07/02/2018
Regards IV
Lent régulier paisible le gémissement
des branches des bouleaux
sous la neige rosâtre par endroits
et le cri mélancolique du colvert
il nous souvient d'un jour
d'hiver où l'eau vivante
sortie des taillis
qui moutonnaient en désordre
se figeait laissant perler
quelques gouttes d'ambre
sur la roche gélive
le sol résonnait
un peu comme un ponton
l'air glacé nous traversait la peau
comme nous avancions
à petits pas mesurés
un quadrige immobile
avait fait halte au pied
de la châsse d'argent
Des soies mauves ici
des fragments de branches là
transformant leur marbre en miroir
l'espace entier frissonnait
ses particules continûment
nous touchaient l'épaule les cheveux
depuis le sanctuaire nous parvenaient
les sanglots étouffés d'un corps
strié d'incisions d'un violet pourpre
un monstre ailé embaumé
aux yeux liseronnés de pleurs
s'abouchait à des essaims d'étoiles chues
quand parut à la croisée des chemins
un grand cerf aux yeux dorés
cernés de longs cils
il s'arrêta d'abord plus surpris qu'apeuré
pour s'enfuir enfin
dans un jet d'haleine fumante
confondu à ce que pourrait être
mon tout dernier souffle
Daniel Martinez
7/2/2018
10:11 Publié dans Enluminures | Lien permanent | Commentaires (0)
06/02/2018
"Sept figures palustres pour Jean-Luc Brisson", de Laurent Debut
De ce livre, qu'a écrit et édité Laurent Debut, poète et fondateur des défuntes éditions Brandes, enté d'un estampage électrolytique de Jean-Luc Brisson :
"Sept figures palustres pour Jean-Luc Brisson", (tiré à 120 exemplaires le 2 mars 1985)
on retiendra ses vers brefs, taillés à la serpe, aux accents chariens, dans la lignée de ceux d'un Jacques Dupin in "Une apparence de soupirail" (éd. Gallimard, 1982) :
"Mécanique des faces, entame au cœur foudroyé / la grenouille adopte le mouvement / et le mouvement est une couleur de la peinture.",
ou :
"Lente ligne en écart qui t'alimentes d'acidités, / ta palme ira noyant son ombre. L'éclat des matériaux / qu'on rive au futur se venge du dissecteur."
Variation autour de la grenouille donc, la grenouille de laboratoire, livrée à la cruauté humaine (c'est le sujet de la gravure même), pour en arriver à cette phrase conclusive :
"En profusion d'herbe, dit la grenouille, je goûte le souffle d'une terre qui caresse la lèvre parce que nous ne savions pas que le jour commence aux premières eaux, ces passions, comme le sang ne connaît que le voyage du sang."
Chaque aujourd'hui de la vie du monde, chaque instant de l'expérience personnelle est comme tissé dans ce livre à la mystérieuse totalité d'une création dont le plus grand des "dépréciateurs" serait l'homme, qui pour se dédouaner en appelle à la culture, en dépit de ce que nous offre la nature donc. Ici s'inscrit le verbe du poète, lui qui souvent invoque une présence qui se fait attendre, qui avive le désir - ou le contredit. Puisque le statut du signe est aussi bien tourné vers l'avenir que vers le passé, il en résulte que la parole poétique en elle-même renvoie à cette double tension entre le sentiment, voire l'affectif qui touche à notre condition humaine et son expression : une condensation de la temporalité, nourrie de l'observation du monde, distraite des racines de la création.
Alors : "Tout est fortune pour l'image / du lieu où se partagent les effets du courant."
Et : "Le fil de l'eau conduit la source pour être raconté..."
Balance où la vie va, la vie vient, ou quitte la partie, mangée de nuit. Quand le poète, lui, rêverait que le fleuve du cœur toujours et sans fin fraye sa route à grandes foulées, à grandes eaux farouches... "La bête en moi qui bouge / en elle un ange rêve...["Contrechant", Jacques Dupin, in Cahiers GLM, mai 1949 ; repris dans "Cendrier du voyage", éd. GLM, juin 1950].
Rappelons s'il en est besoin que les éditions Brandes était une maison associative née en 1976, qui cessa ses activités à la mort de son fondateur Laurent Debut, en 2014. Que Jean-Luc Brisson est un artiste plasticien, créateur de jardins, professeur à l’École Nationale Supérieure du paysage, dont je vous invite à écouter l'intéressant entretien qu'il a eu avec Xavier Thomas sur Radio Grenouille :
http://www.radiogrenouille.com/audiothèque/
au-paradis-entretien-avec-jean-luc-brisson
(résidence autour de la cité du Plan d'Aou, pour l'édition de son livre "Le Paradis", tout un programme !). Un moment de plaisir, vraiment.
Daniel Martinez
17:01 Publié dans Auteurs, Livre | Lien permanent | Commentaires (0)
05/02/2018
Regards III
Février dessine dans le noyer
des arabesques hivernales
voile blanc de céruse
en route vers les monts
la psyché de la chambre
efface ton ombre
dans la neige qui respire
doucement comme un nouveau-né
son cœur à l'unisson
un fabuleux décor entre
par la porte-fenêtre
jusques au jardin d'hiver
où trône le catalpa
face au flux qui vient
des choses vers les yeux
dans l'intervalle des cils
l'un de mes visages perdus
ravaude le tissu du temps
et le double d'une fine pellicule
en réserve de nos corps
sous la transparence des étoiles
au creux des yeux elles esquissent
la nuit de l'avant-voir
ce sont griffures de craie sur le tableau noir
une effraie empaillée sommeillait
juchée sur la grande armoire
tout au fond de la classe
mon enfance à tire-d'ailes
entre les charmilles délicates
et les jardins secrets du tréfonds de l'âme
un peu d'infini file entre les mains de l'aérostier
après que la pointe des doigts
eut effleuré les lèvres
l'arc des sourcils l'arête du nez
pour approcher sous les dernières
lueurs du jour une futaie de trembles
en lisière de la vaste forêt
Daniel Martinez
05/2/2018
11:44 Publié dans Enluminures | Lien permanent | Commentaires (0)