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15/04/2014

Diérèse N° 62

Dans le dernier numéro paru de Diérèse, le 62e, il conviendrait de citer d’abord, côté « Poésies du monde », des traductions de poèmes en bilingue de Wang Wei (701-761), de la période T'ang :

 

« Déserte semble la montagne,
On perçoit cependant des voix humaines.
Le soleil au couchant pénètre dans la forêt,
Et se reflète sur les mousses. »

 

Chez ce poète, chaque séquence est un psaume muet, qui favorise plus la décantation que l’incantation. Il s’agit de se remplir de vide pour mieux se pénétrer du monde, puisque toute chose est l’image de sa propre disparition, et l’être est la figure la plus proche du néant dont il est la plénitude si fugace. D’où ces mots libérés d’eux-mêmes et de leur excès d’interprétation, imprimés sur le miroir tournant des pages.

 

 

Le premier « Cahier »  de poésie s’ouvre avec Richard Rognet, un bel ensemble intitulé : « En chaque aspect du monde », dédié à Guy Goffette :

 

« Filez vers le lumière beautés profondes
qui hantez les sommets d’ici, filez,
filez, de mes mains engourdies
à l’aisance du ciel choyé par les nuages. »

 

Il y a chez Richard R. cette aisance et cette simplicité propre aux plus grands d’entre nous et j’ai relu pour le plaisir, parallèlement, « La forêt de pins de la Cascine près de Pise », de Percy Bysshe Shelley, en particulier cette strophe :

 

« Sœur rayonnante du Jour,

éveille-toi ! lève-toi !
et viens à nouveau !
dans les bois sauvages et les plaines,
près des étangs où les pluies d’hiver
réfléchissent toute entière la voûte des feuilles… »

 

Ici et là, toujours les mêmes envolées lyriques, disent autant qu’elles reflètent, la Nature (l’art divin), Leibniz. Ouvrir les mains, lâcher les signes !

 

Puis, Silvia Baron Supervielle et ses « Six poèmes en attente » :

 

« vers quelle mort
pousse-t-il
dans ses racines
et ses branches
l’arbre seul
de l’allée ».

 

Le jour s’obscurcit, et comment parler, semble demander Silvia B.S., quand l’ombre couvre les visages ? Silence de braise, où couve l’absolue certitude que l’aventure n’est pas finie, que les mots pourraient racheter cette part d’éternité qui manque aux lèvres, quand ce qui parle en soi n’a ni voix ni visage.

 

Jean-Pierre Chambon et son « Champ de tournesols, embrasement et ténèbres », à la quête « d’un semblant de sens », écoutons-le : « Tout penche, tout semble répondre à l’ordre de la lumière et du vent… L’œil s’applique à supposer dans le grouillement le tracé malhabile de constellations… Je regarde une chenille de braise devenir papillon de cendre sur la pupille des fleurs hypnotisées » Un battement de ciels suffit et le monde reprend sa course, une seconde interrompue ; Isabelle Lévesque suit, quand « L’été retient ses branches »

 

 

Avec Emmanuel Moses, c’est l’« Ivresse » : « Nous avançons sur un fil, pleurant et riant / L’amour est notre balancier mais nous chutons dans le filet… » et, plus loin, l’on repense à Michaux : « L’homme troué ne sait pas aimer / Il prend le visage chéri entre ses mains / Y comprend-il quelque chose, y voit-il rien ? », ténèbres cellulaires et blanc de la lumière, les souvenirs se conjuguent, s’interpénètrent, le poète les saisit, au sens photographique du terme, en une ronde vertigineuse qui nous ouvre tout entiers à son univers.

 

 

Le « Cahier » 2 débute avec Claude Dourguin : « Parmi les agréments de l’écriture, celui de la savoir jamais définitive, et, davantage, éprouver que c’est cela même qui en fait une aventure, oui, cet agrément-là n’est pas le moindre. » Prose raffinée que la sienne qui plonge dans l’histoire aussi bien qu’elle laisse affleurer le présent, souvent pour déplorer les travers et cette perte de repères essentiels de notre civilisation pour appeler de ses vœux : « Notre souhait de poésie ? Ici et maintenant ? Que le réel soit enfin aux couleurs de l’imaginaire… ». tout est dit, car : toucher l’écorce, est-ce l’atteindre ? certes pas. Le poème est attente et désir, hiéroglyphe de la foudre qui nous prend, gagne l’affectif autant que la raison raisonnante.

 

 

Michel Butor : « Transmission d’énergie » :

 

« Entre l’image et la phrase
photographie ou pinceau
impression ou à la main
ou le chant de la diva
des étincelles s’échangent
pour faire tourner les têtes
qui somnolaient tristement… »

 

La tension du sens, le sens des formes comme poussée, comme pulsations et qui instruisent un procès contre ce que l’on appelle à tort l’ordre du monde. Le lieu de la chose est-il ce qui reste en dehors d’elle, ou l’habite ?, ces questions pour le poète se posent tout au bord de ce qu’il perçoit et retraduit (tactilité visuelle), de ces mille riens qui lui sont un tout.

 

 

Troisième et dernier « Cahier », où Pierre Bergounioux nous livre des pages inédites de ses Carnets : « À cette fête des yeux s’ajoute la paix, la solitude vertigineuse de la Corrèze haute… À l’atelier. Je soude un chaman longiligne, sept petits personnages dont le corps est fait d’un burin, les bras de demi anneaux de chaîne et, pour finir, une composition de segments de tôle découpés à l’oxygène. » Sculpteur aussi bien que romancier, Pierre B. m’écrit, parlant de Diérèse 62 : « J’y ai retrouvé des figures familières et, quoique prosaïque dans l’âme, ne me suis pas senti dépaysé. Même Wang Wei pourrait passer pour un contemporain, un voisin… »

 

                                                                   Daniel Martinez 

 

 

 

 

 

 

                                                                             

12:42 Publié dans Revue | Lien permanent | Commentaires (0)

19/01/2025

Un romancier nommé Flaubert, par René Dumesnil (III)

Les lettres qu’ils échangent sont bien curieuses : querelle d’esthétique. Mais la guerre éclate, les Prussiens occupent Croisset, Flaubert se réfugie à Rouen.
   Il enterre avant de partir le manuscrit de Saint Antoine qu’il a repris - sa "vieille marotte" comme il dit. Il ne l’achèvera qu’après son retour dans sa maison - mais ce ne sont pas les événements, la Commune,  le traité de Versailles, qui lui font voir la vie sous un aspect moins sombre…
   Il désespère de l’humanité, il voit monter la marée de bêtise qui menace de tout submerger, prédit - dans une lettre étonnante à George Sand, datée du 3 août 1870 - que "les guerres de races vont recommencer, qu’on verra, avant un siècle, des millions d’hommes s’entretuer en une séance : tout l’Orient contre l’Europe, l’Ancien monde contre le Nouveau. Les grands travaux collectifs comme l’isthme de Suez sont peut-être sous une autre forme des ébauches et des préparations de conflits monstrueux dont nous n’avons pas l’idée..." Il voit venir "un monde hideux d’où les Latins seront exclus" (28 octobre) ; un monde "américanisé"…
   La vie reprend : La Tentation de Saint Antoine paraît en avril 1874 chez Charpentier. Déjà Flaubert a entrepris un autre livre qui "le vengera" - car il veut exprimer tout son dégoût : ce sera Bouvard et Pécuchet, qu’il n’achèvera pas.
   Un nouveau sujet de tristesse lui est venu : le mari de sa nièce, Ernest Commanville, importateur de bois du Nord, s’est ruiné, et pour tâcher de le sauver de la faillite, Flaubert a garanti des traites, et obtenu de quelques amis, Edmond Laporte, son voisin de campagne, Raoul Duval, d’autres encore, qu’ils se joignent à lui pour sauver Commanville. Peine perdue : Flaubert sacrifiera sa propre fortune, et sera réduit à accepter une place de bibliothécaire (dont on n’est pas sûr qu’elle n’ait été un secours que ses amis obtinrent du ministère).
   Des deuils répétés avaient encore rendu plus triste son isolement : Louis Bouilhet et Sainte-Beuve étaient morts en 1869 ; Jules Duplan et Jules de Goncourt en 1870 ; l’amitié de Tourgueniev, de Zola, de Daudet bientôt, comblait un peu le vide laissé par ces disparitions. Ernest Feydeau, puis George Sand allaient eux aussi  disparaître. Il avait promis à sa "chère Maître", comme il l’appelait, d’écrire une œuvre moins pessimiste : il tint parole aux pires instants de ses soucis, et ce fut Un cœur simple, qui vint se joindre à Saint Julien l’Hospitalier et à Hérodias pour former le recueil publié en mai 1877 sous le titre Trois Contes

   C’est le plus parfait de ses livres, celui où l’on trouve comme une somme complète et résumée de son esthétique, de son génie : le style éblouissant d’Hérodias dont l’orientalisme rappelle Salammbô ; l’image de missel exécutée d’après un vitrail de Rouen qu’est Saint Julien, et enfin ce chef-d’œuvre de sobriété raffinée qu’est l’histoire de la servante Félicité - "le cœur simple" qui donne son titre au conte ; on y retrouve Trouville et les fantômes de son enfance, mais si Mme Schlésinger est absente du récit, on la devine comme si quelque chose d’elle demeurait dans les sites que Flaubert décrit. Ne lui avait-il pas dit que pour lui le sable de la plage gardait toujours l’empreinte de ses pieds nus depuis le jour où il avait ramassé son manteau ?

invisible dans ses livres

   Il allait mourir le 8 mai 1880, "las jusqu’aux moelles", frappé soudain par une hémorragie cérébrale. Sur la table demeuraient les feuillets de Bouvard et Pécuchet, le roman inachevé, l’histoire des deux copistes qu’un héritage libère des sujétions du bureau, et qui, retirés à la campagne, tentaient d’appliquer tout ce que leurs lectures leur ont mis en tête, et échouent perpétuellement, qu’il s’agisse d’agronomie, d’arboriculture, de chimie, de physiologie, de pédagogie.
   Ce recueil, interrompu au dixième chapitre, devait vraisemblablement reprendre, dans son second volume dont on a que le plan, le Dictionnaire des idées reçues, son fameux sottisier aux définitions aphoristiques, ouvrage lui-même inachevé. Mais comment l'auteur en aurait-il fait usage ? Avec ou sans commentaires ? Nul ne le sait.
   On a dit qu’il voulait faire le procès de la science. Cela est absurde : le procès du scientisme, probablement, mais pas de la science dont il avait au contraire le respect ; le procès de ceux qui croient tout savoir parce qu’ils ont appris le rudiment ; le procès des esprits forts, creux et gonflés comme des vessies.
   Il avait fait de l’objectivité l’unique article de son credo littéraire : il se voulait invisible dans ses livres comme Dieu dans la nature, et s’il a réussi, en effet (tout comme Mérimée, qu’il n’aimait qu’à moitié, le trouvant trop sec), à ne jamais intervenir directement. Dans ce qu’il conte, c’est sa sensibilité, c’est lui-même que nous cherchons dans son œuvre et que nous trouvons aisément, en dépit du dogme "l’art pour l’art".
   Comme il eut raison - sans s’en douter - lorsqu’il dit : "Mme Bovary, c’est moi !" Sa correspondance l’a prouvé. On lui a reproché un style tendu, trop travaillé, au goût de ceux qui trouvent que le roman ne doit pas être "écrit". Il a dit qu’il était déraisonnable de demander des oranges aux pommiers. Il ne faut pas davantage demander à Flaubert d’être Stendhal, à Racine d’être Shakespeare. Mais il n’est pas interdit d’aimer, de goûter à la fois Voltaire et Bossuet...        


René Dumesnil

22:56 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

Dans la rubrique "Poèmes", in Diérèse 72

Nous commencerons par Alain Duault avec tout ce qu'il écrit de beau du désir, essentiel à la vie ; qui nous éloigne, poètes, des jeteurs de sorts et d'anathèmes, quand notre esprit et notre cœur nous relient aux forces et aux mouvements qui font aller le carrousel de ce monde, hors ses maux profanes  :

 

Camélias fanés

... Ce bruit doux et craquant du satin sous les doigts
Sous les nerfs ou cette mélodie enfouie ce désir
De faner cette fleur entre les seins une arrogance
Une craie sur la peau un vent singulier qui souffle

Dans une rue de hasard quand on vit ces dernières
Saisons nous avons beaucoup dansé mais on sait qu’
Il est temps de voir arriver les voleurs de l’été qu’il
Ne faut pas manquer la beauté des jours qui passent

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 

 

Alain Duault