10/02/2016
Alain Bosquet opus 3
Ce poème d'Alain Bosquet, extrait de Quel royaume oublié, édité au Mercure de France en 1955 :
De la poésie
Je vous présente
ma poésie : c'est une île qui vole
de livre en livre
à la recherche
de sa page natale,
puis s'arrête chez moi, les deux ailes blessées,
pour ses repas de chair et de paroles froides.
J'ai payé cher le voisinage du poème !
Mes meilleurs mots se couchent dans l'ortie ;
mes plus vertes syllabes rêvent,
et c'est d'un silence jeune comme elles.
Offrez-moi l'horizon qui n'ose plus
traverser un seul livre à la nage.
Je vous donne en retour ce sonnet :
c'est là que vivent les oiseaux
signés par l'océan ;
puis ces hautes consonnes
d'où l'on observe les tumeurs
au cerveau des étoiles.
Fabricants d'équateurs,
à quel client, à quel nomade
qui ne sait lire ni aimer,
avez-vous revendu mon poème,
ce fauve souriant qui à chaque syllabe
me sautait à la gorge ?
Mon langage est en berne
depuis que mes syllabes
se sont sauvées en emportant,
comme on emporte des cadeaux de noces,
toutes mes aubes de rechange.
Mon poème, j'ai beau te congédier
comme un valet qui depuis vingt-cinq ans
vole mes neiges manuscrites ;
j'ai beau te promener en laisse
comme un caniche
qui craint de piétiner l'aurore ;
j'ai beau te caresser
un équateur autour du cou
qui dévore une à une mes autres images,
à chaque souffle je recommence,
à chaque souffle tu deviens mon épitaphe.
Il y a eu duel
entre les mots et leurs syllabes,
puis mise à mort des poèmes trop riches.
Le langage a saigné,
la dernière voyelle s'est rendue.
Déjà on conjuguait les grands reptiles.
Voici mon testament :
la panthère qui suit mon alphabet
devra le dévorer, s'il se retourne.
Alain Bosquet
12:27 Publié dans Alain Bosquet | Lien permanent | Commentaires (0)
08/02/2016
Un poème d'Hervé Micolet
Demain se lèvera pour le poète
une aube spirituelle,
le temps des yeux caves
devant les restes de la fête.
Dégrisé, il chantera
avec des cadences bancales
adorations et dégoûts -
deux faces d'une même pièce
que l'on jetterait
scintillante dans le soleil
pour refermer sur elle,
rageusement, un poing.
Hervé Micolet
14:35 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)
05/02/2016
Le premier livre de Christian Bobin : "Le feu des chambres"
Seul le titre est en couleur (rouge), les noirs et blancs paraphent l'espace, l'écriture manuscrite ajoute au caractère presque confidentiel de l'ouvrage. L'élément feu est là, qui jamais ne vire à la cendre. En feuillets, ce recueil totalise 24 pages, la première comme la quatrième de couverture porte-feuille sont entées de deux burins de Laurent Debut qui a dirigé les éditions Brandes :
L'oeil écoute, des plus attentifs. Et dans la chambre élue les mots paraissent, un monde en soi, renouvelé...
C'est une histoire simple, elle touche à cette descente dans la nuit de l'encre où la lecture, qui porte en gésine l'écriture, silencieusement, se compose ; et nous perd en ses chemins de fortune. En voici les toutes premières lignes :
... Le livre se termine, est-ce la fin du voyage ?, certes, non. Rayonnant, il est devenu notre seconde peau
16:11 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)