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25/09/2021

"Pour la littérature", de Cécile Wajsbrot, éditions Zulma, 19 mai 1999, 64 pages, 49 F.

Ecrire définit une technique, une activité comme une autre, qui s'apprend et qui s'enseigne - il y a des ateliers d'écriture comme il y a des ateliers de couture ou de mécanique auto - c'est une activité universelle. Tout le monde écrit, et tous les jours, on peut écrire des lettres, des rapports, même remplir un chèque ou signer une note de carte bleue, c'est encore écrire, et on écrit aussi des livres. Employer le même mot invite à considérer qu'il s'agit de la même chose, que la seule différence entre écrire une lettre et écrire un roman est une question de longueur, que si on sait faire l'un, on peut savoir faire l'autre. 
Lorsque l'écriture apparaît, la singularité de la littérature disparaît, autant dire son essence. On écrit des livres, au pluriel, et les uns viennent s'ajouter aux autres, sans que personne ne songe à faire le total un jour - il n'y a pas de total, la seule mesure est l'unité. Tandis que la littérature est singulière, elle suppose la construction d'une œuvre, pierre à pierre, le souffle nécessaire pour y parvenir - l'élan. Mais quel élan, dans l'écriture ? L'écriture est abstraction au sens où elle retire quelque chose, au sens de soustraction, et cette chose qu'elle retire, c'est tout simplement la vie. L'écriture est un squelette, mais un squelette dont la colonne vertébrale aurait disparu, un amas d'os épars, un amas de phrases brèves, de mannequins bourrés de sable pour donner l'apparence d'une forme, de la vie, mais qui ne fait pas illusion pour peu qu'on l'approche d'assez près...


Cécile Wajsbrot

23:43 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

"Pourquoi écrivez-vous ?"

Christian Bobin : Ne me demandez pas pourquoi écrire mais pour qui, et là je saurai vous répondre : pour vous et pour moi, pour un "vous" et un "moi" à venir, non encore apparus en ce monde où il n'y a personne.

Patrick Grainville : J'écris parce que j'ai peur. C'est l'angoisse le ressort, le moteur. J'écris pour combler un vide, un fossé entre moi - le dehors - et le monde. Il me faut le reconquérir, l'apprivoiser, le revêtir de mes mots, de mes images, pour qu'à ma ressemblance enfin, il cesse de m'exclure. - J'écris pour bâtir un monde à l'image de mon désir. Pour m'embarquer dans l'Arche. Pour habiter mon nom.

Pierre Notte : Parce que l'écriture est une forme dégénérée de l'ennui plus sûre et mieux dissimulée que la télévision.
Parce qu'il n'y a pas, quoi qu'on en dise, que des bêtises à la télévision, et qu'il faut bien passer le reste du temps. Parce que tout a été dit, mais pas comme je voulais.
Parce qu'il y a des silences moins avoués.
Et puis parce que je voudrais bien être quelqu'un, même décemment, comme ça, pour voir, parmi ceux qui existent.

Claude Simon : J'écris pour écrire.

Philippe Sollers : Parce que c'est moi.

Olivier Targowla : J'écris pour rassembler ce qui est épars en moi. Peut-être aussi pour me donner une apparente cohérence.

Antoine Volodine : Cela certainement quelqu'un l'aura déclaré déjà, mais écrivant je ne cherche pas à me faire original.
J'écris contre le dégoût de ne pas savoir, j'écris pour tourner la loi du silence qui doit suivre, j'écris pour connaître avant terme la saveur du mot fin.

François Weyergans : Ayant eu de longues conversations avec beaucoup de romanciers et quelques poètes, je ne leur ai jamais demandé : "Pourquoi écrivez-vous ?" Ni eux à moi. On aurait éclaté de rire, me semble-t-il - à moins d'être directeurs de revues ? C'est que la réponse à votre question devrait plutôt se chercher, à mon avis, dans les livres publiés par ceux à qui vous la posez. Si réponse il y a, on la trouve pendant la lecture de ces livres. C'est en tout cas mon expérience avec les livres que je relis. C'est évidemment un autre travail que la petite enquête à laquelle vous me demandez de prendre part. Mais je suis curieux de voir les réponses des autres ! Et puis votre question arrive au moment où je suis en train d'essayer de finir mon prochain livre. Est-ce qu'on demande au trapéziste qui s'apprête à sauter pourquoi il est là-haut ?

Alain-Fabre Catalan : Écrire de la poésie, c'est tenter de faire du souci poétique l'expérience dominante de la vie. Au fil du temps, l’écriture est devenue pour moi le témoignage de cette présence immédiate qui perdure dans la pensée du poème et vient enflammer le tissu des mots au plus près de la voix. Cette attention portée aux mots constitue, jour après jour, la mémoire du poème, véritable anamnèse qui se nourrit de la présence des choses et de leurs traces invisibles, ces souvenirs d'une autre langue que la poésie ne cesse de traduire. Ainsi le besoin de la poésie et la question de sa traduction n’ont-ils jamais cessé de m’accompagner.

Jean-Paul Bota : Je me suis souvent posé cette question sans pouvoir de manière évidente m’apporter une réponse.
J’écris, je pense, par besoin, par plaisir, pour exorciser ma peur et essayer d’avoir un rapport plus apaisé avec le monde, et pour partager mon expérience.

Jean-Christophe Ribeyre : J'écris pour être de ce monde qui m'échappe et me fuit. Non pas pour le fixer, le saisir à pleines mains, mais pour qu'il pénètre mieux en moi. Qu'il me chante, m'accorde à lui.

Philippe Mathy : J’écris pour tenter de percevoir la part d’invisible qui m’habite et celle qui est présente dans les êtres et les paysages qui m’entourent. J’écris pour tenter d’éclaircir la voix qui surgit dans les mots que j’assemble, car cette voix n’est pas seulement mienne… Ce ne sont que des approches. Impossible de donner une réponse complète, achevée, ce pourquoi peut-être on continue d’écrire.

Daniel Martinez : J’écris d'une traite, en ne me relisant pas le plus souvent, précisons : dans un premier temps, en "séquentielles", au jour le jour, pour fouiller dans ma mémoire ; in fine, tenter d’y mettre un peu d’ordre. En espérant y trouver, à l'occasion - avec le tout-venant -, des "pépites", "pépites" à mes yeux bien sûr (l’espoir fait vivre), dans un flash-back permanent. Au rebours de la vie sociale, écrire est devenir soi-même, quête d'authenticité. C'est entrer de son plein gré dans une zone de turbulences.

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Claude Simon : paysage intérieur

Quand il reçut son prix Nobel de littérature en 1985, Claude Simon expliqua aux jurés suédois que malgré son âge - il avait alors 72 ans -, il n'avait encore découvert aucun sens à sa vie "si ce n'est, comme l'a dit, je crois, Roland Barthes après Shakespeare, que « si le monde signifie quelque chose, c'est qu'il ne signifie rien - sauf qu'il est. »"
La vie de Claude Simon, né à la veille de la boucherie de 14-18, a été marquée par ce vide, la guerre, la maladie et l'enfermement, et l'écrivain s'est retrouvé "plusieurs fois au bord de la mort, violente ou naturelle". Son œuvre est à l'image de ces épreuves personnelles et du chaos du siècle : entre histoire et mémoire, elle avance "sur des sables mouvants", et seule la syntaxe agencée de l'écriture peut conférer quelque sens à ce désordre initial. Souvent qualifiés de difficiles parce que sinueux, les livres de Claude Simon explorent de manière proustienne "l'impalpable et protecteur brouillard de la mémoire", le trouble puzzle du souvenir où la langue va temporairement mettre un peu d'ordre. Il n'y a d'événement que l'image que l'on en garde. Le roman objectif n'existe pas plus que le miroir impartial de la réalité. Cette théorie, qui avait fait de lui un pilier du Nouveau Roman, école antinaturaliste des années 60 avec Nathalie Sarraute, Michel Butor et Alain Robbe-Grillet en autres figures liges, ne signifiait pas chez Simon tout refus de description. Mais c'était celle d'un paysage intérieur et d'un écrivain aux prises avec l'aventure de son récit.
De livre en livre, Claude Simon déchiffrait les fragments de monde imprimés en lui et les recomposait en mosaïque plus harmonieuse, plus maîtrisée. De la littérature comme un Jardin des plantes.


Antoine Ganascia


"On écrit ce qui se passe au présent de l'écriture et ce qui existe dans le souvenir avec toutes les déformations que porte en elle la mémoire et qu'apporte encore l'écriture. Plutôt qu'autobiographiques, je préfère dire que mes livres sont à base de vécu." Claude Simon

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