02/08/2015
"Mort d'un poète", un récit de Jean Rousselot, deuxième partie
- Ecoute, dit Lopez (et sa voix était douce maintenant), ce n'est pas moi qui ai décidé ta mort, tu le sais, mais je dois faire mon devoir. Dis-nous ce que tu veux et nous te l'accorderons.
- Je voudrais, dit le poète, que vous me laissiez le temps d'écrire un dernier poème. Oh, une demi-heure à peine. Et vous ne me gênez pas. Vous pouvez parler et rire, que m'importe ? La Nuit est en moi et je suis déjà dans la Nuit.
Les soldats battirent les cartes et burent le vin du poète. Lopez, accoudé à la fenêtre, regardait pleuvoir les étoiles. Le rossignol chantait toujours.
Et le poète écrivit d'une traite un grand poème mélodieux et exultant où les flancs lourds de la moisson respiraient comme une femme assoupie, où les frondaisons écumeuses s'incurvant, partaient à la conquête des bords lointains du ciel, où le regard de l'homme s'ouvrait si grand qu'il absorbait en son entier, et pour toujours, le monde et ses fourmis pesantes.
Il achevait à peine que Lopez se dressa devant lui, un Lopez nouveau, ruisselant de sueur ou de larmes, qui, au grand émoi de ses hommes, dégaina son noir pistolet d'Eibar, pour, d'une balle au front, tuer lui-même le poète.
- Et maintenant partons, je n'en peux plus !
Eteinte dans l'escalier la chevauchée des bottes, on n'entendait plus rien, dans la chambre aux murs chaulés, que le chant du rossignol et le ruissellement des étoiles et, tombant goutte à goutte sur la feuille, le sang du poète signer le grand poème mélodieux et exultant.
Jean Rousselot
12:16 Publié dans Jean Rousselot | Lien permanent | Commentaires (0)
20/07/2015
Carlo Betocchi (1899-1986) traduit par Jean Rousselot
La Maison
Avec sa façade nue, exposée
A un soleil de biais, les persiennes
Fermées, l'une écartée à peine
De la rigueur de l'autre, c'est la vie.
La maison jaune ensoleillée,
Avec un toit jaune qui recouvre
Son silence, et les suspectes, les dépouillées
Persiennes, qu'une main dénoue
Quand elle veut - et sur un fil d'espérance
S'ouvre alors ce vert, et la vie qui s'avance,
Et la journée semble de même s'ouvrir
Sur un signe, à qui garde cette nue
Façade au soleil - jaune, avec les lignes
Vertes des jalousies closes, avec les fils
D'ombre incrustée dans les lames subtiles -
Construite pour le silence dont nous vivons.
Carlo Betocchi traduit par
Jean Rousselot
20:07 Publié dans Jean Rousselot, Poésie italienne | Lien permanent | Commentaires (0)
Marino Piazzolla (1910-1985) traduit par Jean Rousselot
Petit miracle
Je suis tellement innocent
Que lorsque je me lave
L'eau devient plus claire
* * *
La Gazelle
J'ai acheté une gazelle.
Souvent dans ses yeux
Je vois ma mère venir vers moi
Pour me tenir compagnie.
* * *
La garçonnière
Deux papillons blancs
Se sont aimés
Dans mon ombre.
Je sers donc à quelque chose.
Marino Piazolla traduit par
Jean Rousselot
13:34 Publié dans Jean Rousselot, Poésie italienne | Lien permanent | Commentaires (0)