241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

30/08/2017

Jacques Kober (1925-2015)

Ce bleu s’appelle bénir frémir.

 

Vue de votre balcon, pavé d’ardoise, où plonge la mer
que tête le bleu d’un biberon de sardines.
La mer, qui ne sera jamais couvercle mais l’aventure
boitée sur les gros galets comme des talons
avec défense de ne pas la regarder pieds nus.
Tous les pas d’Italie sont permis sur le balcon de la nuit,
la courbe d’horizon n’est pas à soupirer puisque
défenestrée la mer est gravide d’alléluias.
Aucune vague du rivage n’est distante à crawler la dentelle.
Liliane caresse le doigt du bleu ouvert sur le buisson du fleuve,
son balcon de contact n’a pas d’économie.
Réparatrice de la lune pour éclairer le bleu,
elle a bougé son clair et négligé que le bleu soit laqué.
Bonté de ce studio, à bénir
avec du bleu frémir.

                              Jacques Kober

                                          2012.

Surréaliste de la première heure, Jacques Kober a participé à plusieurs reprises à Diérèse. Ami de Jean Rousselot, il se méfiait plus que tout des positions dogmatiques d'un Noël Arnaud - et eut maille à partir avec lui dans les colonnes de Diérèse (son numéro 7, précisément). Il s'est intéressé à la revue jusqu'à sa fin, revue qu'il appréciait pour sa liberté de ton, son refus du manichéisme, son rejet du formalisme en poésie (incluant lettristes, objectivistes et tutti quanti) et son indifférence envers les acteurs officiels de la culture.

... Je me dois par ailleurs de vous informer que les 300 pages de Diérèse opus 71 sont quasiment bouclées. Je vais donc m'octroyer un peu de repos et reprendrai ce dimanche, notamment pour relire le tout (ce n'est pas une mince affaire !), mettre au net le sommaire, la table des illustrations et le montage de la couverture : la première étant le fait de Pacôme Yerma, la quatrième, de Daniel Abel.
Ce numéro fera date, avant le 72, qui marquera les vingt ans de Diérèse : le 21 mars 2018 (loin des donneurs de leçons et des enrégimenteurs de tous ordres). Merci aux poètes, aux plasticiens qui ont permis cette belle aventure. Amitiés partagées, Daniel Martinez

                                     

22:00 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

29/08/2017

Le féminicide, une spécificité humaine

Question a été posée à Françoise Héritier, anthropologue, professeure honoraire au Collège de France - que je remercie pour ses lumières en ces temps où la bonne conscience oblige : "En quoi les comportements meurtriers de l'homme se distinguent-ils de ceux des animaux ?" :

L'homme est la seule espèce où les mâles tuent massivement les femelles de leur espèce*. Les animaux connaissent, certes, des hiérarchies et se livrent à des combats, mais rarement entre mâles et femelles, et ces derniers ne battent pas délibérément ni ne tuent les femelles de leur groupe.

C'est là, me semble-t-il, un point important : il signifie que le comportement d'agression des hommes à l'égard des femmes dans l'espèce humaine n'est pas - contrairement à ce que le sens commun croit - un effet de la nature animale et féroce de l'homme, de sa bestialité en quelque sorte. Mais au contraire une conséquence de ce qui fait sa différence, qu'on appelle conscience, intelligence ou culture.
C'est parce que l'humain érige des systèmes de pensée intelligibles et transmissibles qu'il a construit celui validant la violence jusqu'au meurtre à l'égal des femelles de son espèce, et qu'il continue à le légitimer et le transmettre. L'humain est bien doué de raison, mais c'est justement cette capacité qui le conduit à avoir un comportement déraisonnable ! Car si les femelles ne sont pas tuées par leurs congénères dans les autres espèces, c'est vraisemblablement en raison du "gaspillage" en termes d'évolution que ce comportement implique.

___________
* Selon l'ONU, une femme sur deux victime d'homicide dans le monde l'a été des suites de violences infligées par son partenaire ou un membre masculin de sa famille, contre seulement un homme sur vingt mort pour les mêmes raisons.

 

------------------------faites passer je vous prie---------------------

28/08/2017

Pierre Alechinsky, opus 3

Alechinsky fit le chemin inverse de celui de Dotremont. Son itinéraire artistique le conduisit de Cobra au surréalisme, dont il se sentait proche à bien des égards. En 1965, André Breton l’invite à participer à la Xe Exposition internationale du surréalisme. « L’Ecart absolu », avec Roberto Matta, Marcel Duchamp, Toyen, Enrico Baj, Wifredo Lam… C’est l’une des qualités d’Alechinsky de ne pas se complaire dans des positionnements « sectaires ». Il exposera donc son célèbre Central Park aux côtés des surréalistes dont Cobra s’était pourtant fortement démarqué.
Mais Alechinsky n’a pas bu qu’aux fontaines du surréalisme et de Cobra, il est également le complice de beaucoup de grands auteurs de notre temps, il participe à l’élaboration de nombreux ouvrages de bibliophilie avec notamment Yves Bonnefoy, Michel Butor, Jean Tardieu, Ionesco, Gérard Macé, Cioran, Pierre Michon ou encore Salah Stétié. Il illustre aussi des livres d’Apollinaire, Cendrars, Jarry et Balzac.
En 1967, il publie chez Losfeld Le Test du titre, 6 planches et 61 titreurs d’élite, rappelant les jeux surréalistes auxquels participaient en leur temps les membres du groupe réunis autour d’André Breton : à partir de six eaux-fortes d’Alechinsky, plusieurs artistes proposent des titres confrontant ainsi des interprétations fort différentes. Par exemple, une même image peut être nommée « Es-tu là ? » par Wifredo Lam, « L’Horreur du vide » par Philippe Soupault, « Placards pour un dragon écolier » par Alain Jouffroy et « We are Capitalists » par Walasse Ting ! Alechinsky s’est beaucoup interrogé sur les relations qu’entretiennent le tableau et son titre :

« Voir à distance, ou de près (c’est selon), offrir à une image muette un prénom, une citation, une phrase, une information, une rétention, une ironie, une tirade, un hommage, un poème ou une gifle, le titreur connaît le travail. Mais le langage dépasse la pensée, se tient en retrait, joue en dessous, s’adapte sur les côtés, tombe de haut si rarement juste sur les choses, qu’il y a peu de raisons pour qu’une image neuve se love sans avatars dans des mots qui ont déjà servi à tous. Le titre est une greffe, un nœud dans un mouchoir psychologique pour ne pas oublier de penser à… »

Cette « greffe », ce « nœud dans un mouchoir » n’exclut ni l’humour, ni le jeu de mots, on pense par exemple aux œuvres intitulées Le Complexe du sphinx (1967), Mon mari sans gain (1980), On est prié de garder les siens en liesse (1999)…
Lorsqu’on observe les toiles peintes au cours des années 1980, telles que De toutes parts (1982), Bourrasque (1983) ou La Mer Noire (1988-1990), on est frappé de voir combien l’encre et l’acrylique forment à la fois un contraste saisissant et une unité forte. Au centre du tableau, la nuit de l’encre, immobile, ténébreuse, aspire dangereusement le regard tandis que tout autour circulent les couleurs, créant un flux ininterrompu de lumière. La clarté, extirpée d’un chaos d’encre et de nuit, apparaît comme une aube apaisante, salvatrice, nous libérant aussitôt des gouffres dans lesquels nous sommes toujours si prompts à tomber. Ces œuvres inquiètent et apaisent tout à la fois, en un incessant mouvement de retour.
Alechinsky travaille également à partir de supports pour le moins insolites. En 1981, il expose à Paris, Galerie Maeght, des encres « sur cartes de navigation », puis en 1984 à l’abbaye de Sénanque, des encres « sur cartes de navigation aérienne ». C’est dire si les vieilles cartes s’avèrent propices à la « rêverie de l’encrier et du pinceau » :
« Observé à l’altitude de mes yeux, aucun rectangle de vélin vierge ne m’inclinera davantage à débusquer l’image – l’oniromancie ? – comme une carte déployée sur ma table basse. Leurs bordures, l’inconnu issu des lèvres d’une montagne, le mystère des taches que sont les grandes agglomérations sur la peau des pays s’y tiennent à découvert. A pied d’œuvre. »
Enfin, Pierre Alechinsky fut l’un des premiers à s’intéresser aux logogrammes de Christian Dotremont, tracés à l’encre de Chine, dont il donne une excellente définition : « Manuscrit de premier jet où contenu et contenant – imagination verbale, mais imagination graphique aussi – s’entr’inventent, allant à une aventure littéraire et plastique quasi indissociable. » Il organise en 1972 la première exposition des logogrammes de Christian Dotremont à la Galerie de France, puis l’exposition « Dotremont, peintre de l’écriture » au centre Wallonie-Bruxelles dix ans plus tard. Alechinsky aime « lire un tableau comme un graphologue regarde une écriture », d’où son engouement pour le travail de Christian Dotremont, qui se propose d’ « écrire les mots comme ils bougent ». Christian Dotremont et Pierre Alechinsky échangeront près de 500 lettres jusqu’à la disparition de Dotremont en 1979. On doit à Pierre Alechinsky d’avoir perpétué la mémoire de son ami en publiant chez Galilée des brouillons inédits de textes laissés en suspens intitulés Dotremont et Cobra-forêt, qui retracent les grandes lignes de l’aventure de Cobra.

 

Jean-Christophe Ribeyre

DANIEL 6 BLOG.jpg

Yellow the sun shine, Daniel Martinez