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06/03/2016

Federico García Lorca

     "Le poète qui va faire un poème (je le sais par ma propre expérience) a la vague sensation d'aller à une chasse nocturne dans un bois fort éloigné. Une peur inexplicable bruit dans son coeur. Pour s'apaiser, il est toujours bon de boire un verre d'eau fraîche et de tracer à la plume des traits sans signification... Le poète part à la chasse. Des brises délicates rafraîchissent le cristal de ses yeux. La lune, ronde comme un corps de tendre métal, retentit dans le silence des plus hautes ramures. Des cerfs blancs apparaissent dans les clairières, entre les troncs. La nuit tout entière se rassemble sous un écran de rumeur. Les eaux profondes et tranquilles miroitent entre les joncs... Il faut se mettre en marche. Et c'est là, pour le poète, le moment dangereux. Il doit avoir un plan des lieux qu'il va parcourir et rester serein devant les mille beautés et les mille laideurs déguisées en beautés qui passeront sous ses yeux. Il doit se boucher les oreilles comme Ulysse devant les sirènes et aussi décocher ses flèches aux métaphores vivantes et non à celles qui, factices, marchent en sa compagnie. Moment dangereux si le poète s'y laisse aller, car dès qu'il le fera, jamais plus il ne pourra édifier son oeuvre. Le poète doit partir en chasse pur et serein, et parfois même sous un déguisement. Il résistera avec fermeté aux mirages et guettera attentivement les proies palpitantes et réelles qui s'harmoniseront avec le plan qu'il a entrevu pour son poème. Il faut parfois pousser de grands cris dans la solitude poétique pour mettre en fuite les mauvais esprits de la facilité qui voudraient nous porter aux complaisances vulgaires, dépourvues de sens esthétique, d'ordre et de beauté."  

                                                                                    Federico García Lorca

 

Ainsi s'exprimait le poète des "Romances gitanes" ("Romancero gitano"), Federico García Lorca, dans une conférence qu'il donna à Grenade le 12 février 1926, et plus tard à Madrid et à La Havane.

La translation de ce texte est de Michel Host, Prix Goncourt 1986, qui a donné la meilleure traduction à ce jour des "Romances gitanes suivies de Complainte funèbre pour Ignacio Sánchez Mejías".

03/03/2016

Un lointain fredon

                                                                          i.m. Jean Grosjean

 

Une douceur est là, présente dans l'air, une clarté rousse, qu'imprègne la mémoire des hauts feuillages, piqués de gouttelettes vertes. Tout lentement se diffracte dans l'indéfini.

 

Une rumeur dorée, grave, profonde, l'odeur poivrée du chemin qui monte - à travers toutes sortes de distances, de nouveau quelque chose en nous est atteint, chaque jour renouvelle sa réponse, le spectacle et l'écho.

 

Menues particules qui dansent, palpitent tel un coeur. On devine où se fond l'argile du visage, confronté à la part du dieu, dans le jeu des roseaux qu'agite un bruissement soyeux, l'inconcevable vérité de l'être dans le monde.

 

Les nuages ont tracé derrière eux, suivant une chronologie simple, les rythmes et le Temps d'une enfance que seul retrouve le poète.

 

Cette impression, les yeux fermés, de voir se perdre dans le paysage les lueurs d'un autre âge ; tout aussi bien, d'être là, derrière les cloisons d'une maison de verre, absorbé : devant l'écume des nuées, ses laisses vives et brusques dissolutions.

 

Dans le déchirement de l'air, apprendre le recueillement, si sans cesse nos désirs frayent avec les trop violents contrastes. Saisis au biais de l'oeil, nul n'en achève la chronique.

 

La misère et la beauté. Au pied du mur qu'il nous faudra franchir, l'exaltation soudaine d'un essaim de passereaux. Ou ce jet de colombes à l'instant qu'a choisi un filet de brouillard pour se dissoudre entre nos mains.

 

La figure s'éloigne et la voix passe. Quand l'écarlate du vitrail perce le gui du peuplier, l'oreille, parée des syllabes longues de l'espace mesure l'intermède crépusculaire.

 

La tête inclinée, touchée par une vague d'ombre, dans les lisières du sommeil ou de la fin promise. Quand tournent les sens, sous l'immensité circulaire.

 

Toi, à qui je parle depuis ma nuit, derrière les soyeuses ondulations du rideau brodé de vent, dans la chambre de l'esprit, le domaine pur des nombres et des reflets.

                                                                         Daniel Martinez

20:34 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

Un poème de Jean Grosjean (1912-2006)

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          La nuit s’est retirée sans rien prescrire
          comme un charroi dont s’est éteint l’écho.

          Le soleil monte effleurer les coteaux
          avec ses mains de matinée timide.


          Le vent court comme un fou le long du bois
          parmi les papillons qu’il laisse en berne.

          L’oiseau qui s’est envolé de guingois
          heurte un nuage au détour des luzernes.


          Ainsi le jour se réveille et s’affaire
          avec l’entrain des grands velléitaires
          à rétrécir les ombres qu’il déploie.

                                          Jean Grosjean

18:14 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)