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06/06/2015

"Un dimanche après-midi dans la tête", de Jean-Michel Maulpoix, éd. Mercure de France

Où se situe la frontière entre une certaine écriture narrative poétique et la poésie en prose ? ce vieux débat, des écrivains comme Christian Bobin ou Jean-Claude Pirotte l'ont résolu à leur manière, chacun dans un registre singulier. Jean-Michel Maulpoix, lui, qu'il use de l'une ou de l'autre de ces formes, est et reste avant tout poète, un poète dont l'oeuvre déjà importante mêle au moyen d'une écriture sensible, musicale, d'un lyrisme admirablement contenu, poésie et prose.

Dans Un dimanche après-midi dans la tête, version recomposée d'un livre paru en 1984, Jean-Michel Maulpoix nous apporte la preuve que, si le poète choisit une forme d'écriture plus proche de la nouvelle brève que du poème en prose, c'est encore de poésie qu'il s'agit, et de la plus belle facture.

On est loin dans ces pages du procédé prosodique qu'un Christian Bobin, sans doute victime de son succès, nous livre désormais avec une régularité prolixe. Ici, chaque vocable, chaque image, chaque pulsation d'une parole en étroite osmose avec le silence qui l'enchâsse obéit à une nécessité interne, l'auteur se méfiant comme de la peste de toute effusion lyrique.

Dans ce livre, une mémoire, remontant à la prime enfance, se déploie au rebours du temps traversé, où, selon la propre expression de l'auteur : "L'écriture pousse la porte des chambres du passé et invite tour à tour des silhouettes autrefois aimées, à présent anonymes, à partager son repas d'encre et de papier."

Dans ces pages innervées par un regard très proustien - notamment dans le texte évoquant la mort de la grand-mère : "Nous pleurons les morceaux invisibles de notre monde que la défunte emporte avec elle (...) Ces pas que je fais dans l'herbe, le dimanche matin, avant de retrouver un long après-midi de pages blanches, butent de plus en plus souvent contre l'évidence soudaine de la mort. J'accepte le patient travail d'écrire avec une tristesse résignée, de jour en jour plus familier de la fatalité, plus décharné déjà : l'encre est à tout jamais mon dernier territoire." - ; dans ces pages, et c'est l'auteur l'auteur lui-même qui l'écrit dans l'ultime phrase du livre : "Quelque chose se passe à quoi l'on se défend de croire : il serait dommage en cet instant de se laisser gagner par trop de paroles et de gâcher cette chance de verser un peu d'encre sur beaucoup de silence."

Que dire d'autre sinon que Jean-Michel Maulpoix est un de nos poètes importants et assurément l'un des plus originaux d'aujourd'hui.

                                                                      Bernard Mazo

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05/06/2015

Louis-François Delisse

DELISSE 6.jpg

Louis-François Delisse, par Pacôme Yerma

 

Parfois, ses yeux se plissent, laissant deviner une douce sévérité et des préoccupations mystérieuses. Pressentiments, réminiscences ? Ces mystères sont sans patrie ni condition sociale. Néanmoins, quelque chose en lui d'obstinément russe.

Sa vision, en ce matin du 5 juin 2015 :

C'est avec des poignées de couleurs des myriades de poissons soulevés de mer.
Les barques se regroupent en un docile troupeau au petit matin après des transhumances nocturnes vers les crêtes de mer.
Le port est comme un enclos sécurisant sous un éternel été qui s'insère l'hiver dans les natures mortes, le portrait des mains siennes qui ont tant vécu et des poissons géants...

* *

Louis-François Delisse a confié des poèmes inédits à Diérèse, en ses numéros 27 & 28, voici quelques pages extraites du n° 28 :

Rubans du marin des sables (Maïné Soroa)

                 Jeanne

 10.

Corps l'épave du marin
(calciné)
une fleur noie le marin
la rame rêve qui coule

 

11.

la fleur fut privée de la fleur
la marine du marin
- sur la lame
le sourire sèche

 

12.

Marin rame
sur l'osier des Pléïades
l'agneau de la lune
lui lèche les mains

 

13.

Récif de la fleur
vient la vague d'une étoile

embruns du ciel
la marée montante d'un enfant

 

Hélé d'étoiles
serrait ses seins
sur l'étoile sensible

s'aimant aimait
sa mère la mort aux mares

nu avec l'ardeur
de l'étoile sur les ongles

l'étincelant bruit du ciel
à la cime des dunes brûlées
le hélait

 

14.

Au petit bruit de tes seins
m'a donné le ciel tendu

tu es l'aube entre les nids
incendiés d'étoiles

une vie meut tes bras
(les brûlots de tes cils)
sur la natte de roseaux

héron pourpré
au taillis d'épines
fléché de ciel
me vient ton corps

 

15.

marin après la marine
une dune bouge
la mort avance et recule

           Louis-François Delisse

04/06/2015

Shirley Carcassonne opus 2

S 2.jpg

Shirley Carcassonne, dessin à la plume, 2010

 

Roulée dans la paume de la main comme un reste de sommeil que l'on vient juste de quitter, la pierre de la mélancolie : à désagréger toute orientation générale, dans le champ lumineux le plus étendu et le plus intense de la feuille de papier qui se noue, se dénoue sous les doigts de la Belle offerte aux quatre vents de l'esprit qui souffle jusqu'à l'instant présent, celui même où elle prononça ces mots, extraits d'un texte apocryphe du livre de Daniel :
"Je ne vois que péril et qu'angoisse de toutes parts. Ou si je fais ce que vous désirez, je suis morte, et si je ne le fais point, je n'échapperai pas de vos mains."
Si la vie se veut aventure, elle est aussi vaste chantage. Chevelure happée, Suzanne ici tâche de retenir sa robe autour des hanches, dans un impressionnant mouvement giratoire où sa conscience follement oscille jusqu'au trou noir. DM

14:18 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)