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Rechercher : Henri Thomas

12 février 2008 : La vente de la bibliothèque de Gwenn-Aël Bolloré, avec Henri Michaux en vedette !

Ce fut le rare moment de brouhaha dans une salle pleine et attentive, plus de trois heures et demie durant, chez Sotheby's, mardi 12 février 2008, de la bibliothèque de Gwenn-Aël Bolloré, pour un montant total de 1,43 million d'euros : l'enchère de 120 000 € (plus les frais) atteinte par les quinze pages d'écriture tracées par Henri Michaux sous l'empire de la mescaline pour être insérées dans Misérable miracle - record absolu pour une œuvre, graphique ou littéraire, de l'auteur de Connaissance par les gouffres. La photographie de Michaux prise par le papetier breton sur le perron de la demeure familiale, près de Quimper, qui lui avait valu les reproches du Barbare en Asie ("Vous m'avez volé mon âme"), n'a obtenu que 1 600 € (estimée à 2000-2500 €).
En revanche, les prix de la plupart des œuvres de Michaux, soit plus de 50 numéros sur une vente qui en comptait 243, se sont envolés : 32 000 € pour les dessins destinés à illustrer Entre centre et absence, 26 500 € pour une édition accompagnée d'un pastel des Meidosems, tandis que Nous deux encore, un texte écrit par le poète après la mort tragique de sa femme et qu'il ne voulut jamais rééditer, obtenait 6 500 €, très au-delà de ce qui était annoncé.
Le début de la soirée avait vu les Chants de Maldoror, illustrés par Salvador Dali, adjugés 340 000 €, tandis que l'intrigant carnet noir contenant des poèmes de jeunesse d'André Breton et ayant appartenu à Eluard, partait à 25 000 €, en dessous de l'estimation basse. Souvent, le dire des experts a été contrarié : vers le haut pour un des six cents premiers exemplaires d'Histoire d'O (de Pauline Réage, alias Dominique Aury) sous une reliure rose et or, qui enflamma les amateurs à 17 000 € (plus de 10 fois l'estimation haute) ; vers le bas, pour le dernier manuscrit de Céline encore en circulation, celui de Nord (1959), mis sous cuir avec une inscription en forme d'exorcisme par le collectionneur-résistant qu'était Bolloré, et qui fut adjugé, au téléphone, à 360 000 € (au lieu des 400 000 à 600 000 annoncés). Si des bibliothèques municipales bretonnes (Saint-Brieuc ou Quimper) ont préempté des ouvrages de Louis Guilloux ou de Max Jacob, aucun représentant de l'Etat n'a fait de même.

La dispersion d'une bibliothèque n'est pas une vente comme une autre. On y feuillette une dernière fois les pièces réunies au long d'une vie de courage (l'engagement à 17 ans du jeune Gwenn-Aël qui rejoint l'Angleterre sur un voilier et revient dans le premier groupe de Français qui débarquent le 6 juin 1944) et de passion. Celle qui mène le papetier à prendre la tête, dans les années 1950, des éditions de la Table ronde, qui publieront notamment Boris Vian (L'Arrache-Coeur, 1953, parti à 6 200 €), puis les "hussards", Blondin, Nimier, Laurent et Déon.
Ce sera la partie moderne de la vente, annoncée par des œuvres de Bernard Franck, auteur de la formule "hussards" dans un article des Temps modernes paru en 1952. Son manuscrit intitulé Israël, d'une écriture ronde et serrée, sera emporté pour 19 000 € (estimation haute à 1 200 €), et l'édition reliée des Rats (1953) atteindra 1 100 € (estimée 300-600 €). Un important lot de manuscrits et tapuscrits de Roger Nimier (1925-1962), était très attendu. Si ce bel ensemble n'a pas suscité des records d'enchères (14 000 € au téléphone pour Amour et Néant, estimés entre 18 000 et 24 000), la présence palpable du travail d'un écrivain et de l'amitié qui le liait à son éditeur était renforcée par la silhouette discrète au fond de la salle de son héritière spirituelle, l'écrivain Marie Nimier.


Michèle Champenois

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16/05/2021 | Lien permanent

”Jamais et un jour”, de Henri Meschonnic, éditions Dominique Bedou, 48 pages, mai 1986, 54 F

nous ne savons pas ce que nous avons fait à la rivière
elle brille sous un soleil qui ne se couche plus
ou ce qu'elle a fait de nous oui si le tableau c'est nous
et le paysage s'écoule
les moments qui n'ont pas d'avenir
nous portent
et ce qu'on n'a pas su dire
déborde d'un coup les mots qui donnent plus qu'on ne peut prendre
c'est le pli qui est resté d'un poème au coin des lèvres
sur le buste de Ronsard
l'amour lisse comme une statue
il s'arrête sur les affiches il nous met des yeux sur les doigts
et des doigts le long des jambes
il bouge la rouge qui s'enfonce et les autres belles
il remue la nuit qui luit la lune et les foules étoilées
la tour qui vole les oiseaux par la fenêtre
pendant que des savants savent
sur la poésie


Henri Meschonnic

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12/01/2021 | Lien permanent

Une vie mouvementée : Gaston Ferdière, et la rencontre de Henri Michaux opus 1

Gaston Ferdière est né le 16 février 1907 à Saint-Etienne. C'est un ami de jeunesse, Robert Maurice, auteur de plusieurs plaquettes, qui lui donne à découvrir "Keats et Shelley, mais surtout Mallarmé et les poètes des Marges."* Sa mère, née Cécile Riche, était caissière à l'un des trois "cafés Riche", achetés à Saint-Etienne, par ses parents ; elle meurt en 1926 d'une tumeur cérébrale. Gaston Ferdière fait à Lyon, après le baccalauréat, ses études de médecine. En 1931, il effectue sa cinquième et dernière année de médecine et obtient le diplôme "de médecine légale et de psychiatrie".

Avec sa femme Marie-Louise Termet, il s'installe alors en Val de Marne, affecté pour son premier poste à l'asile de Villejuif, il y passe ses deux premières années d'internat. Puis il intègre Sainte-Anne, pour y terminer son internat, en 1936. A Sainte-Anne (Paris), Ferdière invite André Breton (lui-même médecin psychiatre) et Marcel Duchamp à déjeuner ; et peu à peu le cercle s'élargit, des liens se tissent avec le couple Tanguy, qui résidait rue du Chemin Vert ; puis avec Claude Cahun et Suzanne Malherbe, qui organisaient chez elles des expositions surréalistes. "Un jour, Suzanne Malherbe et Claude Cahun nous invitent à dîner, Marie-Louise et moi, en nous disant que cette fois elles allaient nous présenter à un grand poète... C'était Henri Michaux... Il était assez clair qu'il gagnait mal sa vie et vivait en solitaire, d'ailleurs sans désirer étendre ses relations... Nous allions, Marie-Louise et moi, le revoir souvent."  Avant que le couple ne divorce, en 1942.

Il passe sa thèse de médecine (L'érotomanie. Illusion délirante d'être aimé), mais son anti-conformisme lui barre toute carrière universitaire. D'abord nommé dans le Cher ; puis, sur ordre de Vichy et à cause de son engagement politique, il est affecté en 1941 à l'hôpital psychiatrique de Rodez, qu'il quittera en 1948, pour un exercice privé, d'abord dans le pays basque, puis à Paris à partir de 1961 jusqu'en 1976.

Gaston Ferdière publiera six plaquettes de poésie, dont Ma mère Jézabel ("En marge", 1938) qu'il offrira à Hans Bellmer (qui a été l'un de ses patients, avec Unica Zürn) ; dans sa lettre du 24 fév. 1948, Bellmer le remercie pour ce recueil : "la lecture, dans le train même [pour Toulouse] de votre poème 'Ma mère Jézabel' et de votre étude m'a redonné l'équilibre, l'idée de non-solitude." A noter que son style n'avait rien de surréalisant. Ses premiers poèmes montrent plutôt l'influence de Francis Jammes, voire du Moréas des Quatrains... Pour les curieux, voici les cinq autre titres des recueils édités : L'Herbier, 1926, La chanson fruste, 1927, Ma Sébile, 1931, Paix sur la terre, 1936, Le Grand matin, 1945.

Les travaux et les curiosités de Ferdière sur le versant linguistique ont porté non seulement sur la poésie, mais sur les jeux de langage enfantin et les mots-valises. C'est ce goût du ludique qui explique qu'il ait confié à Antonin Artaud le photomontage de la contine "Roudoudou n'a pas de femme", et la traduction du poème "Jabberwocky" de Lewis Caroll. Artaud a vu un sens sexuel dans la contine et détesté le poème, Antonin écrit alors : "Quand on creuse le caca de l'être et de son langage, il faut que le poème sente mauvais, et "Jabberwocky" est un poème que son auteur s'est bien gardé de maintenir dans l'être utérin de la souffrance où tout grand poète a trempé et où, s'accouchant, il sent mauvais." (à ce propos, on se reportera utilement à la thèse soutenue à Paris VII par B. Zrim-Delloye, "Artaud, les psychiatres et l'institution psychiatrique", 1985). Mais il s'est remis à l'écriture : ce qui mérite ici d'être précisé, même si cette forme d'art-thérapie a été contesté par Paule Thévenin ("Œuvres complètes", tome X, éd. Gallimard, 1979). C'est donc l'acte de naissance des Cahiers de Rodez, avec les péripéties éditoriales que l'on sait... 

Daniel Martinez

* les citations sont extraites du livre de Gaston Ferdière "Les Mauvaises fréquentations", épuisé.

Le numéro 42 de Diérèse (toujours disponible, 12,50 € + port), p. 129 à 143, contient un intéressant dossier "Gaston Ferdière".

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21/04/2016 | Lien permanent

La vente aux enchères de la collection Breton... En regard : Adrienne Monnier, Henri Michaux.

Chacun se souvient de cette vente, qui eu lieu à l'Hôtel Drouot, du 7 au 17 avril 2003, initiée par Aube Elléouët, la fille d'André Breton, des tergiversations politiques qui l'ont précédée et sur lesquelles je ne reviendrai pas (on en trouve encore trace sur le Net, comme d'un mauvais roman-feuilleton). Entre autres, cet amour des bois flottés qu'avait Breton, passion qu'il partageait avec Gaston Ferdière (qui leur consacra plusieurs études), avec Max Bucaille qui "aidait" les racines qu'il déterrait, ou d'un Jean Carteret, cet inspiré qui permit au psychiatre d'Unica Zurn de choisir quelques pièces dans son étonnante et minuscule chambre, pleine comme un œuf... Se rappeler ce qu'a écrit sur le sujet Yves Bonnefoy,  alors professeur honoraire au Collège de France, aux premiers jours de février 2003 :

André Breton à l'encan : vulgaire

Vous me demandez comment je prends la nouvelle de la vente aux enchères de la collection d'André Breton. Avec tristesse, avec un mouvement de refus.

A priori, je ne suis pourtant nullement hostile à la dispersion de ce qui fut assemblé. Regrettable, condamnable, l'atteinte aux instruments de travail, par exemple les bibliothèques savantes. Triste, la vente des œuvres ou des objets, souvent peu nombreux, dont quelqu'un avait fait son bien avec tant d'affection et parfois si peu de moyens qu'ils en étaient devenus son être même, lequel se dissipe une seconde fois maintenant.

Mais les collections, surtout les grandes, n'ont pas souvent cette qualité. Elles peuvent ne signifier que le fait qu'à un certain moment, en un certain lieu des pièces rares furent ensemble, et je connais des collectionneurs auxquels suffiraient, et ils ont raison, les quelques exemplaires d'un livre qui rappellerait qu'il en fut ainsi. Ce document désignerait ce mystère : qu'un être fut ; et la vie reprendrait ses droits en disséminant les objets comme constamment elle fait avec des vies.

Mais cette vente d'André Breton ? Eh bien, d'abord, je relève la vulgarité de cette entreprise de style grand magasin qui s'abat sur quelqu'un qui resta si exactement aux antipodes des manipulations commerciales, celles qui font choses des œuvres. Mais je remarque aussi l'intention, réfléchie, délibérée, que laissent paraître ce projet et ses prospectus. Breton, avec passion - ce mot galvaudé lui convient - ne rassemblait pas des objets, il reconnaissait des présences, au besoin il les ranimait ou en suscitait, il leur restituait leur dignité, ensemble elles étaient devenues chez lui une communauté vivante dans le miroir courbe de laquelle se dessinait la société à laquelle Breton rêvait pour l'avenir, et qui méritait notre attention, et notre respect.

Cette collection - mais faut-il la nommer ainsi ? - était de ce fait la poésie, radicalement. Or, c'est du regard de la poésie que beaucoup dans l'heure nouvelle ne veulent plus. A voir ce dépliant (présentant au public cette vente, ndlr) qui reprend, de façon perverse, une parodie qu'André Breton avait faite - avec, pour une fois, indulgence - d'une certaine façon d'être journaliste, je me suis souvenu de ce que Jacqueline Lamba disait dans des occasions semblables: "Ils l'ont eu". 

Une question, toutefois. Un des aspects nocifs de la vente du "42, rue Fontaine", c'est qu'elle rendra difficile à l’État ou à des fondations de préserver par leurs achats peu ou prou de cette unité qui jusqu'à présent avait été maintenue. Mais comment se fait-il que de ces côtés-là rien n'ait été fait ou n'ait pu aboutir, pour prévenir cette situation ? Et aussi pour aider les héritières d'André Breton, certainement victimes, à ne pas tomber dans le piège ? 

Il est vrai que nombre des collections léguées ou acquises par des musées, des bibliothèques, s'éteignent, dans l'empoussièrement des salles où elles échouent, sous vitrine. Mais n'a-t-on pas su voir qu'il y avait dans l'apport de Breton une flamme qui aurait consumé, au moins pour certains visiteurs - mais ce sont ceux-là seuls qui comptent -, cette impression délétère ? Qui aurait signifié l'espoir, à l'encontre de tant qui en bafouent l'idée même ?

"Je cherche l'or du temps", avait dit Breton, signifiant par cet or la présence à soi et aux autres de la personne à venir, là-même où le temps mal compris paraît signifier le néant, l'inutilité de tout, et inciter à l'indifférence. C'est sous le signe de cette phrase que beaucoup de jeunes gens s'étaient spontanément retrouvés, à sa mort, pour la seule cérémonie qui ait sens encore, celle qui atteste, en dépit de tout, sans préparation, sans mots d'ordre, cette espérance.

Sachons au moins prendre mesure, aujourd'hui, de ce qui à peine se dissimule dans ces annonces de ventes, de catalogues sur papier ou sur CD-ROM, dans ces bulletins de souscription avec indication du montant de la remise, dans cette évocation de "lots" de dossiers et d'albums dont le nombre semble se perdre dans le mauvais infini : ce que veut le plus la spéculation commerciale, c'est éradiquer jusqu'au souvenir de tout ce qui est aimant et libre.

Prenons mesure. Et faisons ainsi de cette vente la preuve, par l'absurde, que Breton avait raison, en tout cas souvent.

Yves Bonnefoy 

 

BRETON BLOG.jpg

Breton (à gauche, second plan), interne
au Centre psychiatrique de St-Dizier,en 1916


"Je ne manquai pas de regarder les lignes de la main d'André Breton ; une chose m'y frappa plus que tout : c'est la bizarrerie de la ligne de tête, qui indiquait clairement une prédilection du sujet pour la folie ; j'avoue que cela me fit un peu peur." : Adrienne Monnier, qui mérite d'être présentée ici:

Michaux la rencontre, à son arrivée à Paris, ou peu après, en 1925, dans la librairie qu'elle a ouverte dix ans plus tôt rue de l'Odéon, elle n'a pas beaucoup plus de 30 ans mais elle est déjà une des figures les plus en vue du monde littéraire. Elle réunit aux "Amis des livres" de grands écrivains de l'époque, qui ne se voient que là. De l'autre côté de la rue, la librairie "Shakespeare and Co", fondée par Sylvia Beach, son aînée de presque dix ans et sa compagne, accueille les grands écrivains américains de la Lost Generation qui vivent à Paris et, bien entendu, des Anglais, dont James Joyce. Sylvia Beach est surtout connue pour avoir, avec Valéry Larbaud, traduit Ulysse, alors interdit en Grande-Bretagne. Michaux est resté attaché aux deux amies. La fin d'Adrienne est tragique : souffrant atrocement d'une maladie incurable, elle se tue en 1955. Sylvia Beach lui survit jusqu'en 1962.  Daniel Martinez

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20/02/2020 | Lien permanent

”Les confessions d'un mangeur d'opium anglais”, de Thomas de Quincey, éd. Gallimard, 1990

Les Confessions ont d'abord paru, signées X.Y.Z. dans le London Magazine en 1821. Quincey (1785-1859) a trente-six ans. "A treize ans, note-t-il avec désinvolture, j'écrivais le grec avec aisance." Plus vous serez cultivé, prévient-il, et plus l'opium aura des conséquences éblouissantes (voilà un excellent argument en faveur de la lecture, et l'on peut s'étonner que les pouvoirs publics ne l'utilisent pas). Tout ce qui est su, lu, écouté, vu, se transforme, là devant vous en réalité dynamique, émotive. A quoi bon, dès lors, le pauvre spectacle collectif si vous êtes pour vous-même une multitude en acte ? Comme un mourant volontaire, vous assistez à la récapitulation de votre vie dans ses moindres détails. Vous devenez un opéra fabuleux, un bateau illuminé, ivre...

Quincey est un explorateur rigoureux. Il ne cache pas les terreurs, les angoisses, les efforts pour se distancier de la "noire idole". Un 8 juillet, il prend trois cents gouttes de laudanum. Le 25 du même mois, zéro. Mais le lendemain, deux cents. Entre-temps, il se retrouve dans des situations inextricables, en Égypte, guetté par des crocodiles ; à Rome dans des péripéties sorties de Tite-Live ou des Prisons de Piranèse ; en Angleterre, deux siècles auparavant, à un bal réel où il voit danser des femmes dont il sait, par ailleurs, qu'elles sont décomposées dans leurs tombeaux. L'espace s'amplifie toujours plus, le temps devient "infiniment élastique", toute mesure est abolie.

C'est ce savoir positif de l'incommensurable (et non pas de l'indicible poétique) qui fait époque dans son livre. Savoir qui ne s'oppose même pas à la philosophie (d'où l'humour froid et ravageur des Derniers jours d'Emmanuel Kant, traduit par Marcel Schwob, Ombres, 1986). Tout s'écrit, l'oubli est impossible. "Le redoutable livre de comptes dont parlent les Écritures est en fait l'esprit de chaque individu." Comment n'être pas dans la compassion et l'ironie les plus vives lorsqu'on a trouvé - grâce à une "manière pénétrante et féminine" et une "pensée naturellement spirale", - les preuves sensibles et vécues de la relativité généralisée ?

Compassion et ironie : deux attitudes à proscrire, pour propager le sérieux borné et la malveillance inlassable, ce que Baudelaire, au vu des nécrologies dédaigneuses des journalistes à propos de Quincey et de Poe, appelle déjà "la grande folie de la morale" ou encore "l'esprit envieux et quinteux du critique moral". Reste les Confessions, ce livre sublime, l'un des rares où l'on est obligé, en même temps que l'auteur, de trembler lucidement de douleur ou de joie.

                                                                                            Philippe Sollers

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02/06/2017 | Lien permanent

Henri Michaux : ”Donc c'est non”, éd. de Jean-Luc Outers, Gallimard, 208 pages, 2016

Comme je vous le laissais entendre dans la dernière note du blog, Michaux fut d'abord l'homme du "non" ; l'heureux paradoxe est qu'il ait pu paraître sans encombre dans La Pléiade, sous l'oeil averti de celle qui fut sa compagne, Micheline Phankim. Car l'époque que nous vivons privilégie l'assertivité, fût-elle servile...

Ce livre dont je ne vous touche que quelques mots aujourd'hui : "Donc c'est non" réunit en son sein un certain nombre de lettres où Henri Michaux, sur la défensive, en position du hérisson, envoie gentiment promener - jamais chez lui d'emportement vulgaire - ceux qui essaient de l'entraîner sur des chemins qu'il n'aurait pas librement choisis. C'est Jean-Luc Outers qui s'est chargé de compiler lesdites lettres. Ce qu'Henri Michaux écrit à propos des prix littéraires : "J'excuserais une assemblée anonyme qui, siégeant secrètement dans une cave obscure, m'adresserait (...) une somme importante en signe d'enthousiasme."

Attitude constante donc, il demeurera jusqu'au bout fidèle à ses principes, refusant la collection Poésie/Gallimard comme sa panthéonisation dans La Pléiade ! La première car il estimait qu'"un livre, cela se mérite" (et que le tenir en poche ne serait pas acceptable), la seconde car le rendu de ses nombreux livres illustrés en aurait pâti : "Laissez-moi mourir d'abord", répliquait-il. Toujours dans cette optique, il est resté jusqu'à sa mort, le 19 octobre 1984, fidèle à Fata Morgana, quitte à ce que les lithos de l'un de ses dernier livres, "Saisir", n'aient pas eu la qualité que l'on était légitimement en droit d'attendre pour pareille édition.

Je vous communiquerai plus tard l'une de ses lettres de refus (inédite), non reproduite dans cet excellent livre, "Donc c'est non", fidèle à la personnalité de ce poète hors normes que fut Henri Michaux. Daniel Martinez

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23/04/2016 | Lien permanent

”Jours de Loire”, de Patrick Henri Burgaud, éd. Interventions à haute voix, 25/3/1994, 30 F.

Encore quelques précisions bibliographiques, pour ainsi dire introuvables, venues compléter ma précédente note blog (28/12/2019) sur Éclats de jours, de ce poète aujourd'hui de nationalité néerlandaise, qui écrit toujours dans sa langue mère:

Bannières 15 calligraphies éd. Avalonpers, Pays-Bas
.

Anthologies :

Droits de l'homme Paroles de poètes (Le Dé Bleu/Aleï)
Destine-moi un poème (éd. Langages-Editions)
Agenda Rétro-Viseur, 1991, éd. Rétroviseur
Génération Polder, éd. Table Rase.

Traduction :

Descendance, poèmes d'Anneke Brassinga, Maison de la poésie Nord Pas de Calais.


avril 26 v


Les hirondelles


I


Ce premier jour de transhumance les yeux guérissent.
Les hirondelles savent les pratiques de médecine. Un diamant
dans le bec, elles découpent les verres de clarté.
Nomades déferlantes, joueuses d'arc et de la courbe du
cimeterre, elles chevauchent le dôme d'or neuf. Elles
détiennent les secrets du grand feu : la perfection des bleus
animés de leurs écritures, qui nous sont énigmes ravissantes.
Elles connaissent aussi les chiffres à mesurer les angles
d'ouverture, les règles de temps pour les usages. Leur
mathématique est excellente, apprise dans les roseaux
d'Alexandrie.

Souvenir d'Arabie Heureuse, leur croissant est prophétique.

 

II


Vous partez déjà ?
Craignez-vous les feux d'herbe, la géométrie fondante ?
Ce soir encore, contez-nous votre conte à endormir les nuits.


Fin des prodiges aux lampes de parfums
elles composent sur la portée des fils
une fugue d'exil que les cordes du vent joueront à nos regrets.


Patrick Henri Burgaud

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”Éclats de jours”, de Patrick Henri Burgaud, imprimerie Joost van de Paverd à Velp, le 20 mai 1988

Un poète étonnant, doublé d'un linguiste, ex prof de français langue étrangère aux Pays Bas (1979-1992). Il a d'abord publié en revues, découvrez ci-dessous un poème extrait de son premier livre, imprimé à 400 exemplaires, entés de 13 illustrations originales de Christian Guichard : Éclats de jours (il est indiqué au colophon qu'il "n'a été soumis à aucun dépôt légal"). Il publiera sur papier jusqu'en 1995 avec : Animots (artisbook Avalon Pers). Sans être exhaustif, je citerai aussi Le Jour Dit (Jacques Morin, collection Polder, 1990), Jours de Loire (Interventions à Haute Voix, 1994). Je n'ai recensé que 7 livres imprimés à son actif. Dommage ! Il est à présent reconnu comme spécialiste de la poésie électronique. Autre monde. Daniel Martinez

* * *


mai 25 s.


SOPHIE


Pourquoi la sagesse est bleue :


Scarabée, planète proche, dos de ciel et
ventre du milieu des mondes parlants :


Lorsque le ciel est sage, de la pierre
qu'ils disaient la plus belle chose
et qui passait pour éloigner la misère,
prodigieux de hauteurs entassées,
son immobilité se multiplie
de transparences sereines.


La sagesse est bleue, violette presque
sur ses bords insondables.
Aucune soif ne s'y étanche, repos
qui ne se trouble elle est spectre
uniforme sans visions.


La mer est ressemblante,
de même nulle amplitude.
Elle grésille peut-être, la clarté la
dérange. Jeune encore et tranquille,
mâchant le même galet éloquent,
elle clapote en esprit sur les ocres,
les latérites douloureuses, les calcaires
crissants sous les fouets vifs
du dynamisme.


L'outremer illusionne, fosses abyssales,
poudre aux yeux qui fait les beaux plis
sur les carnations limoneuses.
Pulsation molle comme de part en part
le sang souillé remonte les veines.


Ou alors, imaginaire, plume d'un oiseau
si bleu qu'il retourne au bûcher, oiseau marin
sans doute qui jamais ne se pose,
caravane persane aux yeux clos.


Rien du vivant n'est bleu.

 

Patrick Henri Burgaud

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28/12/2019 | Lien permanent

”Le malheur, mon grand laboureur...” : ”Meidosems”, d'Henri Michaux, éditions Le Point du jour, 31/10/1948, 95 pages, 29

Le 23 février 1948, Henri Michaux perd sa femme Marie-Louise, suite à un accident domestique (au cours d'une séance de repassage, sa robe de chambre en nylon qui prend feu la brûle vive ; elle en meurt un mois après) et il invente alors ce tout dernier peuple imaginaire dans son œuvre, les Meidosems, en manière d'exorcisme. Son recueil paraîtra huit mois après le drame. Nombre de fragments de son livre sont hantés par l'image de la femme aimée défigurée, et par l'impuissance du poète à inverser l'issue fatale : « Meidosem à la face calcinée ». Pour lutter contre l'horreur, il ne reste plus à Henri Michaux qu'à spiritualiser le corps souffrant, avant son passage vers le "Grand Opaque".

« Des ailes sans têtes, sans oiseaux, des ailes pures de tout corps volent vers un ciel solaire, pas encore resplendissant, mais qui lutte fort pour le resplendissement, trouant son chemin dans l'empyrée comme un obus de future félicité. / Silences. Envols. / Ce que ces Meidosems ont tant désiré, enfin ils y sont arrivés. Les voilà ».

 

MICHAUX 16 BLOG.jpg

C'est ici la page 63 (sur 68, au total) du tapuscrit, avec de nombreuses ratures et corrections à l'encre et au crayon, ensemble sur lequel a travaillé directement l'éditeur René Bertelé. Autres temps ! 
La dédicace de Michaux à son éditeur : "A René Bertelé qui a bien voulu ne pas considérer comme négligeables les frêles Meidosems quand ils étaient à peine à l'horizon et prêts à s'y reperdre. Au plus encourageant des amis. H. Michaux".
L'auteur a signé deux fois sur la dernière page.

MEIDOSEMS MICHAUX.jpg

Henri Michaux, l'une des 13 lithographies de Meidosems,
tirées à même la pierre par Desjobert

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18/02/2021 | Lien permanent

”Ecuador - Journal de voyage”, d'Henry Michaux, éd. Gallimard, 2 juillet 1929, 756 exemplaires, 200 pages

Le 27 décembre 1927, Michaux embarque sur le Boskoop, dans le port d'Amsterdam, à destination de Guayaquil (Équateur). Au regard de "l'anticalendrier de la mer", il va noter presque jour après jour les étapes de ce voyage pas comme les autres. Fourbu, il revient au port d'attache le 6 janvier 1929 et confie quelque temps après son tapuscrit à Gaston Gallimard.
Il a déjà écrit "Les rêves et la jambe" (plaquette), "Fables des origines" (éd. du Disque vert), a publié "Qui je fus" à la N.R.F. Voici l'un de ses poèmes de voyage, puisé dans la version originale d'Ecuador, pages 154-155 :

* * *

Samedi 3 novembre en pirogue souffrant et sans doute avec fièvre.


Prêtez-moi de la grandeur,
Prêtez-moi de la grandeur,
Prêtez-moi de la lenteur,
Prêtez-moi de la lenteur,
Prêtez-moi tout,
Et prêtez-vous à moi,
Et prêtez encore
Et tout de même ça ne suffira pas.


Le désespoir est doux,
Doux jusqu'au vomissement.
Et j'ai peur, peur.
Quand la moelle elle-même se met à trembler,
Oh ! j'ai peur, j'ai peur
Je n'y suis plus, je n'y suis presque plus.


Oh, mon ami,
Je m'accroche à ton souvenir.
A ta haute stature,
Je m'accroche mais je tombe,
Je me lâche.
Je n'étais donc pas tellement moi-même qu'on me l'avait dit.
Je vis à la renverse.
Encore un jour ? encore deux ?
Et Iquitos d'ici est encore à 12 jours.


Henry Michaux

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20/02/2021 | Lien permanent

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