05/04/2020
Journal du confinement V
à Michel Diaz
Celles et ceux qui veulent un peu mieux me connaître devraient comprendre. Tout d'abord que j'écris d'une traite, dans un premier temps sans me relire, en laissant occasionnellement passer des fautes, sur lesquelles je reviens ensuite, dans le meilleur des cas. Témoin de tous ces petits signes que me fait ce qu'on appelle la vie. Une fois encore, est-il besoin de le préciser ?, je n'entends pas plaire : mon Journal, que je tiens depuis lurette, n'est pas un exercice de style. Et je laisserai de bon et franc cœur les professeurs de morale que fabrique à l'envi notre vingt-et-unième siècle ergoter sur certains de mes propos jugés abusifs.
Derniers en date : manière de renchérir, demandez par exemple aux Marocains ce qu'il pensent de l'infectiologue Didier Raoult : "le Messie" ! De ce côté-ci de la Méditerranée, combien de morts du Covid-19 aurons-nous à déplorer avant d'admettre que nos fonctionnaires de la Santé perdent un temps précieux à refuser un traitement qui a fait ses preuves, s'agissant de vies humaines ? Chaque soir écouter le bilan s'alourdir, rien ne m'agace plus, alors que j'ai la ferme conviction qu'il pourrait en être autrement.
Plutôt l'enfance, oui. Y revenir toujours, pour en garder l'esprit : Pierre Dhainaut que je n'ai pas revu depuis le dernier Marché de la poésie à Paris ne me contredirait pas... Tiens, Gaëlle a perdu hier l'une de ses dents de lait, une incisive, mise sous l'oreiller avant de dormir. Au petit matin, la "fée des dents" était passée pour glisser en lieu et place de sa quenotte une pièce de un euro. - J'aurais préféré une pièce en chocolat, me confie-t-elle. Ou un cerf-volant ou une étoile collante. - "C'est "filante" que l'on dit !
Diane danse sous le forsythia. Le temps léger, lumineux de cet après-midi. Mais ce printemps 2020 me ronge les sangs tant il nous arrive dans un contexte si particulier ; cette année du rat est si mal partie - un animal qui me fait horreur, ce depuis que j'ai lu "La peste", de Camus, à cinq reprises d'ailleurs, sans jamais m'en lasser.
Le magnolia fleurit à un mètre de ma petite table installée sur la terrasse paternelle. La beauté nous remet au monde, je l'écrivais à Alain Duault dernièrement, avant que les lettres confiées à la Poste ne soient toutes acheminées en écoplis et tardent donc à parvenir dans nos boîtes aux lettres, en rompant l'esprit du dialogue. Du haut du bouleau pourpre s'envole une tourterelle. Un arbre maintenant parvenu à maturité et dont la vie fut dès son jeune âge menacée, un jour qu'il faisait grand vent. J'ai demandé alors que l'on aille me chercher deux piquets et un câble gainé pour tutorer le jeune arbre, soutenu à bout de bras près de vingt minutes alors qu'il aurait dû plier et rompre sous le souffle des sphères. Chaque fois que je pousse mes pas jusqu'à lui, cet épisode me revient en mémoire ; derrière ses branches qui dessinent de savants dessins sur le ciel paraît à mon intention une lumière riche d'histoire.
Une fine musique entretenue par les abeilles sauvages, tout au fond du jardin ; une musique où se promènent des voix, celle de ma mère notamment, emportée par la faucheuse à tout juste cinquante ans. "Mais nul jamais ne fera sortir de sa mémoire / Mon bourdonnement à moi, l'abeille" (Robert Desnos). Les branches très anciennes du cerisier, ses fleurs si blanches que l'on dirait de petits nuages arrêtés là. La lune en transparence (elle est presque pleine) dans le jour qui semble s'éterniser, sous une chaleur quasiment estivale.
Il est une voix de la campagne qui n'a pas changé à travers les temps, l'air n'a pas besoin d'y être piquant ni remuant pour se faire sentir. Il y a, orientée plein nord, l'odeur de la rue, qui est celle des pierres que l'on retourne pour ameublir la terre. Je trouve agrément et plaisir dans cette alternance entre le côté jardin et un côté rue qui semble déjà sommeiller à cette heure. Le calme, l'attente du crépuscule.
Daniel Martinez
19:36 Publié dans Journal | Lien permanent | Commentaires (0)
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