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04/10/2018

"A qui bon la poésie aujourd'hui ?", de Jean-Claude Pinson, éd. Pleins Feux, 1999

Que peut encore la poésie, quand ses illusions lyriques de naguère (offrir une vue imprenable sur l'Absolu, "changer la vie"...) ont perdu tout crédit ? N'est-elle pas devenue une activité anachronique et dérisoire ?
Et pourtant, même s'il lui a fallu en rabattre sur ses prétentions, elle insiste, tournée toujours vers ce qui ne cesse de manquer à nos existences.

Un quart des Français, selon Le Monde de l’Éducation, s'adonneraient aujourd'hui à la poésie. Beaucoup, sans doute, ne cherchent pas à être publiés. Il n'est pourtant pas rare que l'autothérapie poétique aille de pair, dans le contexte de l'individualisme contemporain, avec un désir de reconnaissance exacerbé. Or le principe démocratique selon lequel chacun a le droit d'être un auteur se heurte au principe aristocratique (hiérarchique) qui régit encore le monde de l'art et de la poésie : tout ne se vaut pas et il faut en passer par les instances d'homologation forcément malthusiennes (et certainement par bien des côtés injustes).

C'est dans une sorte d'entre-deux, à mi-chemin de l'intelligence d'un sens et de la sensibilité aux formes verbales, là où se fait l'hésitation entre sens et sons, que l'onde du poème se déploie. Sollicitant, plutôt que notre intelligence narrative, une compréhension qu'on pourrait dire "affective", le poème lance ses mots, comme autant de sondes, en direction des assises les plus enfouies de notre présence sensible au monde. Il fait vibrer en nous la corde énigmatique du temps en ce qu'il a de plus inscrutable. Il excite les nervures les plus secrètes de notre habitation corporelle et spatiale du monde. De la sorte, ce n'est pas un message qu'il délivre, ni quoi que ce soit qui puisse être de l'ordre d'un enseignement doctrinaire. Il ne met pas en vers des idées ; il dessine et décline des versions de mondes qui sont autant d'esquisses d'une autre économie possible de l'existence, d'un autre éthos (séjour), qui serait, selon le mot de Mallarmé, plus "authentique".


Jean-Claude Pinson

13/08/2015

Que sauveriez-vous du XXe siècle ?

La réponse du romancier Eric Chevillard


"Les femmes et les enfants d'abord. Ensuite les grolles de Charlot, s'il reste deux chaloupes. Et le rire de contre-attaque de Beckett et Michaux, nécessaire en toute circonstance, efficace, grâce auquel nous devrions pouvoir nous sauver aussi du XXIe siècle."

Pour illustrer :
"Entoure-toi d'un insatisfaisant entourage. Rien de précieux. A éviter. Jamais de cercle parfait, si tu as besoin de stimulation. Plutôt demeure entouré d'horripilant, qu'assoupi dans du satisfaisant.

Lorsqu'une idée du dehors t'atteint, quelle que soit sa naissante réputation, demande-toi : quel est le corps qui est là-dessous, qui a vécu là-dessous ?
De quoi va-t-elle m'encombrer ?
Et me démeubler ?
Cependant au long de ta vie, te méfiant de ta méfiance, apprends aussi à connaître tes blocages." Henri Michaux

Une crise de la Poésie ?

La question revient, dans vos courriels, sur une défiance vis à vis de la Poésie qui ne trouverait pas seulement racine dans une désaffection du lectorat, relayée à présent par un désengagement des intermédiaires institutionnels, mais dans une alarmante obstination de certains éditeurs à promouvoir des poésies de chapelle - comme on dirait des "auteurs-maison" - à peu près illisibles et pourtant soutenus jusqu'ici, ces éditeurs, petits et grands d'ailleurs, par le jeu des subventions qui fausserait la donne. Une certaine inéquité dans la distribution de la manne, selon vous, règnerait dans ce milieu très cloisonné, opaque à souhait, pas seulement du côté comptable.
Vous me faites remarquer aussi que dans les revues, alors qu'une circulation des idées a lieu, des confrontations intéressantes, une variété de tons et de courants... cette variété est gommée par le milieu éditorial (un peu comme l'éclipse des auteurs non admis à figurer au programme dans les manuels scolaires). Que la part des traductions est notoirement insuffisante et que sur cette peau de chagrin qui resterait au Domaine étranger les choix ne seraient pas toujours les plus judicieux. A quoi et à qui l'imputer ?
Bref, que les lecteurs - car il existe bien un lectorat de Poésie - ne peuvent se contenter de lire ce qu'actuellement on leur présente sur les éventaires. Livres dont une bonne part ne convainc même plus les critiques littéraires, c'est dire !

A mon sens, vous n'avez... pas tort. Il y a bien un problème de fond, des questions qui mériteraient d'être abordées avec les éditeurs de poésie en particulier, et qui restent durablement dans l'ombre, faute de communication. D'une manière générale, je crains qu'il ne faille pas toujours s'en remettre à une carence du lectorat de poésie, poésie qui a de multiples visages et dont une quantité non négligeable passe aux oubliettes de l'histoire littéraire, pour des motifs pas très clairs - extra-littéraires ? La Poésie n'est pas une, pour commencer, tâchons de respecter, côté offre au public, sa diversité foncière. DM

Je reçois à l'instant une remarque intéressante d'un plasticien et poète, que je vous livre derechef : "Je peux t'assurer que l'on rencontre la même chose dans le milieu de l'art, celui des galeries et autres..."
Sans commentaire.