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22/08/2017

"Les Ravisseurs", d'Alain Veinstein, éditions Grasset, 2015

Jean-Baptiste Sèbe nous parle aujourd'hui du dernier opus d'Alain Veinstein, de l'univers des livres :

Le titre de l'ouvrage dit son projet. Les livres nous captivent. Nous en sommes volontairement prisonniers et cette captivité suscite le ravissement, le plaisir esthétique de la première lecture qui associe émotion et tremblement d'une découverte.
En nous emmenant dans sa bibliothèque, Alain Veinstein partage son itinéraire de lecteur et d'écrivain, même si ce dernier semble être second pour laisser davantage de place au plaisir de la lecture d'auteurs qui sont d'abord des amis. On retrouve avec bonheur de belles pages sur Yves Bonnefoy pour qui, d'après Veinstein, "l'expérience de l'Autre est sans doute le ressort de cette poésie". Pascal Quignard, Jacqueline Risset (traductrice de Dante) ou encore Louis-René des Forêts (traducteur de Gerard Manley Hopkins) et Antonio Tabucchi côtoient des auteurs moins connus.
Chaque chapitre constitue une forme d'essai, loin des conventions et des théories. La lecture d'un écrivain ou d'un poète procure un sentiment d'étrangeté qui renvoie à l'usage des mots. "J'ai voulu dire que j'étais le journalier d'une langue, qu'au jour le jour je travaillais [avec] les mots de l'autre, sans avenir du coté de la possession, maître de rien à jamais, pas même de ma force de travail...".
Le recueil se termine sur une lettre lue en soutien à Florence Aubenas qui réinterroge la place des mots pour dire l'absence et le manque. Les ravisseurs d'Aubenas et de son guide n'avaient rien à voir avec le titre mais le silence aurait été coupable.

 

Jean-Baptiste Sèbe

11:09 Publié dans Critiques | Lien permanent | Commentaires (0)

19/08/2017

"Paris", imprimé à Prague, éd. Aventinum, 1927

Dans ce beau livre rare, dans une édition originale imprimée à 120 exemplaires numérotés sur Madagascar, intitulé "Paris", le peintre Joseph Sima s'est illustré si je puis dire par 18 eaux-fortes rehaussées à l'aquarelle : en voici une, en regard d'un poème d'André Breton traduit en tchèque par Jaroslav Seifert. On y peut lire d'autres poètes traduits aussi en tchèque, comme Lautréamont, Jarry, Proust, Cendrars, Tzara, Rimbaud...

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L'aigrette

Si seulement il faisait du soleil cette nuit
Si dans le fond de l'Opéra deux seins miroitants et clairs
Composaient pour le mot amour la plus merveilleuse lettrine vivante
Si le pavé de bois s'entrouvrait sur la cime des montagnes
Si l'hermine regardait d'un air suppliant
Le prêtre à bandeaux rouges
Qui revient du bagne en comptant les voitures fermées
Si l'écho luxueux des rivières que je tourmente
Ne jetait que mon corps aux herbes de Paris
Que ne grêle-t-il à l'intérieur des magasins de bijouterie
Au moins le printemps ne me ferait plus peur
Si seulement j'étais une racine de l'arbre du ciel
Enfin le bien dans la canne à sucre de l'air
Si l'on faisait la courte échelle aux femmes
Que vois-tu belle silencieuse
Sous l'arc de triomphe du Carrousel
Si le plaisir dirigeait sous l'aspect d'une passante éternelle
Las Chambres n'étant plus sillonnées que par l’œillade violette des promenoirs
Que ne donnerais-je pour qu'un bras de la Seine se glissât sous le Matin
Qui est de toute façon perdu
Je ne suis pas résigné non plus aux salles caressantes
Où sonne le téléphone des amendes du soir
En partant j'ai mis le feu à une mèche de cheveux qui est celle d'une bombe
Et la mèche de cheveux creuse un tunnel sous Paris
Si seulement mon train entrait dans ce tunnel

André Breton

17:32 Publié dans Arts, Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

18/08/2017

Ecrire, lire et penser : pour Michel Deguy

ÉCRIRE

Ce n'est pas un mystère. Penser c'est parler ; parler, c'est écrire. Il n'y a rien "derrière les mots" - sinon d'autres mots. Pas plus que derrière la tête, ou derrière la pensée, ou derrière le monde. Il n'y a rien derrière. Il y a quelque chose devant les mots, qu'on peut appeler le monde, par exemple. Le langage tient les choses à distance en se rapportant à elles. Il s'agit de penser les mots avec d'autres mots, différant le silence. Faire attention aux phrases dans les phrases, avec regard oblique sur les choses comme si elles surveillaient l'opération. Ce qu'avait compris, et n'aura pas cessé de dire, Ponge. Ce que chacun peut faire. Cogito, scribo, sum.

LIRE

Je lis comme on se douche ; pour me tremper, me désaltérer, abreuver, dé-sécher. Mais l'eau glisse, passe, et sèche. Je me retrouve sans mémoire, sans savoir, comme un vieil "innocent", honteux de nudité. Je ne "retiens" pas.

PENSER

La pensée est ce qui supporte les conditions les plus dures, les plus étrangères à la pensée : le néant. Les plus hostiles, les plus noires, les plus adverses à la pensée : nuit, néant, non-être. C'est le milieu de la pensée.

 

Michel Deguy

 

PS : Imaginer qu'il n'y a rien derrière les mots est justement une vue de l'esprit. Car tout ce qui se donne à lire directement est pauvre par essence. Derrière et devant les mots subsiste une zone indéchiffrée que les lecteurs recomposent de leur mieux à mesure. Le passé est porteur d'avenir et la modernité ne se définit que par rapport à lui. D'où la surprise de découvrir que ce que l'on voudrait neuf n'est que la mise à jour de ce que l'on porte en soi de plus enfoui, de moins concret. A savoir que le concret, autophage, phagocyte la pensée. La pensée est dès lors ce qui défragmente le concret, toutes affaires cessantes, pour lui donner une dimension qui est la sienne propre. DM

22:49 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)