27/03/2018
Les deux numéros de Diérèse en hommage à Thierry Metz
Vous le saviez déjà, ces deux fameux numéros (52/53 et 56) ont été orchestrés par Isabelle Lévesque et moi-même, du travail et du temps consacrés à leur sortie. Le second est épuisé et ne sera sans doute pas réimprimé. Il reste du premier, en couverture, cette photographie de Thierry jeune, dix-huit ans à peine, l'âge où tous les espoirs sont permis. Jérôme Garcin, du Nouvel Obs, a rendu compte dans cet hebdomadaire du numéro 52/53, en réussissant le tour de force de ne jamais citer quels en furent les maîtres-d’œuvre.
Choix tout arbitraire que le mien dans mon blog, de vous donner à lire quelques textes extraits des deux exemplaires de la revue, j'ai nommé Sophie Avon, Didier Periz et Jean-Pierre Chambon. Vous ne les trouverez nulle part ailleurs reproduits, ces textes, et certainement pas dans les livres sortis ces derniers temps, où l'œuvre (à peu près) complète de Thierry Metz a été colligée. Travail de forçat, car répartie aux quatre vents.
Il s'agissait, dans Diérèse, de n'en pas rester au contenu brut de décoffrage, sec comme de l'amadou, mais plutôt de faire participer celles et ceux qui ont interagi dans la conception et le rendu de l’œuvre en cours (éditeurs en premier lieu, mais pas seulement, citons Jacques Ancet ou Xavier Bordes par exemple). Un seul refus à signaler : celui de Jacques Brémond, au travers d'une correspondance qu'il jugeait trop intime sans doute pour être publiée, nous l'avons regretté, certes. Ita est.
C'est une tendance d'ailleurs, dans le monde de l'édition, de vouloir détacher l’œuvre de son contexte, comme si elle naissait ex nihilo ! Seule la collection La Pléiade s'attache à situer et replacer l'écriture dans son histoire, c'est heureux. Voilà, je m'arrête là. Je vous parlerai très bientôt de Christian Bobin, qui avait participé au n°52/53 (toujours disponible) dans son dernier opus paru, sur lequel la critique risque de se montrer peu bavarde : Le Plâtrier siffleur.
Amitiés partagées, Daniel Martinez
13:40 Publié dans Clin d'oeil | Lien permanent | Commentaires (0)
26/03/2018
Jean-Pierre Chambon rend hommage à Thierry Metz Diérèse 52/53 et 56
SEPT PETITS POÈMES
au souvenir de Thierry Metz
Le pigeon blanc barré de noir
que les enfants pourchassent
dans l’ombre des platanes
s’entête à revenir trottiner
parmi leurs cris et leurs courses
comme s’il était des leurs
moitié oiseau moitié enfant
créature du ciel fascinée par la terre
De lourdes tentures
retiennent la pénombre
des housses en plastique cernent les meubles
d’une vague luminescence
dans l’espace que prolonge le miroir
quelqu’un d’autre cherche aussi son chemin
avec sa lampe torche
Les mots
dans leur ombre insensée persiste
portant l’écho d’une voix à venir
le rêve d’une langue transparente
tenue en réserve depuis l’enfance
qui nous ferait traverser le miroir
et dirait enfin le secret des choses
L’homme qui a brisé la glace des miroirs
où était pris au piège son reflet
erre à présent dans la nuit profonde
poursuivi par la cohorte de ses ombres
son esprit parfois se dédouble parfois s’éclipse
il sait la clarté réelle pure fiction
et voit l’invisible déborder du visible
Ce n’est pas encore le soir
la fenêtre ouverte laisse entrer la fraîcheur
qui dévale des collines en une vibration bleue
du haut d’un toit voisin un corbeau soudain
apostrophe l’univers de sa voix gutturale
puis il s’envole le ciel l’efface
lentement le silence résorbe la plaie du temps
Les yeux d’un renard ont lui
dans le pinceau des phares
en un éclair la bête a filé dans le talus
ce ne sont plus désormais
qu’entêtants pointillés blancs
et dans les virages un pan de mur blême
des arbres qui gesticulent
la route s’enfonce comme en rêve
dans la nuit infinie
Mes pas font voleter sur les feuilles mortes
les flammèches fantasques de feux follets
prise à des ronces mon ombre mimétique
dans sa robe en loques mouchetée de cendre
grappille au pied de grands arbres séculaires
quelques misérables miettes de lumière
je m’égare à nouveau dans la forêt obscure
Jean-Pierre Chambon
15:23 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
22/03/2018
Edward Estlin Cummings (1894-1962)
16 poèmes enfantins
Sous le titre 16 poèmes Enfantins (en français dans le texte), Cummings a publié à compte d'auteur, en janvier 1962, un choix de poèmes évoquant l'enfance, et reprenant souvent des formes comme la ronde ou la comptine, avec leurs jeux de rythmes et de sons. A l'exception d'un texte extrait de 95 Poèmes, j'ai retenu certains de ceux que D. Jon Grossman n'a pas traduit dans 58 + 58 Poèmes (Christian Bourgois, 1979).
C'est un Cummings presque trop sage qui apparaît ici. L'une des faces, pas la moins profonde, d'un magicien dont les tours périlleux effraient et dédouanent à la fois ceux qui n'ont pas envie d'aller plus loin. Plus Cummings avance en âge, plus il recherche le simple, qui est aussi l'unique, l'individuel, avec ce qu'il rassemble d'infini mystère, débarrassé de toute justification morale et donc collective.
Nostalgie de l'enfance ? Non pas. Plutôt une approche consciente de l'innocence, comme d'un but, une fin. Vieille valeur usée ? Qu'on se rappelle la phrase de Rimbaud : "Apprécions sans vertige l'étendue de mon innocence". Jacques Demarcq
1
pourquoi es-tu parti
petit quatrepattes ?
tu as oublié de
fermer tes grands yeux.
où donc es-tu parti ?
à de mignons chatons
ressemblent les feuilles
qui s'ouvrent à la pluie.
mignons chatons que l'on
appelle printemps,
est-ce cela qu'on caresse
peut-être endormi ?
le sais-tu ? ou peut-être
quelque chose est parti
en silence comme toujours
quand on n'regardait pas.
2
porc-épic & porc-épette
assis dans une lune)
plus noirs que rêves
sont ronds comme une prune font
silence ensemble
deux-faits-d'un
& rien qui ne dise partout
"la neige va venir" &
se prenant pour des oiseaux assis
ces créatures de piquants
(endormies doivent partir
choses-sans-ailes
3
ho mais au fait
quelqu'un l'a-t-il vu
le petit toi-moi
sur la colline verte
il faisait un vœu
qu'il lançait au bleu
par chutes et par bonds
s'envolait son vœu
(plongeait comme un poisson
mais montait tel un rêve)
palpitant comme un cœur
chantant telle une flamme
ô bleu emporte mon
bien plus loin que loin
et au-delà du haut
plus bleu prends-le tien
plus bleu prends-le nous
par delà tous les où
quelle pure merveille
est le bout d'une ficelle
(murmure petit toi-moi
comme s'enfuit la colline)
quelqu'un me dira-t-il
pourquoi les gens le lâchent
traduction de Jacques Demarcq
10:35 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)