27/02/2017
"La troisième main", de Michèle Finck, éditions Arfuyen, décembre 2014
Que choisir entre les poèmes, la suite de poèmes devrais-je dire : il y en a cent, très exactement, que nous donne à lire la poète strasbourgeoise Michèle Finck dans son dernier recueil paru aux éditions Arfuyen, j'ai nommé "La Troisième main" ? Titre qui interroge, mais s'entend mieux si on l'entrevoit comme "l'énigme de la musique", pour me conformer à la dédicace de l'auteure. On sait que le livre, douloureux dans son fond puisqu'il a directement suivi une opération de la cataracte, écrit donc "dans le noir et la pénombre", n'est pourtant en rien une leçon de ténèbres, bien au contraire. Car les sons qui voyagent dans l'oreille interne jusqu'au cerveau participent de cette cicatrisation, physique certes, mais pas seulement : les stimuli sonores qu'accueillent l'univers neuronal, l'univers sensible, la psyché même de l'individu déploient à leur tour tout un réseau de sensations confuses qui œuvrent dans son for. Poète, celle qui là serait à la rencontre de son propre moi, recomposé. Voilà bien le point de départ, la source de ce livre étonnant, tout en ferveur contenue (le lyrisme en est absent), en touches délicates - un jeu de doigts caressant les touches d'un piano ; traversé d'une lumière intérieure et porté par une noblesse d'âme qui ne se commet pas avec le réel dans sa première dimension...
Voici les trois poèmes choisis, le premier fait suite à cette adresse au père mort (2008), le Quintette à cordes en ut majeur de Schubert - sujet de son précédent livre chez Arfuyen (Balbuciendo, chroniqué par Pierre Dhainaut in Diérèse 58) :
Une douceur que cette Sonate pour violoncelle et piano n° 2 de Bach
Rumeur sourde du violoncelle.
La neige des sons coule sur le visage enfant
Comme des larmes. Si les morts pouvaient
Parler entre eux, dit un ange,
Ce serait par le violoncelle.
Deux merveilleuses pièces en hommage à Billie Holiday, les plus belles de ce livre à mon sens, écoutez plutôt :
Who Wants Love ?
Yeux de l'âme saignent. Oreilles
De l'âme saignent. Voix arcboutée
Autour d'une fêlure ventrale. Ailes noires
Dans les nuits blanches. Transe utérine.
Body and soul. Perce-neige noire crie.
Strange Fruit
Voix noire serre le gosier. Serre.
O Harlem, Harlem, Harlem !
Voix noire croque la pomme. Croque
La pomme jusqu'au trognon. Crie l'amour
Jusqu'au râle. Acre. Jazz pour pas crever.
Michèle Finck
19:34 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
"Les feux d'Essaouira", Pierre Le Coz, éditions du Laquet, 2002
Ils poussèrent le volet et reçurent sur leurs paupières la dernière lumière, orange, sans origine, du soleil déjà couché. Et il leur parut que le soir d'été était comme la résolution de tous les antagonismes du jour, la couture de deux mondes qui s'étaient affrontés silencieusement au-dessus de la ville. Ils sentirent alors une profondeur s'ouvrir en eux tandis que, venant de la cité grondante une lame montait à cet instant vers leur fenêtre. Durant un instant, ils devinrent cette vague, firent corps avec cette invisible présence remplissant la chambre...
Pierre Le Coz
(a publié dans Diérèse)
Sur les chemins du monde, Daniel Martinez, 21 x 29,7 cm
14:53 Publié dans Clin d'oeil | Lien permanent | Commentaires (0)
25/02/2017
Moirures XI
25/2/17
XI
Des grains de chanvre filigranent la roche
la maison familière regarde l'horizon
derrière la clôture de fusains
toutes frontières brouillées
avec le sentiment d'une vie
comme enlevée au paysage
parmi les leurres de voix qui nous parviennent
nuage de paille en suspension dans l'air
t'aimer n'a pas de fin
mais rien encore pour dire le centre
la fibre d'un corps second
confondu aux mousses solaires
jusques aux creux des souches
où divaguent les fumées
le fil de l'histoire
enfin retrouvé
Daniel Martinez
11:03 Publié dans Moirures | Lien permanent | Commentaires (0)