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08/11/2019

Denis Castellas expose à New York

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Denis Castellas
11 Décembre 2019 - 18 Janvier 2020

New York



Informations Pratiques

Galerie Ceysson & Bénétière
956 Madison Avenue 10021 New York

11:02 Publié dans Arts | Lien permanent | Commentaires (0)

07/11/2019

Les Oeuvres complètes de Dostoïevski, éditées chez Actes Sud

Christophe Bataille nous parle aujourd'hui du travail de traducteur d'André Markowicz :

Au téléphone, la voix est claire, fragile. Un enfant. Un air funambule, une petite voix qui court. Et tout d'un coup l'homme a son âge et sa voix, c'est-à-dire tout juste cinquante-cinq ans. Il se dépenaille, il perd la barbe qu'on lui prêtait, son corps immense, ses mains prêtes à serrer. Tout un pittoresque fuit. Parlant au traducteur déjà célèbre, on se sent dialoguer avec l'un des écrivains russes qu'il a traduit, Dostoïevski l'âme vive.

En 1990, André Markowicz s'est lancé dans un projet infernal : traduire tout Dostoïevski. Markowicz, qui n'a parlé que russe jusqu'à ses quatre ans, le sait mieux que personne : les Français ne lisent pas Dostoïevski. Sa langue heurtée, véhémente, barbare, leur échappe. Ils lisent Flaubert. Un Fedor Mikhaïlovitch sagement reprisé par un siècle de traductions, tissu à fleurs qui enrobe la chair noire des nihilistes, semelles propres et cervelle claire. Dans ce Dostoïevski d'avant, les roubles qui flambent par millions chez Natassia Filippovna sont bien fragiles - une monnaie de soie dans une cheminée haussmannienne ...

Artificier des lumières, Markowicz décorsète Dostoïevski, lui rend sa volonté, son inélégance, son désordre. Jamais on n'avait dévoilé ainsi le souffle - ce qui reste du corps après la mort du style. Dans ce Dostoïevski moderne, on bégaie, les mots transpirent, halètent, les phrases accouchent d'elles-mêmes... Cette langue de l'Est cherche d'abord l'émotion. Elle brise la syntaxe : elle épuise l'idée même d'écriture. Dostoïevski vous prend par le collet et ne vous lâche pas. Chatov discourt ; sa femme accouche ; Stavroguine viole une enfant ; l'Idiot avance tel le Christ, dans un monde anéanti... Vous qui cherchez le confort, passez votre chemin !

Face au maelström, Markowicz a sa méthode. Il élabore un texte à partir de l'édition russe de référence. Puis il fait lire cette première traduction par deux femmes. Sa mère, Daredjan Levis, née en 1933 dans l'exil sibérien, parle un français lointain, mais elle sait le russe. C'est elle qui vérifie la justesse, l'intenable proximité, la transmission des origines. Françoise Morvan, la compagne de Markowicz, écrivain et traductrice elle aussi, joue la garantie finale : éprouver le souffle et la clarté, quand on ne parle pas un mot de russe...

De cet étrange tamis du cœur où se mêlent la passion, l'histoire, Leningrad et Saint-Pétersbourg, André Markowicz tire son Dostoïevski. En 2001, l'aventure a pris fin, avec la traduction des Frères Karamazov. Pourquoi Dostoïevski ? Parce que c'est long, dit-il... Markowicz aura ainsi traduit, bon gré mal gré, petits et grands romans, le Rêve de l'oncle, les Démons, Netotchka Nezvanova, le Joueur... mais jamais les textes de l'homme : carnets, articles, discours, journal, ce Dostoïevski-là n'intéresse pas Markowicz.

Et s'il fallait recommencer, il n'hésiterait pas. D'ailleurs, toute traduction n'est-elle pas à reprendre ? La langue évolue, les mœurs aussi, et l'inépuisable subjectivité de l'intercesseur... Enfant russe parmi les Français, confiant dans ses forces et dans la vérité de son chant, Markowicz ébranle le sage édifice d'autrefois. Il agace. S'explique. Travaille pour le théâtre. Cherche peut-être à quitter Dostoïevski où l'enferment la polémique et sans doute l'admiration. Traduit Gogol, traduit Tchekhov, des poètes contemporains, tant d'autres, traduit même Shakespeare et songe à Dante. Le russe, puis l'anglais, puis l'italien : la roue tourne.

C'est l'histoire d'une course folle. C'est un héros de Dostoïevski qui traduit tout ce qu'il aime.

Christophe Bataille

06/11/2019

Une lettre du romancier Fiodor Dostoïevski (au sujet de ses démêlés avec l'éditeur Stellovski)

17 juin 1866, Moscou

Très estimée Anna Vassilievna,

Ne m'en veuillez pas d'avoir tant tardé à vous répondre (1). Tous ces temps derniers, j'ai été dans l'indécision et j'ignorais moi-même ce qu'il en serait de moi pour l'été. Si je n'ai pas répondu aussitôt à votre lettre, c'est que je pensais vous voir très bientôt, sur le chemin de l'étranger. Mais à présent, bien que j'aie obtenu la permission de partir, mes affaires ont pris une tournure telle que je ne le puis plus, du moins pas tout de suite. Il me faut absolument régler une affaire à Moscou (2). Bref, je ne pouvais rien vous écrire de définitif et de sûr, aussi n'ai-je point répondu. Je ne suis à Moscou que pour trois ou quatre jours et je ne sais absolument pas quand je serai libre. Et surtout, outre mon roman qu'il faut achever (et dont j'ai par-dessus la tête), j'ai tant de travail que je n'ai pas la moindre idée de comment j'en viendrai à bout. Or, il s'agit d'affaires importantes pour moi, mon avenir en dépend. Au demeurant, imaginez où j'en suis (une situation des plus comiques et très caractéristique). L'an passé, mes conditions financières étaient si mauvaises que j'ai été contraint de vendre les droits de tout ce que j'avais écrit précédemment, pour une seule édition, à un spéculateur, Stellovski, un assez sale bonhomme et éditeur ignare (3). Mais notre contrat comportait un article aux termes duquel je lui promettais de préparer pour son édition un roman d'au moins 12 pages d'imprimerie et, si je ne les lui livrais pas au 1er novembre 1866 (dernier délai), libre à lui, Stellovski, d'éditer pour rien, durant les neuf années suivantes et à sa guise, tout ce que j'écrirai, sans aucune rétribution pour moi. Bref, cet article du contrat ressemblait exactement à ceux des contrats de location d'appartements à Pétersbourg, dans lesquels le propriétaire exige toujours, au cas où un incendie surviendrait chez son locataire, que ce dernier assume tous les frais du sinistre et, au besoin, reconstruise la maison de neuf. Tout le monde signe des contrats de ce genre, en riant bien sûr, j'ai donc signé moi aussi. Le 1er novembre est dans quatre mois : je pensais m'affranchir de Stellovski par de l'argent, en payant le dédit, mais il ne veut pas. Je lui demande pour trois mois de délai, il refuse et me dit carrément : que, comme il est persuadé que je n'ai plus le temps, à présent, d'écrire un roman de douze feuilles, d'autant que je n'ai encore écrit que la moitié à peine pour le Messager russe, il a plus avantage à ne pas accepter un délai ni un dédit, car alors, tout ce que j'écrirai ensuite sera pour lui.

Je veux faire une chose excentrique et inouïe : écrire en quatre mois 30 feuilles d'imprimerie, pour deux romans différents (4) dont j'écrirai l'un le matin, l'autre le soir, et terminer à temps. Savez-vous, ma bonne Anna Vassilievna, que, jusqu'à présent, ce genre de choses excentriques et extraordinaires me plaît assez. Je ne vaux rien pour rentrer dans le rang des gens bien installés. Pardonnez-moi, je me hausse du col ! Mais que me reste-t-il à faire, sinon me vanter un peu ? Le reste, justement, manque par trop d'attrait. Cependant, où en est la littérature ? Je suis convaincu que pas un de nos littérateurs, anciens ou vivants, n'a jamais écrit dans les conditions qui sont constamment les miennes ; Tourgueniev mourrait rien que d'y songer. Mais si vous saviez à quel point il est douloureux de gâcher une idée qui a germé en vous, vous a transporté d'enthousiasme, dont vous savez vous-même qu'elle est bonne... et être contraint de la gâcher en toute conscience !

Vous voulez venir à Pavlovsk. Dites-moi exactement quand cela se fera. Je voudrais beaucoup, beaucoup être votre hôte à Palibino. Mais puis-je y travailler de la façon qu'il me faut ? C'est pour moi la question. Et puis, il n'est guère poli de ma part de venir pour travailler à journée faite. Ecrivez-moi sur tous ces points. S'il vous plaît, ne me laissez pas. Mes salutations à tous les vôtres. A vous revoir.

Votre sincèrement dévoué.


Fiodor Dostoïevski

______________

(1) Le lettre d'Anna est inconnue. Elle y rappelait sans doute l'invitation faite à Dostoïevski de venir en été à Palibino.

(2) Un grave différend a éclaté entre l'auteur de Crime et châtiment et la rédaction du Messager russe : le chapitre de la rencontre entre Raskolnikov et Sonia, avec la lecture de la scène de l'Evangile, est jugée trop blasphématoire.

(3) Le 1er juillet 1865, signature du contrat léonin avec Stellovski.

(4)Le Joueur et Crime et châtiment.

(5) Anna ne viendra pas à Pavlovsk ; de son côté Dostoïevski n'ira pas à Palibino.

Dostoïevski, Correspondance, tome II, éditions Bartillat. Trad. Anne Coldely-Faucard. Les lettres dont s'agit s'échelonnent de 1865 à 1873, depuis la rédaction de Crime et châtiment à l'année qui suivit la parution des Possédés.