06/01/2018
De Daniel Abel à Maurice Blanchard (1890-1960)
Manière de commencer en beauté l'année 2018, une œuvre du poète et plasticien Daniel Abel, dont je parle dans le prochain "Tribune libre", nouvelle rubrique in Diérèse opus 72. Quatre intervenants dans cette section : Pierre Kobel, Patrick Argenté, Jeanpyer Poëls, et votre serviteur. Au final, ce sera un numéro fort de ses 282 pages, bellement illustré (clin d’œil à mes amis de Décharge) et dont le sommaire en fera pâlir plus d'un ! J'ai pris le temps qu'il me fallait pour ne pas faillir, le blog en a quelque peu pâti, pardonnez-moi. Allez, c'est reparti ! Amitiés partagées, Daniel Martinez
et en regard, un poème de Maurice Blanchard, apparenté aux surréalistes ; par ailleurs, ami de René Char, qui lui dédiera un poème du Marteau sans maître : "Les observateurs et les rêveurs". Les Œuvres complètes de Maurice Blanchard ont été publiées par les éditions Plasma.
Il y a des lumineux instants dans le percement de mon isthme, il y a des clartés d'enfant sur le roc matinal, il y a ces pics éblouis de Paul Eluard et ces feux tournants de Joë Bousquet, espoir du naufragé, perforation de la nuit, il y a des signaux sur les drisses : "Aperçu, ami !" quand je sors le bras de mon isthme, quand j'agite la main, queue de requin, quand je secoue furieusement mon mouchoir et ses poussières de confidences, il y a des accords de silences chez les créateurs de mondes, il y a des accords de silences pour chavirer le monde.
Maurice Blanchard
extrait de "Les périls de la route", dixième cahier de "Habitude de la poésie", édité à un petit nombre d'exemplaires par GLM, impression sur papier glacé bleu ciel (au recto) et jaune paille (au verso), 1937. Une rareté. Attention, fragile !
19:21 Publié dans Arts, Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
01/01/2018
2018 !
Bonsoir à toutes et à tous,
Au nom de ce qui m'est le plus cher, je vous souhaite à toutes et à tous une belle et heureuse année 2018, en poésie s'il se peut & par les temps qui courent, qui lui sont peu propices. [Je ne me dirai pas rassuré au niveau international, ce serait mentir...]
Il n'empêche : la vie est belle, à prendre comme elle s'offre, sans réserve. Ne laissons pas aux "grands" de ce monde nous prendre notre bien le plus précieux, qui ne se monnaye pas.
De tout cœur avec vous, champagne *!* et amitiés partagées, Daniel Martinez
20:58 Publié dans Voeux | Lien permanent | Commentaires (0)
27/12/2017
"Histoires de fantômes", de Philippe Blondeau
Train fantôme - 2 -
C’était bien un train en effet, dont je voyais les wagons s’immobiliser derrière les poutres d’acier de la passerelle. Des wagons d’un modèle ancien, dont j’entendais les portières s’ouvrir à grand fracas. Des gens descendaient et longeaient la voie ferrée. C’était une foule silencieuse et comme d’un autre temps, des hommes en pardessus et casquette, des femmes en foulard, qui descendaient un raidillon pour rejoindre le chemin avant de s’enfoncer dans les bois. Tous paraissaient confondus dans l’uniformité et la soumission de la misère, silhouettes grises, visages dont je pouvais imaginer les traits hâves et apeurés, comme si je croyais y lire le rappel des moments tragiques d’une histoire pourtant révolue. Le curieux défilé s’écoulait le long du sentier : des homme âgés, les mains dans les poches de leur veste de toile bleue, de jeunes femmes au visage maigre, presque décharné, les yeux agrandis par la crainte ou simplement l’étonnement, quelques adolescents et même des familles entières composaient cette troupe fantomatique. Malgré le brouillard, je distinguais un espace dégagé, en contrebas de la voie ferrée, où s’élevaient de grands bâtiments, une sorte d’usine ancienne, avec de hautes arches de brique occupées par des verrières par endroits brisées. La longue file humaine disparaissait par une petite ouverture latérale. La porte franchie, je me trouvai à mon tour dans un vaste espace assez mal éclairé. De chaque côté de la file veillait un gardien en uniforme. Les paroles se perdaient dans la rumeur confuse qui résonnait sous les hauteurs du bâtiment. Au bout d’un couloir mal bâti, je parvins à un grand hangar où régnait un vacarme assourdissant. Des hommes manipulaient des planches, des caisses, tandis que d’autres semblaient aller de tous côtés comme des insectes frénétiques, avec à la main des fiches où ils prenaient continuellement des notes. On passait ensuite une nouvelle porte et l’on se trouvait alors dans un lieu tout différent. C’était un large atelier, peint en blanc et vivement éclairé, espace neuf et propre construit à l’intérieur même des ruines, bizarrement sans aucun rapport avec son environnement immédiat. De longues rangées de machines fonctionnaient dans un bruit atténué. Au bout des chaînes on distinguait enfin les objets fabriqués. C’étaient pour l’essentiel des membres artificiels. Des jambes de toutes les tailles. Je m’arrêtai un instant devant une ouvrière qui polissait de petites jambes noires, visiblement destinées à des enfants de six ou sept ans. Le directeur m’avait rejoint. « Ah ! que voulez-vous, disait-il dans un curieux mélange de hâte et de lassitude, ce sont nos bons clients. » Partout des membres, des mains, des pieds, certains assez grossièrement articulés, d’autres presque vivants tant ils étaient soignés et travaillés.
Au fond de l’atelier, dans un grand box vitré, des jeunes gens étaient étendus sur des tables, les jambes prises dans des gangues de plâtre. Le directeur fouilla dans un casier, près d’une machine où travaillait une toute jeune fille de type asiatique, si frêle qu’elle semblait à peine sortie de l’enfance. Il prit un objet qu’il glissa dans ma poche avec un air entendu: « Gardez-le, gardez-le », disait-il. Au bout d’un nouveau couloir une porte métallique ouvrait sur les bois : « Je vais vous reconduire moi-même. Mais si, mais si », dit le directeur. Une barque était attachée à la rive. Il m’aida à prendre place avant de monter à son tour. Il se tenait debout et manœuvrait avec une godille. Il paraissait beaucoup plus grand, presque menaçant. Le trajet semblait long ; l’homme peinait à remonter le courant. Le brouillard commençait à se dissiper et l’on distinguait les rives broussailleuses. Le nautonier, maintenant silencieux, accosta sur une grève minuscule et se contenta de me désigner du doigt un tournant de la rivière. « Là, le pont », dit-il simplement. Resté seul, je fouillai machinalement dans ma poche et y sentis un objet inhabituel. Au creux de ma paume un faux œil à l’iris très bleu semblait me regarder.
Philippe Blondeau
17:41 Publié dans Contes | Lien permanent | Commentaires (0)