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”Une voie pour l'insubordination”, Henri Michaux, éditions Fata Morgana, 72 pages, 15/5/1980, 1 800 exemplaires

AU COMMENCEMENT EST LA DEMEURE, le local d'habitation, ce qui entoure, contraignant par excellence, la maison.
L'enfant est pour les mouvements libres. Le petit d'homme, dès les premières années, la maison, siège d'interdits nombreux, l'impressionne.
Dans cette prison "demeurent" et sont à demeure des meubles et objets lourds, le tout beaucoup plus détestable (s'ils sont détestés), plus haï et vainement haï, plus inoubliablement que les parents, plus habité d'occulte, plus figé, plus appuyé (et au début de la vie, plus gigantesques). Là se déroule le rituel du quotidien qui paraît ne devoir finir jamais.
Ainsi les meubles et les pièces et leur ordre impératif infligent un dommage quotidien aux enfants, à leur besoin de tumulte et d'indépendance, à leur envie de gambader et de voir tout sens dessus dessous.
Ce "tout" contraignant, symbole des contraintes et des règles, ces murs qui enserrent, séparent, enferment inflexiblement, représentation par excellence de l'adulte, du terminé, du figé, là où il ne se passe plus rien : la demeure, cela ne pourrait-il à son tour être attaqué, brimé... et qu'on s'en amuse ?
Dans l'habitation existe le règne des objets précieux, sélectionnés par et pour l'adulte, à respecter, certains fabriqués, construits pour le maître.
L'enfant, par nature n'est pas pour cela, pas pour "leur" choix et "leurs" meubles de prix. Il n'est pas pour construire mais pour détruire, pas pour dresser mais pour renverser, pas pour le chant mais pour brailler, pour le charivari, pour le tapage, pour détraquer, pour l'assourdissant, pour disloquer, pour bousculer, pour tiraillement, pour arracher, pour casser. Toboggan, balançoire sont pour lui le repos et non pas le fauteuil.


Henri Michaux

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24/02/2021 | Lien permanent

”Fille de la montagne”, éditions Marchant Ducel, mai 1984 : l'avant-dernier livre d'Henri Michaux

Fille de la montagne, imprimé en mai 1984 par Gilles Coutet, au Pontet (17 x 21 cm, 28 pages), à 60 exemplaires sur Larroque non reliés et non foliotés, ornés de 4 peintures tantriques, précède de quelques mois la mort du poète. Les peintures tantriques ont été réalisées à Katmandou par des artistes locaux, puis collées sur feuilles. Je n'insisterai pas sur le fait que jusqu'au terme de son existence, Michaux aura gâté la petite édition, en lui confiant des textes de valeur.
Le catalogue de Lucie Ducel, à laquelle Michaux s'est adressé pour l'édition de ce recueil - aquarelliste de son état, qui résidait rue du Chemin Vert dans le onzième parisien, et que j'ai eu la chance de rencontrer avant son retrait définitif de l'édition -, comptait 36 titres à son catalogue, en tout en pour tout ! Signalons que Marchant Ducel (anagramme de Marcel Duchamp) était en fait Franck André Jamme (1947-2020), qui résidait dans un village de l'Yonne, Les Bordes.

* * *

Le troisième tome de La Pléiade est resté un peu vague quant au point-source du recueil Fille de la montagne, que je vais tenter de circonscrire ici. A savoir : Henri Michaux y fait référence au célèbre poème du XVIIe siècle : Exaltation des pieds fortunés de la Déesse, écrit par un lettré sanskrit, féru de grammaire et d'herméneutique, dramaturge et poète lyrique, Narayana Bhatta (1560-1645). Pour résumer ce qu'en dit Paul Martin-Dubost, son traducteur :

La Sripadasaptati (Exaltation des pieds fortunés de la Déesse) célèbre le combat du démon-buffle Mahisa, que ni hommes ni dieux ne peuvent vaincre, avec la Déesse - épouse de Shiva - aux mille bras et aux 28 noms, dont celui de "Fille de la Montagne". Mahisa voulait régner sur tout l'univers, à quoi les dieux répliquèrent en lui déclarant la guerre ; or Brahma avait accordé au démon-buffle le vœu qu'aucun homme ne pourrait le vaincre. C'est donc une femme, née de l'énergie combinée des dieux, qui sera chargée de terrasser Mahisa. Le Roi des montagnes, Himalaya, donnant à la Déesse un lion qui devint sa monture.
Retranché dans le corps du démon-buffle et par la Déesse éperonné, elle attendit qu'excédé Mahisa sorte de la gueule de l'animal pour lui trancher la tête. Par la suite, c'est d'un coup de lance qu'elle massacra deux autres démons, frères de sang.

Ce poème de 71 versets décrit la montée du conflit entre les forces du bien et du mal et célèbre les pieds puissants de la Déesse. Apaisée, ils rougissent alors de l'amour qu'elle porte à ses dévots (autant que du sang du buffle terrassé, ou de la laque qui en couvre les ongles).
Voici à présent les versets 59 et 60 :

59

Il convient, ô Fille de la Montagne, que ton pied égale en éclat le grand pied himalayen ; pour flocons de neige il a ses ongles éclatants ; il est gardien du minerai rouge qui donne la couleur ; les anneaux de ses chevilles sont ses brillants contreforts et il porte d'abondantes forêts, étant aussi l'unique support d'une abondante protection. Les Épouses des Parfaits vivant dans l'Himalaya le servent à la base ; les bardes de la Déesse, eux, célèbrent en ton pied l'Himalaya.

60

Les dieux qui président aux dix directions, chacun tourné dans la sienne, offrent
à tes pieds l'amour incarnat de leur dévotion ; il est dix fois visible à tes pieds
dans l'éclat de tes dix doigts rouges. Toi, Fille de la Montagne, tes pieds
leur accordent la grâce sous la forme de tes ongles et de leur lumière.

Narayana Bhatta de Melputtur

traduit du sanskrit par Paul Martin-Dubost

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25/02/2021 | Lien permanent

”Poteaux d'angle”, de Henri Michaux, éditions Gallimard, 8 janvier 1981, 94 pages, 13,90 €

Un livre majeur de Henri Michaux, qui s'est écrit en l'espace de 10 ans, chez 3 éditeurs successifs (éditions de l'Herne, 29 janvier 1971, 38 pages ; Fata Morgana, 6 octobre 1978, 76 pages ; Gallimard, 8 janvier 1981, 94 pages). L'un de mes livres de référence, j'y puise les ressources nécessaires quand ce que charrie à l'envi ce siècle vingt-et-unième m'exaspère "un peu" trop. A ses côtés, j'ai logé Coups d'arrêt, paru au Collet de buffle le 31 octobre 1975, une plaquette de 16 pages agrafées, à la couverture rouille clair ; l'électricité statique qui s'en dégage est si vive que je le range toujours (après de multiples lectures) à la même place, non sans quelque soulagement.
... Ce qu'a écrit à Michaux Robert Valençay le 23 juin 1971, après la première publication de Poteaux d'angle, mérite ici d'être cité, car ce n'est pas de pure forme, comme chez certains gens-de-lettres :
"Les poteaux sont bien là, certes. Mais les lignes d'angle, à l'intersection desquels ils sont fichés n'en sont pas moins perceptibles, aussi bien dans le domaine auditif que visuel. Et elles évoquent soudain pour moi cette sorte de bataille de traits que jadis se livrèrent Apelle et Protogène.

Vous avez su tracer ici, sur le ou les traits que nous proposent tant de philosophies douteuses, une ligne, plus déliée encore, une ligne qui fulgure à froid pour ne garder que l'essentielle pureté.
Vue sous un fort grossissement, cette ligne est une veine à nu de vif-argent qui remonte impassiblement, au milieu du fleuve, le courant vain des scories qui l'entourent.
Mais ne serait-ce pas là le mercure philosophal ?" (Henri Michaux, Œuvres complètes, La Pléiade, tome 3, p.1729).

Voici :

Communiquer ? Toi aussi tu voudrais communiquer ?
Communiquer quoi ? tes remblais ? - la même erreur toujours. Vos remblais les uns les autres ?
Tu n'es pas encore assez intime avec toi, malheureux, pour avoir à communiquer.

Nouvelles de la planète des agités : avec un fil à la patte, ils filent vers la lune, avec mille fils plutôt, ils y sont, ils alunissent et déjà songent à plus loin, plus loin, à des milliers des milliers de fois plus loin, attirés par le désir nouveau qui n'aura plus de fin, dans un ciel de plus en plus élargi. Cependant sans s'arrêter, des masses immenses dans les espaces tournent à toute vitesse, s'écartent, se fuient, s'attirent, s'équilibrent, orbitent, muent, géants de matière au paroxysme, jusqu'à explosion, jusqu'à implosion, luttant, enragés d'existence, l'existence pour l'existence, pour pendant des milliards d'années continuer à exister, étoiles de toute sorte et galaxies, elles aussi entraînées à exister.
Mais pourquoi donc ? Pourquoi ?

Suicide en satellite.
Celui qui repassera sur cette orbite entendra d'étranges sons : sur des millions de kilomètres d'espace sans personne, un cosmonaute fantôme, sa préoccupation inapaisée, frappe perpétuellement un dernier message qu'on ne s'explique pas.


Henri Michaux

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30/07/2021 | Lien permanent

”Labyrinthes”, Henri Michaux, éditions R.J. Godet, 30/4/1944, 60 pages, avec 13 dessins originaux de l'auteur tirés en v

La lettre du dessinateur *


Quand je regarde le papier blanc, écrit-il, je vois courir au loin un homme épouvanté. De quoi épouvanté ? Je ne sais, et aussi le rite ridicule d'hommes qui tournent en rond.
Puis viennent d'autres hommes (toujours à l'extrême bout du papier) en quantités innombrables, une foule non pour un tableau mais pour une époque. Ces hommes sont maigres et grands.
La santé ne m'a pas prodigué des excès. Je n'en prodigue pas aux autres. Voilà ce qu'on pourrait dire.
Mais pour ce qui est de la multitude, elle est prodiguée. Seul un vieillard au faîte d'une longue vie en vit passer autant.
Ah ! si je pouvais les réunir en un seul tableau ! Il y aurait des gens haletants à le regarder tant il grouillerait de vie.
On s'arrêterait et l'on dirait émerveillé : voilà, cette fois nous avons vu une vraie foule passer !
Mais ils passent et je ne puis les arrêter ni les tenir groupés. Les jambes de l'un effacent l'ombre du précédent. Pourtant chacun, je le vois, a comme un dépôt.
Enfin, de rage de ne pouvoir le retenir, je me jette furieux sur le papier et le massacre de ratures jusqu'à ce qu'il sorte une horrible figure désolée qui en cent toiles et en dix ans a fini par me faire reconnaître pour peintre.
Mais je ne suis pas dupe. Dans les pleurs et la rage, je rejette loin de moi cette maudite usurpatrice, et l'art qui se dérobe m'emplit de son souvenir décevant et amer.

Henri Michaux

____________

* H. Michaux intitulera in fine ce texte, "La page blanche", Cahiers de l'Herne, 8/2/1983

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Henri Michaux, Foules

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07/02/2021 | Lien permanent

Le dernier livre du vivant d'Henri Michaux : ”Avec l'obstacle”, éditions L'Ire des vents, 17 août 1984, 50 exemplaires à

Curieusement, ce livre n'apparaît pas dans La Pléiade (tome 3). Et pourtant il a bien existé ! Mais au juste, quelle en est l'origine ?
Henri Michaux s'est intéressé jusqu'au bout au monde des revues, qui constituaient pour lui un terrain d'essai avant la publication en livre. C'est dans les toutes dernières semaines de sa vie qu'il se tourne vers la revue "Nulle part", une publication dirigée par Jean-Louis Clavé, Bernard Noël, Serge Sautreau et André Velter (1983-1986, 7 numéros parus).
En octobre 1984, dans son numéro 4, "Nulle part" publie un ensemble de poèmes de Michaux intitulé "Postures privilégiées" (signalons que l'illustration de couverture de cette revue, du n° 3 au dernier, était de l'auteur de Plume).

Ces textes ont ensuite été repris sans modification dans Avec l'obstacle, recueil édité par l'Ire des vents : en voici un, saisi plus bas. Post-mortem, les éditions Gallimard publieront ces textes regroupés sous le titre "Postures", en fin de volume, dans Déplacements, dégagements (23 janvier 1985) - ouvrage présenté parfois comme son dernier livre (sic). Pour rappel, le poète s'est éteint le 19 octobre 1984.

En ce jour, une pensée particulière pour Bernard Noël, un auteur de "Diérèse", entre la vie et la mort.

*

Fumée

La fumée qui sort de la maison étroite
comme elle s'étire, comme elle s'élève
en bourrasques, en tourbillons
et puis toute droite


irrattrapable


Libérée du poids de la Terre
des remontrances de la Terre,
des réseaux


Là où les têtes commandantes n'ont plus accès


Maison d'en bas, comme si elle n'était pas
Fumée oublie
Les proches, Qui est proche ?


Henri Michaux

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27/02/2021 | Lien permanent

Henri IV, le ”Vert Galant”

         François-René de Chateaubriand, écrivain et homme politique, publia le texte, dans son Congrès de Vérone (1838), d'une lettre non datée adressée par Henri IV à Monsieur de Saint-Gelais. Il le faisait afin d'en proposer la comparaison flatteuse avec des lettres que lui-même avait reçu des souverains de son temps : "nous aimerions mieux avoir reçu de Henri IV, ce billet dont nous possédons l'original [...]. Le Béarnais ne se prend pas au sérieux, comme les potentats nos illustres correspondants : il se moque de lui, de ses légèretés et de ses couronnes" (T. II, p. 202). Voici un extrait de cette (superbe) lettre :

"Monsr l'aumonyer, je me rejouys avec vous de quoy vous estes maryé.
Il ne faut parller d'estre amoureus car il ne siet pas bien au gens mariés d'avoyr mettresse. Pour ce que je me gouverne aynsyn, je conseille à tous mes amys et servyteurs de fayre le samblable.
Vous an croyrés ce qu'il vous playra. Bien vous prieré-ge de fayre estat de plus que de personne du monde je desyreroys fort vous voyr & vostre cousyn St-Preu. Mon amy, aymés-moy bien tousjours, vostre plus asseuré amy à jamays Henry".

En 1599, le roi avait fait annuler son premier mariage avec Marguerite de Valois, dont l'inconduite était notoire, et il se remaria l'année suivante avec une princesse italienne fort riche, Marie de Médicis, qu'il ne cessa de tromper. Les liaisons les plus célèbres du "Vert Galant" furent Gabrielle d'Estrées, Henriette d'Entraygues, Jacqueline de Bueil, Charlotte des Essarts. Il laissa quatre enfants légitimes : Louis XIII, Elisabeth (qui épousa Philippe IV d'Espagne), Gaston d'Orléans et Henriette (mariée à Charles 1er d'Angleterre).

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03/09/2014 | Lien permanent

Le poème du jour : Henry Rougier

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Boudeuse une statue
De clématite a soulevé le soir

Si lentement

Que l’on dirait d’un livre qui s’apaise
Et dont le souffle entre les mots n'arpente
Qu’un semblant d’éclair entrevu

Boudeuse une statue
De clématite arase la mémoire

          Mais lui dont j’entendais le front
          Feuilleter l’écho d’une vie
Dont je voyais les yeux cogner du poing
Lorsqu’une rose (entre deux hoquets de maïs)
Excédée d’être n’était plus
Que le leurre de sa merveille

Lui qui tremblait s’attisait dans le feu maussade
Pour étouffer le ricanement des verrous

Lui qui s’ouvrait d’un coup comme une porte
Avide                       O lui
Que malmenait l’aorte d’un ruisseau
Quand ses paumes en crue
Soulevaient un nid d’incendies

Lui que sa fuite avant l’aurore
Démantelait comme toujours
Devant un pont-levis                      jeté
                               Sur une odeur de femme

Lui qui de nouveau pleure et soulève le soir
Pour rien
                          Dans la statue boudeuse


                                   Henry Rougier

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19/01/2016 | Lien permanent

”Pépiement des ombres : Philippe Jaccottet - Henri Thomas”, dessins d'Anne-Marie Jaccottet, éditions Fata Morgana, 30 ju

50. Houat, 13 juin 1977


Cher Philippe Jaccottet,

Je viens de lire, relire, A la lumière d'hiver *, avec la plus profonde émotion. J'ignorais les poèmes à partir de la page 71 ; il n'y a rien dans la poésie de maintenant (de nos jours) qui m'ait autant touché.
Un homme qui vieillit est un homme plein d'images.
Je vous lisais par un temps de grande attention, dans l'île assombrie par le mauvais temps qui dure depuis trois jours, avec le bruit continuel de la mer. Vos poèmes prenaient place dans ce monde comme par une profonde alliance ; j'étais au centre, avec eux - homme qui vieillit (et vous devance), plein d'une curiosité un peu folle, celle de l'homme seul. Votre livre est le seul recueil de poèmes que j'aie ici ; je crois que je n'en supporterais pas d'autre.
Je songe souvent à l'occasion que j'ai laissé passer de vous revoir à Paris, à la maison de la radio. Hélas, c'est pour ainsi dire caractéristique de moi ; je manque un grand nombre des pierres du gué, je me perds tout le temps. Ici, c'est un peu le refuge - ou même un "bout du monde".
Votre ami - et je vous prie de dire mon souvenir à votre femme,

Henri Thomas

_______

* Relire, puisque A la lumière d'hiver est précédé de Leçons et de Chants d'en bas.

51. Grignan, 31 août 1977


Cher Henri Thomas,

Je me réconcilierais presque avec ce personnage qu'est [Bernard] Pivot pour vous avoir vu l'autre jour * : une rencontre qu'on aurait aimé prolonger, surtout après les banalités bien-pensantes de [Bernard] Clavel. Cela nous a fait grand plaisir de vous revoir, au moins de cette façon. Et qu'enfin les journaux semblent vous "découvrir" après trente ans, si cela irrite, on s'en réjouit tout de même.
Je vais traduire un livre de Ludwig Hohl ** pour une collection suisse où ont paru des nouvelles de Muschg *** qui, ensuite, ont été reprises par Gallimard. Hohl, qui a 74 ans, aimerait mieux, évidemment, paraître chez Gallimard que dans cette série suisse, ou au moins paraître à la fois chez les deux. Vous savez que son œuvre comporte surtout des aphorismes et des fragments, et deux livres de "narrations" dont la Nächtlicher Weg [Chemin de nuit] prévu dans cette série suisse, et une Bergfahrt [Une ascension] qui est très digne d'admiration. (Je crois que Michaux connaît un peu cette œuvre de Hohl et la tient en grande estime.) Tout cela pour dire que j'aimerais que vous en parliez, ou reparliez, chez Gallimard, ou que vous me disiez à qui je devrais la recommander.
Moi-même, ce n'est pas le genre d’œuvres que je préfère, mais j'en devine la densité et la grandeur. Je crois que Gallimard devrait s'intéresser à l'ensemble, en cours de parution chez Suhrkamp.
Avec ma très fidèle amitié,

Philippe J.

Dites aussi mes amicales pensées à Pierre L. si vous le voyez : je ne sais plus rien de lui depuis trop longtemps.

_______

* "Ah vous écrivez", émission télévisée diffusée le 26 août 1977 sur Antenne 2.
** Chemin de nuit (Bertil Galland, 1979).
*** Histoires d'amour (Bertil Galland, 1975 ; Gallimard, 1977).

 

52. Paris, 23 septembre 1977


Cher Philippe Jaccottet,

Georges Lambrichs me suggère que le mieux pour Ludwig Hohl serait sans doute d'en publier un extrait dans La NRF. Je crois qu'il vous écrira à ce sujet. Cela aiderait, dit-il, à le présenter chez Gallimard.
Vous savez, j'y vais rarement (sans rien fuir précisément) mais pour cet auteur, oui, j'aimerais vous aider. J'espère vous en reparler dans quinze jours.
Pierre Leyris est rentré hier, je crois, de Mytilène où il est resté quelques semaines - tout réconforté, me dit Betty. Il m'avait écrit, de Savoie, des lettres fort découragées, poignantes. Je le verrai ces jours-ci.
Paul de Roux est passé avant-hier ; notre conversation m'a rapproché de Grignan, dont il avait un si bon souvenir. Irai-je jamais de votre côté -, je suis tout versé à l'Ouest, où je vais encore le 19 octobre pour assister au mariage d'une des filles du patron-pêcheur chez qui je logeais. Comme témoin : c'est beaucoup m'engager, cela m'effraie un peu.
Toute mon amitié,

Henri Thomas

Je trouve à la télévision quelque chose d'infernal. L'abîme entre ces paroles et l'écriture !

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05/05/2021 | Lien permanent

Henri Murger (1822-1861)

L'histoire littéraire n'aura pas accordé à Henri Murger, écrivain romantique mort à trente-neuf ans, et qui fut secrétaire de Tolstoï, la place qu'il aurait méritée. Soutenu par Nerval, il connut à l'époque certain succès, après des débuts misérables. Son œuvre symbolisant une jeunesse insouciante et heureuse devait inspirer à Puccini son opéra La Bohême. Il a écrit, en 1854, deux recueils de poésie : Ballades et fantaisies et Les Nuits d'hiver. Vous pouvez lire chez Gallimard Scènes de la vie de bohême (rééd. 1988).

 

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Voici pour l'heure une ébauche d'un passage du premier chapitre de Scènes de campagne, livre paru en 1854. Henri Murger a réutilisé des éléments de ce texte pour écrire l'arrivée du peintre Lazare à Montigny-sur-Loing :

Au milieu de la campagne, qui s'étend à l'extrémité orientale de la forêt de Fontainebleau, on rencontre un petit village appelé Montigny. Cet endroit qui n'offre au reste aucune curiosité locale, se compose d'une centaine de maisons bâties en éclats de grès tirés des carrières des environs en exploitation dans la forêt, et la plupart recouvertes de chaume, les habitations espacées les unes des autres par de petites ruelles où croissent les herbes folles, et les raisins bordent une rue unique dont la partie basse aboutit à un pont de bois, jeté sur la rivière du Loing dont les eaux baignent une lieue plus haut les ruines d'un château bâti par la reine Blanche, et deux lieues plus bas, les tours et les remparts de Moret où résida François 1er. Vu du côté de la rivière, le petit village de Montigny offre un charmant motif de paysage aux artistes qui fréquentaient ses environs. Rien n'y manque, ni le clocher de l'église, ni la roue... du moulin dont le tic-tic se mêle aux bruits sonores du battoir des laveuses.

                                                                           Henri Murger 

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09/03/2017 | Lien permanent

Henri Rousseau, dit le Douanier (1844-1910)

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Henri Rousseau, Le Rêve, huile sur toile, 1910

En 1891, au septième Salon des Indépendants, Rousseau, dit le Douanier, expose sa première jungle, à la végétation convulsive et aux merveilleuses couleurs : "Du rouge au vert tout le jaune se meurt". Deux éclairs blancs comme un fil de coton rayent un ciel finement tissé de pluie lavande. Un tigre arc-bouté, tous crocs dehors, s'apprête à bondir. "Surpris !" tel est le titre du tableau, mais le spectateur ne parvient pas à savoir si c'est le félin qui est surpris ou sa proie, qui est hors du tableau. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que les critiques l'auront été, surpris, par cette peinture féroce et flamboyante, puisque, excepté Valloton, qui l'admire – "c'est un terrible voisin, il écrase tout. Son tigre surprenant à voir, c'est l'alpha et l'oméga de la peinture", écrit-il –, ils ne trouveront, pour s'en défendre, qu'à s'en moquer. Le destin, toujours ironique, pour compenser cet accueil malveillant, lui accorde une Médaille d'Argent de la Ville de Paris, qui en réalité, était destinée à récompenser un autre Rousseau. N'avoir pas de nom propre a parfois d'heureux résultats. Ironique mais aussi obstiné, quelque treize ans plus tard, le destin fera obtenir au peintre des forêts tropicales aux végétations fantaisistes, grâce à une nouvelle erreur de nom, les Palmes académiques. Il portera dès lors à la boutonnière la discrète rosette violette et fera figurer la couronne officielle sur ces cartes de visite.

Il a goût de la décoration, ce qui est la moindre des choses pour un peintre. On a tout dit sur son autoportrait en gloire, intitulé tout bonnement "Moi-même", qu'il accompagne de la mention du genre qu'il invente, le "portrait-paysage" : qu'il s'était représenté en pied comme il était d'usage de le faire pour les grands de ce monde ; qu'en regard des badauds se divertissant au spectacle du voilier amarré au quai et qui ne lui arrivent pas à la cheville, il fait figure de géant ; qu'il a le premier peint la Tour Eiffel qui vient tout juste d'être achevée ; que, sur sa palette, il a écrit le nom de ses deux épouses, Clémence et Joséphine ; que les vingt-six drapeaux du bateau semblent autant de toiles et ses tableaux, par conséquent, autant de pavillons de l'art moderne. Mais qu'a-t-on dit de ce modeste insigne, un macaron bleu circonscrivant une sorte de palme ou de fougère blanche, qu'il arbore à sa boutonnière, et qui met une note de fraîcheur dans son sévère costume noir. Décoration réelle ou inventée ? Je préfère la croire inventée. L'artiste conscient de sa valeur, mais moqué par la critique, s'est attribué lui-même, d'autorité, cette distinction, anticipant ainsi sur une reconnaissance dont il était convaincu que l'avenir la lui ferait obtenir.      

                                                                                            Gérard Farasse

Extrait de Collection particulière, Bazas, éditions Le Temps qu'il fait, 2010 (p. 27-28).

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10/03/2017 | Lien permanent

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