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17/09/2018

"Lac de nuit", de Jacques Gardies, éd. H. Gardies-Martelly, Antibes, 1982

Voici un poète qui ne fleurira pas dans les anthologies, il présente en effet les caractéristiques/"défauts" suivants : il est surréaliste et sa poésie rime, fichtre donc ! Qu'importe, voici. Vous verrez et lirez, c'est "un peu" plus parlant que bien des publications actuelles, (ita est) :

LE BRAS DE MER

Paysage marin mordu de lèvres dures
j’invoque tes replis de nymphes et tes dents
Tu livres ton sourire amer baigné de vent
avec ta noire chevelure.

Les pinces du désir ouvertes sur la mer
en s’ouvrant montrent leur légèreté de liège,
les centaures marins qui étaient pris au piège
deviennent libres comme l’air.

Ils se laissent rouler par les vagues des plages
où dans le sable ils impriment leur dur sabot,
le sol ne garde pas trace de leur passage
plus que le roulement des flots.

Mince corne, repli, ouverture marine
en refermant les dents tu mords comme le sel,
de ton double désir fuyant à ras de ciel
la forme obscure se dessine

noire comme une larme, amère comme un cri,
jetant contre les dieux toute une amère flèche,
empruntant la couleur de la colline, sèche
d’un écrasant mépris.

Voilà pour le visage, il arrive de l’ombre,
bouche seule, perdue en mer comme un sanglier
qui nage vers les fruits ténébreux des figuiers ;
à la surface sombre,

hérissé de piquants comme la nuit, là-haut,
on ne distingue pas avec la transparence
le bas d’avec le haut, on le voit qui avance
sur les hauteurs de l'eau,

de l’eau qui de son antre est la vaste ouverture.
Il nage vers le bord en face au sable clair
où poussent bien cachés les raisins de la mer
et où tombent les figues mûres

mêlées au sable… Comme, fine, se déchire
cette bouche qui saigne et coupe lentement
faisant le tour du corps et qui, profondément,
chaque fois qu’elle vire,

fait se répandre les entrailles et les os
où prendre à pleines mains, puiser avec délices ;
son sourire remonte alors mais elle glisse,
sept poignards fichés dans le dos.

Et tourne… Comme du sable qu’on abandonne
Vide, désert, elle déchire les saisons.

On aperçoit sur les plages de l’horizon
jouer les centaures d’automne….

Comme double émergeant de l’eau du souvenir,
égale, un demi-dieu de la mer la traverse,
il écoute sur le golfe courbé qu’il perce
l’écho lui revenir.

Son corps fait partie de l’effacement friable
de l’argile, de l’eau, des étendues de ciel

qui d’île en île va, de la couleur du miel,
les joindre avec du sable.

Où es-tu, où es-tu île entourée de froid,
grain de sable ma noire et belle sécheresse ?
le dieu de mer guidé vers la voix de pauvresse
s’y dirige tout droit.

Ton beau corps d’animal est fait de fruits et d’îles
libres, grains répartis aux quatre coins de l'air,
découpés au couteau par un trait mince, ouvert
de soleil labourant l'argile,

Vides et répandus comme les roseaux creux,
libres d’être des pins, de devenir des plages,

libres de respirer l’amour des coquillages,
libres d’unir entre eux

la pointe d’une île et la corne de la lune,
ses membres respirant le goût de la fraîcheur
et que l’on voit faire les gestes de pêcheurs
que nues font les collines brunes.

Corps d’huitre, de cailloux roulé par une nuit
d’algue noire elle aussi lisse de pourriture,
creux de violettes, coups de couteaux, ouverture
autour de son ventre poli.

Les paniers de raisin, les corbeilles d’olives,
les monts bossus, creusés, inclinés par le vent
et qui trempent leur pied dans la fuite du temps
piquant d’aiguilles vives

sont ses os dispersés… sable qui glisse sur
les murs de la maison coupants comme une coque
une fragilité de chaise dont se moque
l’ombre des tuiles sur le mur.

Jour et nuit, hameçon noir courbé sur le vide
le sable te connaît toi qui ne saisis rien
que le refus obscur perdu dans le lointain
de l’horizon liquide,

Temps court devenu bref comme l’angle d’un mur,
transparente maigreur de la mauvaise pêche,
épine ! en t’arrachant je te transforme en flèche.
Au bas des monts obscurs

on voit vibrer, tendu, le mince trait des sables
lancé par l’arc des mers. Au bistrot où j’entrai
je demandai : "patronne vous me donnerez
une douzaine d'étoiles".

 


Jacques Gardies

GARDIES.png

11:31 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

13/09/2018

La buée du dernier orage

Pacifié l'univers s'arrête
les graines sont tombées
il a plu
toute la nuit
happer l'air au lever du jour
en foulant l'Inconnu
j'ai ouvert ce qui te ressemble

sur la grammaire de la nature
sur le proche et le lointain
frémissants et graves


Si tout était vu
tu perdrais jusqu'à l'usage de tes yeux
cela même qui anime entre les épines de sel
d'infimes luisances
l'extrême hier et le proche demain
où s'entremêlent les pousses

de la ciboulette de Chine
lignes de fuite et instants figés se succèdent
pour ordonner quelque peu le chaos


Un frisson a réveillé mon corps engourdi
des piments verts se balancent
petite feuille d'or
son bruissement dans l'air

dans le crépuscule du matin
ses gammes de marron
et de bleu-violet
tout cela se passe en toi
et tu sais avec sûreté
qu'une poignée d'écume suffit
à éveiller des astres
la porte est restée ouverte toute la nuit


Un pendant de cordon rouge
met à jour une figure intacte
entre des pans d'ombre
perdus dans les recoins
qui sentent l'herbe et la sueur
sous le voile d'un été finissant
tu es nous sommes toujours partout
où le monde suit ses traces
sans jamais se perdre
entre oud et luth
entre rebab et rebec


Deux petits nuages qu'on ne voyait
pas tout à l'heure éclatent
en un jaune doré
un flux continu s'immisce
dans une barbe de lierres

traçant des formes de gestes
des globes de lumière
incommensurables à l'ordinaire des mots
dans l'échange incessant

d'un apparaître et d'un disparaître

Daniel Martinez
15/9/18

11:23 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

08/09/2018

Herberto Hélder de Oliveira (1930-2015), traduit par Filipe Jarro

Comme Nuno Júdice, dont Diérèse vous a présenté des poèmes inédits, voici pour vous ce dimanche chaud comme je les aime l'écrivain, le poète Herberto Hélder, qui se considérait comme autodidacte, et compte parmi les écrivains portugais de référence pour la seconde moitié du vingtième siècle - toujours éloigné des coteries diverses et variées qui traversent le médium poétique, et occulte de facto des pans entiers de la création... Bref. Partiellement traduit en français, je rendrai hommage en particulier aux Lettres Vives qui ont bien voulu l'accueillir dans sa collection.

Herberto Hélder de Oliveira avait été interviewé par Filipe Jarro en 1999. Voici un extrait de ce qu'il (lui) disait alors :

"Moi, je ne suis pas moderne. L'emphase souligne d'une part le caractère extrême de la poésie, et d'autre part sa nature extrêmement indéfinie de pratique destructrice et créatrice, et le secret jubilatoire de cette duplicité ; elle souligne aussi, scandaleusement, le sens non-intellectuel, supra-rationnel, corporel, du pouvoir de l'imagination poétique d'animer l'univers et de tout identifier avec tout. La culture moderne est devenue incapable d'une telle emphase, car il s'agit d'une culture alimentée par le rationalisme, la recherche, l'utilitarisme. Si l'on demande à la culture moderne de considérer l'esprit emphatique de la magie, l'identification de notre corps avec la matière et les formes, c'est toute la modernité qui s'écroule. Car l'esprit emphatique existe par soustraction des éléments sur lesquels se fonde cette culture. Nous sommes forcés d'aller loin, au plus secret du temps, d'aller boire aux nuits occultes. Il semble que la physique, maintenant, commence à travailler dans le sens de la question poétique : les choses ont entre elles des relations de mystère, et non des relations de cause à effet. On ouvre son chemin à travers l'obscurité, interrogeant, allant de l'avant."

* * *

 

Quel ouvrage penché : polir le joyau exténuant,
multiplier le monde face
après face.
Faire de l'image une conscience diverse.
Le feu de cette pierre toujours plus
éveillée, précieuse, convulsive, profonde, ardente.
Tu y travailles jusqu'aux ongles.
Tu travailles dans l'attention terrifiée, avec une telle louange
de l’œuvre, irréellement. Les saisons de la nuit, les systèmes
nerveux des hautes adiantes,
les plumages.
Et les jours compacts comme le lait
tenu dans les jarres, ou vastes
des soies étendues. Ils passent
unis les uns aux autres
par les coudes. Et tu lapides et lapides. Tu lui arraches la force
électrique. Qui toi,
aux mains et à la tête, dans le noir, dans l'élévation
de l'air dans le sommeil, te rend déracinément
limpide. L'éclair
interne. Qui te brûle la vue. Et dans l'aveuglement ne reste,
atroce,
que le cœur du joyau.

Herberto Hélder

in Última ciência

 

J'emprunterai à Herberto Hélder son expression : "L'éclair interne" pour en faire le titre de Diérèse opus 74. Vous prévenir aussi : une nouvelle auteure de qualité nous rejoindra, Marie Tavera. A bientôt. Amitiés partagées, Daniel Martinez

21:20 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)