241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

10/02/2017

"La vie quotidienne" de Rainer Maria Rilke

Pas croyable ! Il aura fallu attendre 98 ans pour que soit mis en scène, en France, une pièce de Rilke, La Vie quotidienne. Il est vrai que le théâtre de Rilke, même en Allemagne, est tenu par les éditeurs, et par les garants du théâtre, pour peu de chose, des "tentatives de ses débuts", que Rilke aurait désavouées. Tout de même, en septembre 1901, quand il écrit, à 27 ans, La Vie quotidienne, Rilke a publié plusieurs livres de poésie, plusieurs ouvrages en prose, le poème dramatique La Princesse blanche, a fait jouer deux pièces, Aux premiers froids et Maintenant et à l'heure de notre mort, a écrit son poème le plus souvent réédité en Allemagne et dans le monde entier, Le Chant de l'amour et de la mort du cornette Christophe Rilke.

Tout fervent de Rainer Maria Rilke et de ses Cahiers de Malte sera touché par La Vie quotidienne, une œuvre de crise, carrément intime. En février 1901, Rilke s'est séparé de Lou Andréa Salomé, sa passion. En avril, il a épousé Clara Westhoff, qui attend un enfant de lui (ce sera une fille, Ruth), Lou a tout essayé pour empêcher ce mariage. En septembre, il écrit La Vie quotidienne.

Le lieu de l'action est l'atelier d'un peintre (Clara Westhoff est sculptrice). Le peintre de la pièce, Georg Millner, est le portrait craché de Rilke que décrit Lou dans sa lettre de rupture : "Tour à tour surexcité et déprimé, passant d'une excessive pusillanimité à d'excessifs emballements." Elle note une "paralysie de la volonté entrecoupée de sursaut nerveux, des alternances de flottement profond et de haussements de ton".

Ce peintre, copie de Rilke, rencontre chez des amis une femme, Hélène. L'amour absolu immédiat. Rappel du coup de foudre partagé Rilke-Lou en 1897. "Elle m'a compris, par-delà les mots... Nous savions tout l'un de l'autre" dit le peintre. Dès le lendemain matin, il attend Hélène dans son atelier. Elle apparaît. C'est pour couper les ponts. "Tout nous a été donné hier soir. Je connais tous tes gestes, ta douceur, ta violence, dit-elle, nous étions sur une île, et nous nous retrouvons dans la vie quotidienne, là les choses pèsent leur poids, ont une ombre." Hélène disparaît. Les roses et les oranges que le peintre avait fait acheter à son intention, par l'un de ses modèles, Mascha, c'est à Mascha qu'il les donne.

Rilke nous dit donc qu'au cours d'une soirée dans le monde, le temps de trois ou quatre heures, deux êtres peuvent se rencontrer, et, assis dans des fauteuils, vivre, par les seules paroles, une entente, un partage, une confiance, que jamais ils ne retrouveraient, ni dans les étreintes ni dans une vie commune. Ce n'est pas un propos génial, mais, dans La Vie quotidienne, Rilke a des inventions attachantes pour le dire, et inattendues.

Merci à Philippe Macaigne (ndlr : le metteur en scène) de nous avoir fait découvrir cette œuvre méprisée, de l'avoir bien dirigée, avec un détachement léger. Une Florence Viala lumineuse dans le rôle du modèle Mascha. Christian Gonon, le peintre, qui fit scintiller les tremblottes de l'enfant malade que Lou envoie se reposer ("je suis venue à toi comme une mère", n'oublie-t-elle pas de préciser, dans sa lettre d'adieux provisoires).

                                                                                                 Michel Cournot

15:15 Publié dans Théâtre | Lien permanent | Commentaires (0)

08/02/2017

"Le Sahara entre mes mains", de Morten Søndergaard

Imprimé à 250 exemplaires à Pietrasanta (Italie) en mars 2005 par les éditions Esprit Ouvert, ce livre de Morten Søndergaard a été traduit du danois par Eva Berg Gravensten & Eric Guilleman, estampage électrolytique en première de couverture et encres en pages intérieures de Jørgen Haugen Sørensen. Incontestablement, de la belle ouvrage.

Quête du passage hölderlinien du ciel à la terre où "demeurer", dans cet insaisissable nous saisissant, dans le perpétuel mystère de la nature, ici composée de parties sans tout, oscillant entre une redécouverte parallèle de soi et du monde ("J'essaie de me souvenir / du nom des choses. // Je les ai oubliées / dans la musique de la nuit.") et un dialogue permanent entre le "je" et le "tu" en miroir ("Je suis allongé, / au bord des larmes, / avec mes fouets noirs / et je vomis - / de ma bouche / s'échappent des poissons incandescents,/ l'un après l'autre, / qui descendent / vers ton sourire heureux."). Dans une grande force d'abstention tout autant que de ferveur participante, comme "les montagnes brûlent", "4 champs sombres ; / colonnes de suie et de souches" jusques à ces relais lointains des choses, "le couteau à fruits", les "aiguilles cassées d'une horloge", un "nous" se profile, mais de séparation : "Une femme marche in absentia / à travers les blés, / les épis cognent contre son sexe."

Ce corps de choses défaites, cette mémoire des objets et ces "champs magnétiques" autant que magnétiseurs, tout cela est mêlé, opaque, brassé, broyé. Chacun y puise, ainsi que dans un grand réservoir livré à la récupération, qui une portion discontinue de pensée ou de figure retrouvée là, comme échappée, qui le ventre d'un puits semblable au labyrinthe de l'oreille interne, qui un filet de lumière sur les toits à l'aube, qui trois fleurs, une lettre, un escargot, "des congères / d'ailes blanches", un rien, une chose. L'ébauche ou le souvenir des objets assemblés, réassemblés, du temps et de l'espace entre eux et du vouloir qui les tenait. Bribes d'un voyage silencieux du poète en lui-même.

Ce va-et-vient de l'un à l'autre (rêvé/ réel) sur le vide médian réinstaure donc un dialogue, muet, qui vaut réconciliation ; l'image va par le texte, aimant le mot qu'elle drape d'un langage où irradie sa lumière, abandonnant à la seule typographie la charge de la couleur des pages, qui est somme toute celle des sentiments. Leur complet déploiement délimite un Sud imaginaire (le Sahara), où toute chronologie serait inutile ("Chaque temps / en sa chose."). L'ailleurs et l'ici ne sont pas plus suspects l'un que l'autre, ce qui rend vaine toute singularité absolue, mais concourt à "rendre le sel / aux yeux des dieux." Au plus loin comme en avant de soi, le poème fait le lien, avec l'eau première et l'enfance du feu, lors même que "la neige verse les sons / dans la boîte du noir / et déjà tu t'éteins."

                                                                       Daniel Martinez

14:43 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (4)

06/02/2017

Moirures VI

6-02-2017

VI


Il n'y a plus de nuit dans la nuit

                 franchissant les anneaux d'une onde
dont le centre a disparu      
                 dans le suspens des sons

un carrosse étincelant galope quelque part
à peine si l'on touche maintenant                  tout juste audible
une note                                 ou un accord
peut-être un accord de passage
                                              ou une appogiature

et                    sous un grand pan de ciel opalescent
où je me suis ébattu
l'air se fait plus fluide              il emporte
des nuances infinies et presque imaginaires
                 d'un camaïeu d'argent et d'indigo
                                        sur les pierres effacées se pose
Il n'y a plus de nuit dans la nuit


                                             Daniel Martinez

17:20 Publié dans Moirures | Lien permanent | Commentaires (0)