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09/02/2021

"Le Colporteur", de Christian Bobin, éditions Brandes, 21/3/1986, 560 exemplaires, 40 pages

A quelques jours près, paraissent quelques poèmes de Christian Bobin dans le premier numéro de la revue "Noir sur blanc" (6 numéros à son actif, de mars 86 à l'été 1988), extraits du livre sous presse en ce même mois de mars 1986, aux éditions Brandes, "Le Colporteur".
Pour le poète et futur romancier, il s'agit de son quatrième et antépénultième opus publié auxdites éditions, alors dirigées par Laurent Debut. Après "Lettre pourpre" (1977), "Le feu des chambres" (1978), "Le baiser de marbre noir" (1984) et avant "Dame, roi, valet" (1987), suivi de
"Lettre pourpre et autres", en 1992 : une édition originale collective qui rassemble les premiers textes publiés par Christian Bobin parus chez Brandes. 
... Dès ses débuts, un auteur fascinant, en quête du sujet principal, et qui va s'affirmer de livre en livre sans concession avec les modes et travers de l'époque, littéraires ou autres, ce qui lui vaudra louanges et inimitiés tout à la fois :


"La chambre de lecture est nue, peu faite pour recevoir. Point de ce luxe qui éparpille la vue, fragmente le silence du dedans. Chambre obscure où flotte pourtant une lumière qui n'est pas celle du jour. Dans un instant, viendra y tournoyer la poussière des ailes de mourir, de naître et d'aimer. Il suffira pour cela d'un livre heureux, d'une abeille noire et blanche : d'un rien.

Seul, sur le bord de la fenêtre, ce panier de mots et de violettes fraîches, à peine entamé.


Quittant le monde tu ouvres un livre : une boîte à silence, familière, ouvragée, délivrant un diable-doux, un ange-acide. Fermant le livre, tu gagnes enfin ce qui n'est plus ni du monde, ni des mots : la bonté, ou le désespoir.

Allant hors de toi pour mieux te rapprocher du centre, jusqu'à ce point du plus grand trouble qui est aussi celui de la plus grande paix."


Christian Bobin

08/03/2020

"Joue-moi quelque chose", de John Berger, éditions du Seuil, 1998

On connaît le romancier et poète Christian Bobin, mais point trop le critique, avisé, qui nous donne ici envie de lire (ou de relire) "Joue-moi quelque chose" de John Berger, traduit de l'anglais par Elisabeth Janvier, paru aux éditions du Seuil en 1998 :

* * * * *

Cinq soleils dans la nuit

"Ce livre, quand on le tient dans ses mains, quand l’œil se pose sur les caractères ronds, bien noirs, bien pris dans la pâte du papier blanc, ce livre lève en nous une mémoire lointaine, une lumière d'enfance. Ce livre, pour tout dire, n'est pas un livre mais une bassine de cuivre où fondent les mots, dans une vapeur sucrée, odorante. Par son allure matérielle, par le ton de sa voix, ce texte induit un bonheur physique, rond, plein. Un bonheur de mélancolie. Une jouissance claire.

Cinq histoires. Cinq chansons d'amour que John Berger donne à ces gens qu'il côtoie : cultivateurs, fermiers, paysans de Haute-Savoie. Leur temps est compté. Les trains à grande vitesse déchirent leurs terres. L'Europe à grande richesse calcine leurs granges. Mais ce livre n'est pourtant pas un livre de misère, pas du tout. Ce livre est livre de la reconnaissance. Si John Berger le donne à ses compagnons, c'est qu'il le leur devait. Il les aime, ces gens. Il aime ces visages râpeux, usés, ingrats. Il leur doit tout l'amour du monde, tout le goût de la terre. Cinq fois il refait sa déclaration, cinq fables vraies.

Évoquons la première seulement : elle tient en deux mots, mais comme ces deux mots ne suffiront jamais à tenir ensemble la terre et le ciel, le sang et les étoiles, il fallait bien en faire un récit : "Si l'on pouvait nommer d'un seul mot tout ce qui nous arrive dans la vie, il n'y aurait plus besoin d'écrire d'histoires. Un seul mot nous manque, et nous voilà obligés de raconter toute l'histoire, du début à la fin." En simplifiant : un agriculteur de quarante ans vit auprès de sa mère. Il n'est pas marié. Sa mère meurt, il tourne et retourne dans la maison vide, il descend aux enfers. Il en ressort avec un accordéon dans les bras, un accordéon joyeux, insolent et gai comme une jolie jeune femme. D'abord il joue pour les vaches, dans l'étable. Maintenant il joue pour les noces, maintenant il fabrique du soleil pour les autres. Voilà. C'est tout.

C'est tout, mais l'essentiel est ailleurs, et ailleurs c'est partout dans chaque phrase, dans le grain de la voix. Voyez par exemple ce que donnent les pommes de terre dans la main de l'auteur : "Les pommes de terre qu'on vient juste de rentrer dégagent une curieuse chaleur, elles luisent dans l'obscurité comme des épaules d'enfants qui seraient restés toute la journée au soleil." Et tout va ainsi dans ce livre, sous une grande lumière crue. La merveille, bien sûr, dans ce texte comme dans la vie, ce sont les femmes : vieilles ou jeunes, indolentes ou têtues, elles portent le ciel à leurs épaules, et la terre à leur taille. Le regard que John Berger pose sur elles est magnifique. La sueur, le songe, la chair, l'espérance, le lait, le mystère, tout est rassemblé dans la même phrase, coulé dans la même robe.

Les livres ont souvent l'air d'être faits d'encre - et de rien d'autre. Celui-là est fait d'argile, d'argile mêlée de souffle. On est heureux de le dire, d'un bonheur de premier matin, d'une lecture de premier amour. En le lisant j'entendais cette autre voix, lointaine, la voix d'un autre John, Saint-John Perse, et cette voix qui planait sur le livre, elle en venait, elle y revenait : "- et debout sur la tranche éclatante du jour, au seuil d'un grand pays plus chaste que la mort, les filles urinaient en écartant la toile peinte de leur robe."

Christian Bobin 

10/01/2020

L'esprit dévore la métaphore, le sens est foudroyant.

"Dire : je sais les horreurs de cette vie et je ne me lasserai jamais d'en débusquer les merveilles, c'est faire son travail d'homme, et vous le savez bien : ce genre de travail n'est jamais fini, c'est comme les images, elles continuent à trembler bien après le bain, bien après la magie des révélations."


Christian Bobin

 

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