241158

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

25/02/2020

Retour sur images

J'Y

 

Mes yeux regardent l'arbre qui se trouve derrière la vitre. Ils ne le voient pas tout entier. La partie du mur qui sépare les deux fenêtres me cache le tronc. Je ne vois que des branches. Une étrange pensée me traverse : j'écris et ne perçois en moi que des branches, pas de tronc.
Je lève les yeux au plafond. Avant de regarder l'arbre je me suis levé pour éteindre les néons qui étaient tous allumés. Il y avait ces deux lumières en présence, celle du jour qui pénétrait par les fenêtres et celle des néons, qui se contrariaient. Personne n'a semblé remarquer mon geste.
J'aurais voulu agir de même avec le bruit d'un chantier qui se trouvait juste sous les fenêtres. Mais je ne pouvais éteindre ce bruit comme j'avais éteint la lumière des néons. Ce bruit, c'était pourtant comme la lumière du néon dans la lumière du jour. Il me semblait que si je pouvais l'éteindre il y aurait quelque chose de semblable à la lumière du jour qui s'imposerait.

Je regarde de nouveau l'arbre. Je remarque que ses branches bougent. Elles ne bougent pas continuellement parce que le vent n'est pas continu. Oui, c'est parce que le vent n'est pas continu que les branches de l'arbre ne bougent pas continuellement.
Je tiens là une vérité. Je vais pouvoir franchir l'obstacle de ce bruit que je ne peux éteindre.
Je me lève. J'aperçois le tronc de l'arbre auquel s'agrippent les branches. L'immobilité du tronc est aussi merveilleuse que le mouvement des branches.
J'y suis.
Il me semble à présent que mon sort dépend de cet arbre. J'offre moi-même un visage, des mains semblables qui écrivent.
Je dois compter aussi avec le vent.

 

Marc Corigliano

spirale II blog.jpg

07:23 Publié dans Contes | Lien permanent | Commentaires (0)

24/02/2020

"La danse de l'effacement" de Zéno Bianu, éd. Brandes, 575 ex., 16 novembre 1990

je ne sais plus profond
que ce versant noir

 

où l'être crépite
sur le chemin de nudité

 

les passeurs de monde
quittent les effigies

 

pour un oui
qui aiguise même le feu

 

 

soif de disparition
sacrement d'exactitude

 

c'est bien la dent
de l'anéantissement

 

l'orage porte le ciel
genèse défaite

 

comme une bouche de chute
qui s'exile du visible

 

 

nous sommes venus
dénouer les tombes

 

habiter l'égarement
déchirer la naissance

 

gisants fragmentés
passion des précipices

 

nous allons au vide
comme on troue sa mort


Zéno Bianu

11:13 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)

23/02/2020

"Le chemin de la montagne de pluie", N. Scott Momaday, traduit par Philippe Gaillard, éd. du Rocher, août 1995

La langue kiowa est difficile, mais savez-vous que l'esprit de la tempête la comprend ? Il y a bien longtemps, les Kiowas voulurent fabriquer un cheval. Ils décidèrent qu'il serait fait d'argile et entreprirent de façonner la terre de leurs mains. Le cheval commença à prendre forme, mais alors se produisit une chose effroyable. On vit l'animal s'agiter, d'abord lentement, puis de plus en plus vite, jusqu'à tout bouleverser. Le vent se mit à souffler en énormes rafales. Les grands arbres furent déracinés et même les bisons furent projetés dans les airs. Les Kiowas couraient dans tous les sens, invoquant et suppliant cette chose qui les terrifiait. La tempête se calma enfin. Aujourd'hui encore, lorsqu'ils voient s'amonceler les nuages d'orage, les Kiowas savent qu'un étrange animal vagabonde dans le ciel. Il a la tête d'un cheval et la queue d'un grand poisson. Sa gueule lance des éclairs et sa queue, fouettant et balayant les airs, fait souffler le vent en tornades brûlantes. Mais ils lui parlent. Ils lui disent : "Passe au loin." Ils n'ont pas peur de Man-ka-ih, car il comprend leur langage.


N. Scott Momaday

09:43 Publié dans Auteurs | Lien permanent | Commentaires (0)