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05/04/2017

Prosèmes : Joël Vernet

DANS LE SOMMEIL,
UN TEMPS D’HERBES HAUTES

                                              à Thierry Metz


Bénéfique sommeil dans la maison après un long voyage.  La lumière apporte, emporte tout avec elle. Les volets s’envolent dans les nuages. L’esprit passe les fenêtres. Même les rêves  vont mourir dans le jardin. C’est une solitude bienfaisante que celle du sommeil. Vivre, non pas éloigné du monde, mais à deux doigts du monde. Près de votre visage ou dans son souvenir. Dans le creux  si doux de cette voix qui enchanta mon enfance.
Parfois, la vie se referme comme un poing.


*


L’avoir, le monde, dans sa paume. Comme un fruit. Et que courent le chant, le vif dans les phrases.  Le chant, le très vif du langage, je le retrouve toujours dans les rires, la joie, la lumière, l’éclat du soleil sur les vitres. Dans le souvenir de vous qui brûlez comme une lampe, le soir, lorsque rentrent les troupeaux sur les petites routes de mon pays où dansent d’un même pas la tristesse et la joie.


*

C’est en dormant que j’ai agi le plus. C’est en flânant que j’ai écrit ma soif et ma faim. C’est en rêvant que je me suis accompli. Toujours, à portée de main, la page blanche d’un carnet sur laquelle la main dessine quelques barques.


*

Écrire : revoir la beauté d’un visage, réentendre le grain d’une voix. Ecrire, pas de plus belle psalmodie. Ainsi, faire œuvre de psaumes. Écouter, écouter est la plus belle des prières. Ils ont les yeux clos, les cœurs fermés, mais le chemin ne se refermera jamais plus sur cet aveuglement.


*

L’odeur du foin coupé m’emplit le cœur de joie. Le jaune et noir du ventre de la guêpe m’éblouit le regard. La solitude chante son tocsin tout au fond de ma poitrine. Mais j’ouvre les yeux, je marche dans les herbes hautes. Je vais toucher le soleil au sommet de la montagne. Pourquoi n’es-tu plus avec moi sur ce même chemin ? Pourquoi la terre a t-elle repris ton rire et ton éclat ? Dis-moi, fleur immortelle ?


*


Parfois nous sommes plus seuls qu’un homme seul dans sa cellule. Mais les fenêtres, ici, n’ont pas de barreaux. A tout moment, nous sommes libres de franchir le seuil, d’entrer dans la lumière, de suivre le vol des oiseaux.

*

Souvent, je ne me sens plus de ce pays-ci et si je vis dans sa langue, je ne sais plus habiter cette terre que chaque jour défigure un peu plus. J’ai hâte d’aller très doucement. De plus en plus doucement. Lenteur, lenteur.
Pendant des semaines, je vis dans un sommeil profond. Des lettres viennent à moi, tombent dans le ravin d’une boîte, s’entassent comme des nuages, attendent des réponses que je ne sais plus donner. Joie de la vie lente. Joie d’entendre, d’écouter, de contempler. De retrouver le sommeil, la solitude et la joie.


*

Lire à en devenir fou. Écrire alors pour contrer cette folie de la lecture. Terre immense des livres. Plusieurs vies nous seraient nécessaires pour accomplir ce long voyage.

Quelle étrange figure que celle d’un homme seul qui marche sur un chemin ou le long d’une route. Belle silhouette du vagabond, du célibataire avec, en poche, un livre étroit.


                                                                                                        Joël Vernet

14:23 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

04/04/2017

Nicolas Bouvier (1929-1998)

Comme une eau, le monde vous traverse et pour un temps vous prête ses couleurs. Puis se retire et vous replace devant ce vide qu'on porte en soi, devant cette insuffisance centrale de l'âme qu'il faut bien apprendre à côtoyer, à combattre, et qui, paradoxalement, est peut-être notre moteur le plus sûr.

                                                                     Nicolas Bouvier

A signaler la parution posthume de Charles-Albert Cingria en roue libre (éd. Zoé, 18 €), à partir de différents textes laissés par Nicolas Bouvier, mis en forme par Doris Jakubec : un livre qu'il avait en projet, sur son compatriote suisse. DM

18:21 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

03/04/2017

"Jardins du Japon", de Teiji Itoh

Aux éditions Herscher a paru, en 1984, un bel ouvrage dont je ne saurais trop vous conseiller la lecture, pour la qualité de son propos d'abord, et celle des photographies qui l'accompagnent : "Jardins du Japon" dont l'auteur n'est autre que Teiji Itoh. Sans plus tarder, je laisse la parole à Nadia Tasi :

D'accidents subtils, en points remarquables et en qualités de silence, le jardin décidément se complique à mesure que l'on prend connaissance de son agencement et de ses intentions. Il ne suffit pas de savoir que la configuration fondamentale des pierres renvoie à la triade Ciel-Terre-Homme, ni que les graviers en vaguelettes ou en écailles de poisson imitent la mer, pour comprendre le fameux Ryoan-Ji : ce pur Koan n'est là que pour déployer dans son archipel et ses volutes son pouvoir d'énigme et d'enchantement. Autant dire que s'il est délivré de sa solitude et de son indifférence, le minéral préserve son secret. C'est même parce qu'il reste impénétrable qu'il est recherché, recensé, nommé selon ses provenances, sa matière ou son histoire... sur ce registre on ne se lassera pas de méditer, de commenter ou de bâtir des légendes, dans le souvenir du pays mythique des ermites, des arbres de longévité et des grues messagères des Dieux, au-delà des océans.

Certaines pierres sont sacrées ou visitées comme des monuments, d'autres ont donné lieu à des cortèges nocturnes, et des superstitions, des appropriations jalouses. On connaît en Occident les "paysages desséchés" (Kare Sansui), elles participent en réalité de tous les styles, du jardin-paradis, du jardin-promenade et des créations contemporaines. Et elles sont apparues dès l'origine, dans le vide sacral du sanctuaire Shinto, et au Palais Imprérial de Kyoto, dans la pompe plantant les hallebardes et les oriflammes des nobles sur le gravier blanc.

Ce sont les moines "placeurs de pierres" qui ont au XIIe siècle dessiné les jardins-paradis autour de Bouddha Amida auquel chaque mortel s’identifiait dans ce lieu. Ce sont ensuite des hors-castes (Karawa-Mono) hissés au rang de serviteurs de l'Empereur par la volonté des moines Zen et des classes guerrières, qui ont porté la pierre à sa plus forte expression. Le Temple aux Mousses, œuvre d'un moine Zen (Muso Soseki), comporte une partie haute et essentiellement pierreuse qui exprime toutes les souillures de ce monde ; et les chroniqueurs au fil des temps n'ont cessé de s'étonner devant ses cascades et ses cahots de pierre, ou l'étrangeté de ses arbres précocement vieillis. Mais Muso, en concevant cette merveille, ne pouvait soupçonner que ces règles et symboles sévères seraient détournés de leur sens : des empereurs vinrent y entendre des concerts, les littérateurs en louèrent chaque recoin. Et de même que la mousse est une heureuse profanation (car pendant six siècles les moines avaient lutté contre son emprise), le divertissement et l'art ont pris le pas sur l'ascèse. Je n'ai mentionné que la pierre, restent les autres éléments, le végétal, l'eau et l'architecture.

Tout cela, un livre splendide le montre et l'explique dans le menu détail. Des photographies surréelles présentent des vagues et des damiers de buis, des Palais Détachés, des étangs en forme de caractère chinois. Le texte, assorti de croquis et de plans, retrace toute la généalogie de l'art des jardins qu'il croise avec des informations pratiques et des récits : un peu dans l'esprit des paysages étudiés où l'esthétique, aussi sophistiquée soit-elle, n'exclut pas l'utilité.

                                                                             Nadia Tasi

16:42 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)