24/06/2015
John Keats adapté par Jean Rousselot opus III : "le choeur des nymphes de la mer"
Ecrit un soir d'été
Les cloches égrenant leurs sons mélancoliques
Ont appelé les gens à se plonger encore
Dans la prière, la tristesse, le remords
Et de quelque sermon l'affreuse rhétorique
Il est sûr que l'esprit de l'homme est garrotté
Par quelque obscure incantation : on voit chacun
S'arracher au foyer, aux doux airs lydiens
Aux entretiens avec les maîtres consacrés
Cloches toujours, cloches encore ! Il m'en viendrait
Un frisson sépulcral si je n'étais certain
Qu'elles vont mourir comme une lampe s'éteint
Que c'est leur dernier souffle et leur ultime plainte
Avant qu'on les oublie et qu'à présent vont croître
Beaucoup de fraîches fleurs et d'immortelles gloires.
* * *
Sur la mer
Elle entretient autour des rives désolées
Un murmure éternel et sa houle musclée
Forge deux fois dix mille grottes, que le charme
D'Hécate rend ensuite à leur sombre rumeur
Et souvent on la voit de si tranquille humeur
Qu'à peine en plusieurs jours la plus infime écaille
S'écartera du lieu où voulurent qu'elle aille
Les derniers vents qui par ici furent lâchés.
Ô vous dont les yeux sont abîmés et lassés
Donnez-leur en festin l'immensité des mers !
Ô vous par les grossiers tumultes assourdis,
Ecoeurés par l'excès des fades mélodies,
Méditez à l'orée d'une antique caverne :
Vous entendrez le choeur des nymphes de la mer.
John Keats, trad. Jean Rousselot
01:07 Publié dans Jean Rousselot, Traducteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
23/06/2015
John Keats adapté par Jean Rousselot pour "Diérèse" opus II
Qui me dira pourquoi j'ai ri la nuit dernière ?
Ni Dieu ni le démon aux répliques sévères
Du Ciel ou de l'Enfer ne daigne me répondre.
Alors vers mon coeur d'homme aussitôt je me tourne :
Coeur, tu es comme moi triste et seul en ce monde.
Dis, pourquoi ai-je ri ? Ô mortelle douleur !
Ô ténèbres, ténèbres ! Devrai-je toujours
Interroger en vain Ciel, Enfer et mon coeur ?
Pourquoi donc ai-je ri ? Je sais le bail de l'être
Et prolonger par fantaisie ses joies suprêmes,
Et pourtant je voudrais mourir sur l'heure, et voir
Les pompeux pavillons terrestres en charpie.
Plus superbe est la mort que Beauté, Force et Gloire.
Elle est la récompense hautaine de la vie.
* * *
Ce que dit la grive
Ô toi qui as connu l'hivernal aquilon,
Vu les nuées de neige à la brume accrochées
Et le front noir de l'orme aux étoiles glacées,
Le printemps te sera le temps de la moisson.
Ô toi dont le seul livre a été la lumière
Des ténèbres suprêmes dont tu t'es nourri,
Déserté par Phébus, au long de longues nuits,
Triple matin te sera l'aube printanière.
Ne te tourmente point en quête du Savoir.
Je n'en ai pas, mais s'il fait beau jaillit mon chant.
Ne te tourmente point en quête du Savoir.
Je n'en ai pas, mais chaque soir m'est attentif.
Qui craint l'oisiveté ne peut être un oisif
Et tel veille qui croit être endormi pourtant.
John Keats, trad. Jean Rousselot
14:12 Publié dans Jean Rousselot, Traducteurs | Lien permanent | Commentaires (0)
21/06/2015
Point de césure
POINT DE CESURE
« Monter et descendre, dans les mots même,
c'est la vie du poète."
Gaston Bachelard
1) L'APPARAT DE LA MEMOIRE
La colline s’arrête où le soleil cache le chemin
Les mâts inscrits sur la fenêtre disent l’eau sa rumeur
Un long travelling où l’ocre du mur danse
Dans un tremblement de vie
(la vérité de la pierre ? un éclair une fable)
les eaux basses de bronze et la carte dépliée
Tout est là qui bourdonne
jusqu’aux rambardes de la terrasse
se reforme à mesure
suit l’innombrable déclinaison
de l’univers en quête
loin de la surface là
sous la peau du monde cette impression première
d’ondes passant du bleu au violet pâle
à deux pas des touffes d’œillets sauvages
Tout se réaccomplit se dissout se résorbe
qui pénètre le texte froisse les bourgeons invente la vie
et se présente à moi comme un possible entre mille
dans les mouvements indivis du fond
glissent les mots dans l’inclinaison de la tête
apparaissent disparaissent
et les grains se mélangent
en une palette sonore
que l’oreille encode telle une partition
la tête encore tournée vers celle qui s’éloigne
chevelure longue elle ondule se perd
un peu de brume à cette heure sur les cyprès tisse
des fils souples aux confins du seul horizon
et sous la chape liquide le bruit des vagues
esquisse l’infime rumeur d’un au-delà du temps
* *
2) LA LANGUE DES VENTS
Un été de plus rues flottantes sens en éveil
avec la brusque envolée d’une nuée d’étourneaux
en flèches d’air çà et là
nous retrouver hors-corps
quand sous les deux bouches de la fontaine
glisse le vécu le léger roman que l’on s’en fait
et la tête rêve hors de sa sphère
le cercle des émotions coagule
devinées à la couleur de nos mains
prises dans la faille ou affleure la réponse
Un été de plus un écho en suspens dans la venelle
mais le jour de toutes parts déjà
les méandres de la rivière
portent le reflet des tubes de couleurs
oubliés la veille sur la table
La grande saison des voyelles les blés lourds
le chant qu’ils marquent de leurs manières d’être :
comme jamais la terre s’est avancée sous ses gonds légers
l’évidence aveugle la lettre du désir
dans l’échancrure des collines imaginées
Une basse continue grave des ombres éloignées
ou peut-être ici-là sur le lit bosselé des ans
l’infini comme un fruit à ouvrir réouvrir
D’avoir tourné en elle sa flamme
la bouche mord sa propre chair
le doux acide des yeux
file la mémoire d’un éternel présent
elle délie les pensées de peu
et chante l’arrivée de l’équipage solaire
Chimères propices y foisonnent
la rosée et le miroir
sur la rétine de l’esprit
semé d’étoiles et de questions
la main sans trace va comme les doigts dans leur course
Elle flotte sur la glotte s’accompagne d’espace
elle écoute le cœur roux dans l’ombre tigrée
l’instant pur et parfait de la métamorphose
Daniel Martinez
10:11 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)