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10/01/2018

"Eloge du jaune" de Jocelyne François

Au rayon des douces merveilles à découvrir, un extrait choisi d’un ouvrage rare et de qualité, dont je vous donne lecture sans plus tarder. Ce recueil : Éloge du jaune, a pour auteure Jocelyne François ; il a été édité par Michel Chandeigne en mai 1990 à 300 exemplaires, dont 60 sur Arches, entés d'une sérigraphie de Bertrand Canard. Je m'y suis replongé juste après avoir vu fleurir les premières fleurs du forsythia de la rue Sully où j'aime à présent le rencontrer au petit matin une fois les premières ombres dissipées, pour souffler un peu de lumière pure sur le ciel si gris de ces derniers jours :

 

Aujourd’hui 24 mai 1981 je me demande si la durée amoureuse ne serait pas d’essence jaune, ne serait pas de cette couleur qui semble s’engendrer à mesure comme si un feu intérieur ayant dépassé de beaucoup le stade du rouge et s’approchant du blanc l’alimentait secrètement. Dans l’avion qui me ramenait de Montréal quelques jours plus tôt, après la traversée de l’Atlantique, après le cordon des vagues sur le littoral, n’est-ce pas dans la géométrie capricieuse des terres cultivées les quadrilatères jaunes du colza que j’ai cherchés d’abord ? Parmi les miroitements, les serpentements, les groupes des toits, les forêts ou les boqueteaux, ils concentraient la lumière terrestre, eux seulement. Après la nuit si courte, à peine plus obscure qu’un crépuscule, et le paysage sans limites des nuages très progressivement éclairés d’un seul côté par l’aube puis d’une façon plus pénétrante par l’aurore, après cette splendeur inhumaine, ce sont les champs de colza qui m’ont rappelée aux genêts de la colline, aux terrasses de pierres sèches, aux pourpiers qui unissent si subtilement le rose et le jaune dans les pierres creusées du jardin, à cette redescente dans le monde des choses où tu allais, venais, étendant tes peintures au soleil, les confiant au rayonnement suprême du jaune.


Jocelyne François

20:18 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

Maurice Genevoix (1890-1980)

Il est un livre que je tiens en estime, dans ma bibliothèque : c'est Forêt voisine de Maurice Genevoix, édité par Flammarion à la fin de l'année 1952. L'auteur/le poète nous y parle de bouleaux, de pins, des eaux forestières, du peuple des ailes... J'ai choisi pour vous un passage de ses "Routes de forêt" :

Elle est fauve au soleil, et par endroits lavée de coulées roses. Plus chaude aux yeux que la grand'route noircie, elle nous surprend pourtant de sa fraîcheur un peu humide. Il n'y a plus la moindre rosée dans l'herbe ; tout le long des fossés la bruyère de l'été dernier, fanée, roussie, fait sous les pas un cliquetis sec. Mais un luisant
mouillé avive la tranche des silex, les pointes d'herbe et les talles de mousse. Tout ce qui touche nos yeux paraît ainsi mouillé, gonflé d'eau pure ; et quand nous fermons nos paupières, cette fraîcheur lustrale semble couler de nos cils même.
A droite, à gauche, c'est un taillis de faible hauteur, des charmes dont l'écorce est mouchetée d'un lichen sombre, - brun profond, vert noir, mordoré. Ces plaques ont la dureté aride des choses vieilles, comme la bruyère aux clochettes mortes qui s'effritent et tombent en poussière aussitôt que nos doigts les effleurent. Tout le terreau sous le couvert apparaît d'un gris terne, un gris d'usure et d'abandon. Tapissé de feuilles consumées, petites grilles de nervures à l'aspect minéral, il s'emplit dans les creux d'une sorte de bourre stérile : et tout cela nous heurte de la même ingrate sensation, d'aridité cliquetante et poudreuse...


Maurice Genevoix

10:40 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

09/01/2018

Marcel Béalu (1908-1993)

Daniel Abel nous parle aujourd'hui de Marcel Béalu, pas très connu du grand public, malgré des qualités littéraires évidentes : il se refusait en effet le plus souvent à se confier aux médias, du temps où ils s'intéressaient encore aux poètes. Par ailleurs, il n'était pas du sérail, ce qui en France constitue un obstacle en soi... Signalons, pour approcher l'homme de plus près, sa trilogie parue chez Belfond : Enfances et apprentissages, Porte ouverte sur la rue et Présent définitif. Des livres dont vous pouvez faire l'acquisition en ligne, car épuisés. A bientôt. DM

 

Marcel Béalu.

C’est au cours du « temps lent » de l’hôpital que je découvris, à côté de poèmes de Jacques Marie Prével, Antonin Artaud... dans l’Anthologie de Georges-Emmanuel Clancier : De Rimbaud au surréalisme, un texte de Marcel Béalu intitulé « Le Bocal », lequel m’enthousiasma. Il ne s’agissait plus de décrire de l’extérieur mais de pénétrer l’essence même du poème, de vivre des métamorphoses, de participer d’un climat de magie cher aux romantiques allemands et au surréalisme.

Lorsque je me rapprochai de Paris, je voulus connaître l’auteur de tels textes et je le découvris, rayonnant, solaire, aux environs de 1958, en sa librairie du Pont Traversé, rue St Séverin. Le quartier – les gargouilles de l’église, le théâtre de la Huchette où l’on jouait Ionesco, la rue du même nom avec ses gargotes aux senteurs fortes, l’atmosphère des caveaux de Villon, l’église St Julien le Pauvre face à Notre Dame, la rue St Jacques d’une flèche vers le Panthéon... J’étais « le Paysan de Paris » subjugué par le Paris médiéval, occulte... par la « Ville volante », conte qui ouvre le recueil de La Pérégrination fantasque.

J’appris que Marcel Béalu avait été marchand de chapeaux à Montargis puis il avait ouvert cette librairie avec les livres d’ésotérisme, occultisme, surréalisme, art... On avait envie de fureter parmi les éventaires, de s’attarder sur des dessins de Marcel Béalu, des photos d’écrivains en vitrine, avec les dédicaces. La librairie était un antre aux trésors, à l’étage l’alchimiste façonnait ses pépites en courts poèmes, imprégnés d’onirisme, de merveilleux.  

Il reconnaissait volontiers : « La poésie n’a jamais été pour moi un refuge ou une fuite mais la seule expression possible : celle qui s’efforce d’atteindre au plus secret. » Pour reprendre un slogan de mai 68, avec Marcel Béalu l’imagination était au pouvoir : «  l’imagination c’est la prescience du mystère, la mémoire de l’ombre »

Marcel Béalu m’apparaissait à l’époque comme un veilleur, solaire par le visage, la chevelure bouclée, il avait de beaux yeux clairs de voyant, habités d’une flamme intérieure. Derrière lui se dessinait un paysage, la Loire de son enfance, de son  adolescence, des environs de Saumur, l’eau courante ou dormante, écrin où se montre, glissante, fascinante.... « Je me promenais innocemment près de la rivière quand une voix lointaine et comme venant du fond de l’eau m’arrêta.... » Le chant des sirènes ? L’Araignée d’eau, qui deviendra la troublante Nadie.

Marcel Béalu savait, dans ses contes, nous entraîner dans le surréel, dans le climat de l’envoûtement, cher aussi à Nerval. Il déclare pourtant : «  je ne pense pas qu’il y ait d’écrivain plus réaliste que moi, inventer n’est pas mentir... » C’est sans doute transposer. « A regarder les choses sous un certain angle on peut voir tous les jours des maisons s’envoler, des bêtes ayant le don de la parole, des poissons qui se transforment en clés d’or, des femmes qui se métamorphosent en oiseaux. On n’invente pas un miracle. Or la vie est un perpétuel miracle. Il suffit d’y croire. »

Marcel Béalu croyait à Alice au pays des merveilles, à une réalité seconde. Il publia quelques textes de moi en sa revue d’alors, éditée par Rougerie : Réalités secrètes. Comme il l’a déclaré à Radio Paris au cours de l’émission Belles lettres du 1er mars 1960, citant Raymond Lulle : « sans l’ombre on ne verrait pas la lumière... sans l’ambiguïté des sentiments – l’essence même de la vie – on ne saisirait pas les plus purs élans de l’être.... »

Il me définissait comme un « homme familier des chemins profonds » en quête, comme chacun d’entre nous, de la Liberté. A ce sujet, il écrit dans une lettre du 15 septembre  1984 : «  J’aime que mon nom, dans ton livre – Pluriels de Mers –, soit inscrit au dessus du mot Liberté et des très beaux poèmes qui suivent. »

Fantastique, surréalisme... A mon sujet encore voici ce qu’il dit dans une revue me concernant de mon parcours : « C’est là que je  rencontrai Daniel ABEL il y a très longtemps. Nous naviguions sur les mêmes réalités secrètes... un peu plus tard, sauvé par l’insubmersible radeau (de la Méduse) des surréalistes, Daniel Abel se livra sans retenue à la fascination de ces princes ruinés d’où l’enchantement nocturne de ses écrits et cet acharnement à ne pas sombrer avant l’orée première celle où se lève enfin le jour vrai sur les prairies immaculées »


Daniel Abel

09:54 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)