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18/08/2016

"Les canons du lire-écrire", de Serge Meitinger

Extraits d'un livre de raison

 

Lundi 8 février 1999 :

Ecrivant un poème, constater une fois de plus, une fois encore que son et sens doivent d'abord, s'ajuster, que la rythmique est aussi la mimique, le rythme, le mime... Recherche des mots, guidée par le ton, le son et l'accent : le sens s'y cherche lui-même. Et l'idée ? Elle est souvent seconde ; elle est la saveur que l'on tire du fruit. Idée-saveur du poème-fruit, elle n'est sensible qu'au mâcher, qu'à la manducation du verbe...

Bien que partielle (et partiale), l'une des meilleures et plus justes définitions de la littérature que je connaisse est celle que donne Michel Foucault : "la littérature, c'est la compensation à la fonction significative du langage", "la part du feu du désir". C'est aussi, c'est surtout la part de l'être...

R.M. Rilke écrit à peu près, dans les Cahiers de Malte : "Je lis un poète et le monde m'est rendu". Et je ne puis que me dire mezzo voce : "C'est cela, oui, c'est bien ça !".

Mardi 9 février 1999 :

Je voudrais tenir un livre de raison qui serait à la fois celui des raisons d'écrire et la prise en compte raisonnée des "subtils, et puissants calculs" préludant et participant à la conception poétique. Il ne peut être que fragmentaire - miettes parfois discordes d'une critique de la raison poétique. C'est aussi un portrait en morceaux de l'artiste à l'œuvre et à l'épreuve.

Jeudi 11 février 1999 :

Faulkner, admirable et pitoyable, mangé par l'œuvre. Déchu. Celui qui refuse d'être mangé, défait, celui qui s'en défend, vraiment, œuvre-t-il ?
L'artiste - celui qui est obscurément requis et conquis par l'œuvre - est dans "son fond(s) le plus ténébreux" relativement indifférent, aux accrocs de la vie quotidienne, de la vie matérielle. Protégé de la vie par l’œuvre, séparé par elle, il ne connaît guère les affres de l'amour-propre ni de l'envie. L'ordinaire psychologie ne lui convient pas : il ignore le plus souvent la colère et ses raisons, la rage, la violence... Un fond d'indifférence domine la part de son existence qui se situe, hors l’œuvre, et les événements n'effleurent que son épiderme sans le compromettre en son essentiel où se fait le travail.

Ecrire toujours à la limite de ce que l'on sait, à la frontière de l'inconnu, à la lisière de toute assurance.

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                                                                                                Serge Meitinger

 

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17/08/2016

"Les canons du lire-écrire", de Serge Meitinger, opus 2

Samedi 13 février 1999

Poète, qui osera de lui-même s'intituler "poète" ? Peut-on jamais être sûr de l'être ? Le poète c'est toujours l'autre, celui qu'on voudrait devenir. Quand le titre s'impose ou en impose, il vient du dehors comme un rôle, un masque, un carcan...

Vendredi 19 mars 1999

Il serait bon, je crois, que chacun connût clairement et distinctement son point orgiaque, le moment où, toutes réserves étant levées, toutes forces étant épuisées, le désir se perpétue à vide, dans une parfaite impudeur et dans la plus pure exténuation... La nudité du sexe enfin atteinte dans un dépouillement qui concerne d'abord l'âme. C'est peut-être ce que voulait suggérer Rilke quand il soulignait l'importance de nos nuits d'amour pour l'expérience poétique.

Dimanche 21 mars 1999

Penser à la journée, à la vie quotidienne d'un Hölderlin par exemple, quand il était précepteur dans de riches familles... Vie de larbin galonné où il a dû se sentir plus d'une fois rogner les ailes de la pensée.
Penser à Mallarmé, au petit prof en proie aux élèves et aux chers collègues.
Penser aussi à une journée de Verlaine, de Rimbaud, car, eux, ils ont connu les répugnances et les "malséances" de la drague homosexuelle, les amours de pissotières, les vicissitudes de l'alcool et de l'enivrement, et, au cours de leurs vastes pérégrinations, le mépris facile des bien-pensants, de ceux qui jouissent en bons pères de famille.
Quand la blessure absolue, quand la blessure ontologique est redoublée par une blessure sociale ; quand la plaie se montre et reçoit les crachats.
Une telle malédiction hélas ! ne s'arrête pas au cercueil : Verlaine et Rimbaud sont ainsi devenus les prête-noms d'une route touristique tout au long de laquelle leurs oeuvres s'adornent des charmes coquets du régionalisme.

Lundi 26 avril 1999

Je me dis parfois, drôlement, que j'aurai droit au printemps quand j'aurai fini telle ou telle tâche d'écriture... Droit à la vie du corps, retour à l'odeur des choses, à la peau caressante du monde... Mais en finit-on jamais avec le texte ? Et ce dernier n'est-il pas aussi, à sa façon, un corps et un monde ? Ne se greffe-t-il pas sur nous, corps, âme et peau ?

Mercredi 28 avril 1999

Je considère que j'ai trois registres d'écriture, - au moins.
D'abord, la part la plus secrète et la moins saisissable : la poésie. Elle m'échappe, ne cesse de m'échapper, s'imposant sans crier gare, se refusant longtemps, trop longtemps... L'inspiration, comme on dit, y est déterminante et souveraine : elle naît d'un événement singulier du monde (ou de la vie) en appelant au verbe ou d'un événement, d'un avènement propre au jeu des mots en appelant au monde. Son résultat me dépasse et, bien que je garde une vue critique sur lui, il m'apparaît le plus souvent avec toute la puissance d'un être nécessaire et intouchable. C'est, paradoxalement, la part la plus impersonnelle de ce que je puis écrire, touchant au "fond(s) le plus ténébreux", proche de l'indifférence, essentielle. Ce n'est pas un travail, mais le compte tenu d'une urgence.

Ensuite, pour aller directement à l'autre bout du spectre ici ouvert, il y a l'écriture que l'on pourrait dire "de commande", part extravertie et à peine personnelle, part facile et technique (bien qu'intéressante), très proche de l'exercice académique (dissertation, thèse ; essais, articles, communications plus ou moins calibrés et normés). Ecriture quasi sans douleur. Dans ce cas, l'on peut se mettre à sa table de travail presque chaque jour et déterminer la qualité, la quantité et la progression du texte à produire. C'est un travail à peu près comme un autre, le travail du chercheur et/ou de l'écrivant.

Enfin, plus complexe et plus problématique, la part travaillée, ouvragée et personnelle de l'écrire. Ecriture d'une prose méditée et méditante, se risquant à penser par elle-même dans le mouvement même de son déploiement. Ecriture d'une personne qui s'éprouve elle-même dans et par son acte vivant. Ecriture ferme et resserrée, cheminant lentement et souvent douteusement, douloureusement... C'est un travail encore mais au sens désormais d'une gestation puis d'une gésine. L'essai, même universitaire, y touche parfois en ses moments d'acmé. De ce côté-là de l'écriture, je placerais aussi le roman et le romanesque, il y va en effet d'un engagement personnel radical qui ébranle et compromet le moi avant de le restaurer.

Ce ne sont là trois postulations figées mais trois points marquants sur le même spectre de l'écrire : aux extrêmes, les deux types d'impersonnalité, l'essentielle et la conventionnelle ; entre les deux se joue le jeu de la personnalité où l'on peut perdre autant que gagner, où l'on risque son va-tout. Ce jeu oscille continûment entre l'opacité propre à l'essor poétique et la dérisoire clarté des exercices d'écriture. Il s'actualise dans l'entre-deux et comme entre-deux.

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                                                                                                Serge Meitinger

14:29 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

"Les canons du lire-écrire", de Serge Meitinger, opus 3

Jeudi 20 mai 1999

On écrit parce qu'on ne coïncide pas. Avec le monde et avec l'Autre, avec les autres et avec l'autre, avec soi. Avec sa situation matérielle, physique et psychique, sociale... Le but n'est pas de réduire l'écart en une folle fusion, en une unité fictive mais d'apporter le surcroît nécessaire pour penser l'écart - blessure ou plaie - et le vivre.
Le déséquilibre est fécond bien qu'il demeure inconfortable. L'exil comme l'errance peuvent se vivre sur place, sans changement de lieu physique ou géographique. Ce sont des pierres de touche qui permettent de jauger l'essence, l'existence, le moi-je.

Vendredi 21 mai 1999

Fière devise, et romantique, que celle de Fernand Khnopff, peintre symboliste, rare, quintessencié et aussi compliqué que son nom : "On n'a-que soy" ! Triomphe désabusé de l'individualisme, même si le "moi" moderne est précaire et tend souvent à l'ensemble vide - du moins à une vacuité centrale ! ou à l'émiettement des rôles et des masques ! Il faut nuancer cette altière revendication par une phrase que Valéry met dans la bouche de Socrate : "Tout repose sur moi et je tiens à un fil" (Socrate et son médecin).
C'est alors qu'il faut parier sur la longueur et la qualité du fil : s'il vient à rompre, tout est perdu ! Il faut aussi anticiper sur sa rupture, inévitable, et en tenir compte : admettre que ce fil, notre seul lien, puisse casser, avec ou m^me avant la machinerie de notre corps ! Avec ou sans "à-venir" ?

Samedi 22 mai 1999

J'aime l'expression lire-écrire que j'ai parfois utilisée et qui veut dire à la fois "lire pour écrire" (et il est vrai qu'on ne lit pas de la même manière quand on pratique un ouvrage en vue d'écrire sur lui ou à partir de lui que lorsqu'on lit gratuitement, sans dessein ni projet implicite) et "lire c'est-à-dire écrire" (révélant le fondement commun à ces deux activités que certains textes comme ceux de Mallarmé, par exemple, mettent en pleine lumière). J'avoue toutefois que je ne comprends pas entièrement ce que Mallarmé veut dire quand il envisage "la lecture" comme "une pratique désespérée".
Il faut sans doute enlever eu terme sa coloration psychologique et lui conférer une portée ontologique : l'entreprise qui consiste à lire-écrire n'a pas de but préétabli, pas de cible convenue et convenable, pas d'espoir déjà dessiné. Quand on lit-écrit en vérité l'on (doit) prend(re) tous les risques : accepter de se contredire, de bavarder ou babiller, de se répéter, de ne rien dire, de mentir, de se tromper et d'errer pour, de temps à autre, accéder à un dire de juste allure, à une parole qui soit vérité de parole plus que parole de vérité... Mais, pour réussir, il ne faut surtout rien espérer d'avance qui préjugerait de la qualité d'être propre à l'effet et il peut, certes, être désespérant de s'en tenir avec rigueur à sa fondamentale ignorance et à "notre inhabileté fatale".


                                                                                                Serge Meitinger

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