
morire, ha già deciso.

                           Non ho forse
bevuta tutta la mia vita ? C'è un odore
d'incenso nei calzoni che la brama
accarezzava... un odore di pioggia...
di polvere... une tenerezza intensa
e acida...
                       Ecco la visione, immensa,
l'intero panorama di una pianura
illuminata da un sole serale,
dove le campane d'una mia infanzia
di delirio, d'acido assopimento
balbettano note e frasi mortali.

                Pier Paolo Pasasolini

* *

Dans la pièce le froid gagne la présence
inattendue de ma dépouille. Je reviens
aux premiers rêves de l'existence,
rêves accouchés par la lumière âpre
de déserts enfantins, et dans ce vide
halluciné délirent des cloches
épuisées, brisées, balbutiantes.

Je me distrais avec joie des désirs
candides et indignes : mais Lui veut
mourir, il a déjà décidé.

                             N'ai-je peut-être pas bu
ma vie jusqu'à la lie ? Il y a une odeur d'encens
dans les pantalons que l'appétit
caressait... une odeur de pluie...
de poussière... une tendresse intense
et piquante...
                       Voilà la vision, immense,
le panorama entier d'une plaine
illuminée par le soleil du soir,
où les cloches de mon enfance
- de délire, de piquant assoupissement,
bégaient des notes et des phrases mortelles.

                   traduction de Laurent Chevalier

Notons qu'il n'existe pas à ce jour une édition intégrale des poèmes de Pasolini, qui fut étonnamment prolixe. Sa production quasi quotidienne, il la donnait à des revues (en 1942, il crée avec des amis les revues littéraires Eredi et Il Setaccio), des journaux, des magazines, des brochures, etc. Aucune recension complète n'a été faite à ce jour...