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17/01/2017

Edmond Charlot (1915-2004) opus 2

... Jean-Pierre Péroncel-Hugoz : Vous êtes allé chercher des auteurs encore plus loin : Ilya Ehrenbourg, Henry James, David Herbert Lawrence, sans parler de Charles Morgan ou de Virginia Wolf ; mais pourquoi si peu d'écrivains maghrébins musulmans ?

- Tout simplement parce que la littérature maghrébine de graphie française ne faisait que naître. Dès le début, j'ai cherché des textes de ce côté-là. J'ai fini par trouver Jean Amrouche et sa sœur Marie-Louise Taos Amrouche, dont j'ai édité respectivement Chants berbères de Kabylie et la Jacinthe noire, un peu après la Libération.
Avant même cela, j'avais beaucoup travaillé avec Jean Amrouche, fondant avec lui à Alger la revue L'Arche, dont Gide, je crois, trouva le titre biblique qu'Amrouche devait ensuite revendre, à Paris, à Robert Voisin qui en fit le titre de ses éditions. Entre-temps, L'Arche, par la "dissidence" de Lucie Faure et Robert Aron, avait donné naissance à la Nef...
"Pour en revenir aux œuvres autochtones, je publiai des Poèmes touaregs, je cherchai des inédits jusqu'au Proche-Orient, publiant ainsi trois volumes de l'Egyptien Albert Cossery. Enfin, il y eut Mouloud Féraoun, ce paysan instituteur, costaud, pur, merveilleux et son Fils du pauvre. Il faut dire que je ne raisonnais pas en termes ethniques, je cherchai à éditer ce qui me paraissait de qualité."

- Et Gide ?

Philippe Soupault était allé le chercher en avion militaire à Tunis. Soupault vint me voir avec Attendu que..., un inédit de Gide, auquel, ébloui, j'offris 20% des droits. "Vous n'y êtes pas, vint me dire Gide, démentant ainsi sa réputation d'avarice, c'est 10% comme pour tout le monde et puis, d'ailleurs, je ne signe jamais de contrat." Je lui envoyais 15%... De 1943 à 1946, nous publiâmes cinq Gide, dont son Journal de 1939 à 1943, et ses Notes sur Chopin."

- Et Camus ?

"Dès mai 1936, je donnai Révolte dans les Asturies, pièce collective endossée par Camus, interdite par la municipalité d'Alger. En 1937, ce fut sa première vraie œuvre, l'Envers et l'Endroit, puis Noces et le Minotaure ou la halte d'Oran." *

Charlot rencontra Camus par le biais d'un abonnement de lecture que l'éditeur avait fondé à Alger, rue Charras. Le futur prix Nobel dévorait alors Dostoïevski, Kafka et les romanciers nord-américains. "Il était goal au Racing Universitaire Club, et c'est dans le bulletin de cette équipe qu'il a dû publier ses premiers textes... Jusque vers 1940, je le vis à peu près tous les jours quand il était à Alger. Je lui confiai, comme à Jules Roy, Philippe Soupault et Max-Pol Fouchet, la direction d'une collection. Mais nous ne nous sommes jamais tutoyés. Je crois que Camus ne fut intime qu'avec un tout petit nombre de gens. Nous étions amis sans être intimes."

Il faudrait encore écouter Charlot parler de Gabriel Audisio, Jean Sénac, Emmanuel Robles, René-Jean Clot, Jean de Maisonseul ou Armand Guibert, et de tous ces grands noms des Lettres et de la politique métropolitaine qui se trouvèrent rassemblés en Alger, de 1942 à 1944, quand la Ville blanche fut capitale de la France libre. C'est là que Charlot rencontra Georges Gorse et Stéphane Hessel qui, plus tard, eurent l'esprit de faire de lui in situ l'organisateur des relations culturelles franco-algériennes, tâche ô combien délicate après sept ans d'une guerre d'indépendance des deux côtés impitoyable.

Au début de la décennie 70, Charlot partit donner la bonne parole (francophone) à Smyrne - où il trouva le moyen, tout en réintroduisant le français à l'Université, de publier Treize proverbes smyrniotes, du cinématologue Jean Lescure. Puis ce fut le centre culturel de Tanger. Enfin, Pézenas "où Marie-Cécile et moi, nous nous sommes arrêtés parce que c'était moins cher qu'ailleurs et que sa beauté superbe était protégée par une décision de Malraux". D'un peu partout des connaisseurs sont alors venus chercher à la "bouquinerie" de Pézenas des introuvables de la littérature méditerranéenne ou les publications, de Sénac à Jules Roy, des éditions du Haut-Quartier (sises au 44 de la rue Conti) - un nom emprunté à Paul Gadenne. Littérature, quand tu nous tiens !

                                                                     Jean-Pierre Péroncel-Hugoz

18:25 Publié dans Editions | Lien permanent | Commentaires (0)

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